Dans un
élan salvateur dont il est coutumier, le Chef de l’Etat a annoncé
l’éclatement de l’ERTT en deux pôles Radio et TV, la relance de l’ANPA et
l’assainissement financier de ces deux organismes. L’ensemble doit répondre
à un seul objectif : «consolider l’évolution de l’information audio-visuelle
et renforcer les aptitudes de notre pays à gagner le pari de la compétition
dans ce domaine». La voie est tracée, le projet est ambitieux.
La
décision du chef de l’Etat procède en fait d’un constat perspicace :
l’architecture actuelle de l’ERTT ne saurait favoriser l’attractivité de nos
chaînes TV et stations Radio publiques, et encore moins garantir leur
équilibre financier et pérenniser leur impact. Elle ne pourrait aucunement
favoriser notre ancrage planétaire, dans un univers hautement médiatisé.
Aussi, l’indépendance de l’ANPA devrait permettre d’éviter une concentration
sur la seule Canal 7, pour promouvoir l’ensemble des autres stations et
chaînes, sur la base d’un contrat de performance spécifique à chacune
d’entre-elle et d’un objectif de succès pour chaque production.
Dans une
vision plus large de réforme de l’ensemble du paysage communicationnel,
l’éclatement de l’ERTT constitue une pierre angulaire, annonciatrice de
profonds changements et, en tous les cas, instaurant un large débat public
sur les questions fondamentales des médias en Tunisie.
Des
expériences instructives nous avaient déjà précédés, telle qu’en France,
l’éclatement de l’ORTF, le 7 août 1974. A peine élu président de la
République, Giscrad d’Estaing charge son Premier ministre Jacques Chirac de
faire voter une loi spécifique créant 7 entreprises indépendantes. C’est
ainsi que naquirent 3 chaînes TV, Radio France, TDF et l’INA. D’autres
modèles ont été introduits partout en Europe pour mieux répondre à la fois
aux impératifs de service public, d’une part, et d’ouverture des ondes,
d’autre part. Mais, dans tous les cas, et c’est là un enseignement majeur,
ces réformes sont venues en dénouement de crises aiguës, voire de profonds
gouffres financiers engrangeant les deniers publics.
Anticipation, sérénité, pérennité
L’initiative du président Ben Ali est anticipatrice. Tant qu’il est encore
temps, en se soustrayant à l’urgence et en évitant l’irréversible, dans la
sérénité, la consultation et le consensus se dessine la restructuration. A
l’écoute des palpitations, et exerçant son don d’observation et d’analyse
des tendances, il est clair que le chef de l’Etat a bien perçu tous les
signes. Alors que certains débattaient, en plein ramadhan, des outils de
mesure d’audience TV, mettant en question la pertinence des outils utilisés
et que d’autres, plus avertis, appelaient à l’étalonnage de ces outils, la
réflexion, à Carthage, était déjà hissée à un niveau beaucoup plus élevé et
la vision portée au grand large.
Au-delà
de la course à l’audience pour accaparer les téléspectateurs et, partant,
gagner les annonceurs pour renflouer les caisses, le vrai débat se situe, en
fait, au niveau du contenu et de son corollaire, le financement. Quel
contenu et qui le paiera ? Sachant que seul le contenu nous fera exister
dans la galaxie universelle, déjà si encombrée, et fera porter notre voix et
notre image, aux quatre coins de la planète. Prendre pied dans ce nouvel
univers est vital. N’existeront désormais que les nations qui ancreront leur
identité, leur culture et leur image, sur les ondes. Déjà dans son programme
électoral «Le Choix de l’Avenir», le président Ben Ali en jetait les bases,
au titre des TIC et des nouveaux médias émergeants.
Réunir
les conditions de réussite, fixer les engagements
Encore
plus, les récentes initiatives prises par le chef de l’Etat, il y a
exactement 3 ans, jour pour jour, avec la création de Radio Mosaïque,
première station privée, puis en février 2005, avec le lancement de Hannibal
TV, première chaîne privée, éclairent la réflexion. L’ouverture des ondes
est non seulement réalisable, mais aussi capable d’enrichir le paysage
audiovisuel, de susciter des vocations et de révéler de nouveaux talents.
Son succès doit reposer cependant sur un ensemble de principes fondateurs à
traduire dans un engagement clair à l’égard de la communauté nationale.
Il est
évident aujourd’hui, avec plus de la moitié des foyers tunisiens équipés en
télévision par satellite et captant plusieurs centaines de chaînes dont pas
moins de 257 chaînes arabes de diverses obédiences et styles, nos chaînes
tunisiennes, publiques ou privée, font face à une rude concurrence exigeant
des fonds intarissables et des talents novateurs. Dans cette compétition
féroce, nourrie par le zapping immédiat en épée de Damoclès, la production
de qualité est fortement budgétivore. Et c’est à ce prix seulement qu’on
peut attirer le téléspectateur et le fidéliser. Partant de cette vérité, qui
est capable de payer le prix de cette production ? Jusque-là, les formules
ont évolué en Tunisie à partir de trois sources, mais toujours
insuffisantes.
Il y a
d’abord la redevance sur les équipements Radio/TV, perçue depuis 1978 avec
les factures de la STEG. Il y a aussi, depuis l’Indépendance, la dotation
d’équilibre consentie par la collectivité nationale au titre du budget
annexe au budget de l’Etat. Enfin, sont venues, avec l’introduction de la
publicité à la Télévision, dès janvier 1988, à la faveur du Changement, les
recettes publicitaires. D’autres modes, tels que le décodeur pratiqué par
Canal Horizons dès 1993, puis les cartes de Canal satellite, TPS, Orbit et
ART, ont fait leur apparition, mais montré également leurs limites, surtout
face au piratage.
Dans
cette nouvelle architecture, quid de ces sources de financement ? Sur
quelles bases s’effectueront la répartition de la redevance et la dotation
d’équilibre ? En contrepartie de quelle mission de service public ? Sous le
contrôle de quelle autorité ? Et, d’une manière plus générale, régulation
pour le paysage audiovisuel ? Tout en encourageant le processus d’ouverture
des ondes et de multiplication, notamment avec la TNT, de nouvelles stations
Radio et Chaînes TV, comment préserver l’intérêt national, garantir les
droits des auditeurs et des téléspectateurs, ancrer la déontologie, faire
respecter la réglementation, garantir le droit de réponse, nous prémunir
contre les dérapages ? Autant de questions fondamentales, lorsque nous
savons qu’en droit d’image, l’atteinte à la réputation est difficilement
réparable et que les dérives sont dévastatrices.
Sage et
avant-gardiste, la décision du président Ben Ali initie en fait un large
débat que nous devons tous nourrir de nos réflexions les plus fécondes. Dans
la responsabilité société, la sérénité et la recherche du consensus,
professionnels de la communication, société civile et décideurs sont ainsi
invités à définir ensemble les modalités pratiques les mieux appropriées
pour la mise en œuvre de la vision du chef de l’Etat. Son vœu nous sert de
mandat :
«Nous
espérons que cette réforme structurelle offrira la possibilité de rehausser
le niveau d’efficience de l’information audiovisuelle nationale, afin que
celle-ci puisse occuper la place qui lui revient sur la scène régionale».
Il a dessiné la voie. A nous tous de réussir le projet.