“Certains pays d’Afrique seraient plus riches s’ils n’avaient pas eu de pétrole”

Par : Tallel
 
 

afrsud200.jpgGENEVE, 02.11.06 Le continent noir produit aujourd’hui plus de pétrole que
les pays du Golfe. Mais misère, catastrophes écologiques, guerres intestines
le déciment. Swissaid organisait hier à Genève une conférence
internationale. Interview de Jean- Pierre Favennec, de l’Institut français
du pétrole.

Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne connaît un boom pétrolier sans
précédent. Jusqu’ici cette richesse a toujours été synonyme de misère:
catastrophes écologiques, corruption, régimes autoritaires, guerres. Et si
enfin la société civile, les compagnies pétrolières, les organisations
internationales et les Etats fixaient ensemble les règles du jeu ? Swissaid
organisait hier (1er novembre 2006, NDLR) à Genève une conférence
internationale sur le sujet. Malheureusement, les compagnies pétrolières ont
répondu absent à la journée. Peur de se retrouver sur le banc des accusés ou
refus du dialogue ? Parmi les invités, Jean-Pierre Favennec, de l’Institut
français du pétrole. Interview.

Cette conférence internationale a
pour ambition d’ouvrir le dialogue entre des ONG et des représentants
d’Etats africains ainsi que des compagnies pétrolières. Mais ces dernières
ne sont pas venues. C’est un constat d’échec?


Jean-
Pierre Favennec
 :
Pas vraiment, car cette rencontre permet d’échanger des informations
importantes. Il est vrai que l’absence des compagnies fausse le débat.
Prenons la situation au Tchad : c’est évidemment plus facile de dépeindre
les pétroliers comme le diable s’ils ne sont pas là pour se défendre.

Pour la réunion d’aujourd’hui, on constate quand même qu’on est loin des
discours enflammés d’il y a 20 ou 30 ans. Alors que les ONG n’ont pas un
rôle facile. Elles défendent les populations dans des pays où les structures
institutionnelles sont faibles, où les gouvernements sont parfois
autoritaires, et les compagnies pétrolières toutes puissantes. Actuellement,
il y a au moins 250 sociétés pétrolières en face desquelles gouvernements
ont peu de poids.

Comment amener ces dernières à
discuter?

On reproche souvent aux compagnies de ne pas faire les investissements
nécessaires pour améliorer les conditions des populations dans les zones
pétrolières. En réalité, ce n’est pas leur vocation même si elles le font
parfois. Par exemple, elles financent l’électrification dans certaines
régions du Tchad. Mais où doit s’arrêter leur rôle? Il ne faut pas oublier
qu’elles sont soumises à une logique économique et qu’elles ne peuvent pas
s’en soustraire comme ça. Donc, on comprend que de leur côté, elles restent
prudentes.
La seule issue est d’aller vers un dialogue tripartite entre gouvernements,
compagnies pétrolières et société civile. Mais il ne faut pas s’attendre à
une révolution. C’est un travail de longue haleine.

Comment expliquez-vous que les
pays africains qui produisent maintenant plus de pétrole que les pays du
Golfe n’arrivent pas à mieux se développer?

Si on classe les pays producteurs en fonction de la bonne utilisation de
leurs fonds, l’Arabie saoudite, le Koweït, les Emirats arabes sont en tête.
Il y a 35 ans, c’étaient des déserts. Aujourd’hui, ces pays sont modernes,
bien équipés, avec des autoroutes, des universités, des systèmes sociaux,
même si l’économie n’est pas parfaite.
En revanche, le Venezuela qui produit du pétrole depuis plus longtemps n’a
pas réussi à l’utiliser pour se développer. Quant à l’Afrique, la gestion
est catastrophique. Avec les cas extrêmes de guerres civiles financées par
l’or noir. D’ailleurs certains pays d’Afrique seraient plus riches
maintenant s’ils n’avaient pas eu de pétrole. Comme le Nigeria qui était
autosuffisant en nourriture, avec une population plutôt bien formée. Le
pétrole a eu des effets dévastateurs.

On parle du prochain tarissement
de l’or noir. Or la demande ne cesse d’augmenter y compris en Afrique.

Le pétrole reste l’énergie la plus simple d’utilisation. Ce liquide est
facile à produire, transporter, utiliser. C’est encore le meilleur moyen
pour faire avancer une voiture. Alors que le gaz et le charbon nécessitent
des infrastructures très lourdes totalement disproportionnées avec les
moyens des pays africains.

Genève, l’une des capitales du
pétrole, a-t-elle une responsabilité particulière?

C’est effectivement un lieu de négociations. Beaucoup de sociétés de
commerce se sont installées ici pour son climat favorable aux affaires. Elle
pourrait aussi devenir un siège de dialogue pour que la malédiction de l’or
noir se transforme positivement.

Source :

http://www.infosud.org