Le géant chinois s’est réveillé : Main basse sur l’Afrique

Par : Tallel
 
 

afchin200.jpgLe gouvernement
chinois a tenu à marquer d’un éclat particulier le troisième Forum de la
coopération Chine-Afrique qui s’est déroulé à Pékin du 3 au 5 novembre.

Le sommet organisé à
l’occasion de ce forum a réuni 41 chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que
des représentant officiels de 48 pays africains ayant établi des relations
diplomatiques avec la Chine.

Pékin entend prouver
ainsi l’adhésion massive des dirigeants africains à une politique de
développement qui prend le contre-pied des pratiques occidentales. Troisième
État du monde par sa superficie, la Chine est, avant tout, une civilisation
de près de 1,3 milliard d’hommes qui se répartissent entre la Chine
populaire et d’importantes diasporas chinoises, présentes dans tout le
Sud-Est asiatique, en Océanie, et un peu partout dans le monde.

Durant des siècles, la
Chine a considéré qu’il n’y avait qu’un seul Etat sur la planète, le sien.
En dehors de la Chine, le reste était peuplé de barbares. L’empereur chinois
se considérait comme le maître de l’univers terrestre. Troisième importateur
et quatrième puissance industrielle de la planète (elle a dépassé la France
et talonne l’Allemagne), la Chine a enregistré en 2003 son meilleur taux de
croissance depuis 1996, soit 9,1%. Puis 10%, en 2003, 16,4% en 2004 et 11%
en 2006.

Depuis le lancement de
la réforme économique, à la fin des années 1970, par Deng Xiao Peng, la
croissance galopante est soutenue par des secteurs de pointe, comme
l’informatique, la robotique ou les biotechnologies, et profite largement à
d’autres secteurs.

Elle a été favorisée
par un changement structurel en profondeur, qui concerne aussi bien le
système des prix, que le système fiscal. La raison de cet emballement de
l’économie chinoise est directement liée à ses ZES, cinq Zones économiques
spéciales en Chine du Sud-Est créées à l’initiative de Pékin au début des
années 80. Attirées par la légèreté des charges sociales, la flexibilité des
usines et par une main-d’oeuvre inépuisable, bon marché et disciplinée, les
entreprises étrangères délocalisent de plus en plus en Chine, car la Chine
entend bien profiter du savoir-faire occidental surtout en ce qui concerne
les secteurs de pointe.

En 2003, le pays tient
la palme des investissements étrangers, l’équivalent de 53,5 milliards de
dollars, 60% des investissements proviennent de la diaspora chinoise, devant
les Américains et les Japonais. Mais la Chine n’est pas seulement un
exportateur hors pair, c’est également un acheteur fiévreux qui achète de
tout à travers le monde: 450 milliards de dollars d’achat en 2003 pour
presque 500 milliards de dollars de vente.

La Chine qui possède
l’arme nucléaire depuis des décennies a, le 15 octobre dernier, envoyé dans
l’espace, Yang Liwei, son premier «taïkonaute». Les Chinois ont inauguré en
2003 le plus haut gratte-ciel du monde (1/2km). Ils produisent 75% des
montres et horloges de la planète, 70% des jouets, ce qui n’est pas trop
surprenant; mais aussi 83% des tracteurs, 60% de la pénicilline, 55% des
appareils photo, et la moitié des ordinateurs portables qui fonctionnent
dans le monde.

Selon l’analyste
financier, Goldman Sachs, la Chine sera en 2025, le premier PNB mondial avec
44.453 milliards de dollars devant les Etats-Unis avec 35.165 milliards et
l’Inde 27.803 milliards. En 2005, plus de 85 millions d’internautes, plus
nombreux que les Américains. La Chine a besoin de beaucoup de pétrole,
l’Afrique est son réservoir. On estime que le nombre d’automobiles devrait
quintupler en Chine.

Actuellement, la Chine
consomme 0,8 tonne de pétrole/habitant/an (Les Américains consomment 10 fois
plus). Que se passerait-il, cependant, si les Chinois se mettent à consommer
seulement deux tonnes/habitant/an? On dit en Occident -une manière de la
freiner- qu’il faudrait 5 planètes! La Chine est déjà une grande puissance
sur le plan politique, et elle deviendra, à l’avenir, une grande puissance
industrielle et économique.

Le Sommet de Pékin
s’est clôturé dimanche 5 novembre après l’adoption de deux documents
qualifiés d’historiques: la Déclaration de Pékin, et le Plan d’action de
Pékin (2007-2009). La déclaration de Pékin situe le contexte d’une
coopération entre «le plus grand pays en développement du monde» et «le
continent regroupant le plus grand nombre de pays en développement».

Elle exhorte les pays
développés à «accroître l’aide aux pays africains […] afin de renforcer la
capacité de celle-ci à combattre la pauvreté, et de l’aider à réaliser les
objectifs de développement du millénaire définis par les Nations unies.»
Elle demande que la réforme de l’ONU permette le «renforcement de son rôle»,
réaffirme celui de l’Assemblée générale, qu’elle la conduise à se pencher
davantage sur la question du développement et réserve une plus grande place
aux pays africains au sein du Conseil de sécurité et dans les autres agences
de l’ONU.

Par ce sommet, la
Chine définit, écrit Renaud Delaporte, les bases d’un partenariat
stratégique winn-winn; gagnant-gagnant, à long terme avec les Etats
africains, tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique. Le
sommet organisé à l’occasion de ce forum a réuni 41 chefs d’Etat et de
gouvernement. Pékin entend prouver ainsi l’adhésion massive des dirigeants
africains à une politique de développement qui prend le contre-pied des
pratiques occidentales (1).

«D’un point de vue
économique, si l’Afrique dispose de matières premières essentielles au
développement de la Chine, qu’importe que la population d’un pays ne gagne
que quelques euros par jour, si ces euros tombent dans les caisses des
fabriques chinoises. Multipliés par un milliard de clients, ce sont des
milliards d’euros qui aboutissent chaque année dans les ateliers textiles,
de plasturgie ou de métallerie de l’Empire du milieu. Rares sont les marchés
au fin fond des villes, des brousses ou des savanes dans lesquels ne
figurent aucun vêtement, ustensiles de cuisine ou simples outils estampillés
made in China appréciés par les populations locales.

Avec ses grossistes et
ses distributeurs installés dans presque tout ce que le tiers-monde compte
de localités marchandes, la Chine s’est créée une logistique puissante,
essentielle dans le combat économique qu’elle mène aujourd’hui, se forgeant
une avance quasiment irrécupérable. Forte de cet atout, la Chine peut se
permettre d’acquérir des matières premières dans des conditions économiques
respectables: ce n’est certainement pas un hasard si Pékin a annoncé, fin
octobre, la construction de cinq nouvelles plates-formes portuaires. À
terme, cinq nouveaux Anvers».

Dans ce contexte, les
contrats annoncés -qui portent sur 1,9 milliard de dollars- le doublement de
l’aide de la Chine à l’Afrique en trois ans et l’annulation de dettes non
précisées sont une goutte d’eau à côté des retombées potentielles. De plus,
depuis quelques années, l’arrivée de la production chinoise sur le continent
a déjà fait ses premières victimes dans l’industrie textile du Maghreb,
certains diplomates africains présents au Sommet de Pékin se sont déjà
inquiétés de ce que le flux des produits manufacturés bon marché, de la
Chine vers l’Afrique, paralyse l’industrie locale.

Politiquement, en
proclamant la nécessité d’accroître le rôle de l’Afrique dans les
institutions internationales, la Chine accélère le développement d’un réseau
d’alliés, commencé lors des précédents forums, dans le bras de fer qui
l’oppose aux Etats-Unis. La Chine est cependant le plus grand soutien
économique et financier des Etats-Unis. Il reste à la Chine à exercer toute
son habileté diplomatique dans la pacification de l’Afrique pour devenir la
puissance de référence du développement de ce continent.

La reconnaissance de
l’identité culturelle du continent africain constitue un aspect inhérent à
la politique chinoise. Si le G8 ou l’OMC n’ont jamais songé à inviter des
groupes de danses folkloriques, ou à exposer «quelque 300 pièces de
sculpture, de la peinture, du tricot, de la poterie» à l’occasion de leurs
arides conférences d’experts, les Chinois, eux, en ont tout de suite compris
la nécessité.

Les Etats-Unis, comme
les anciennes puissances coloniales, sont restés figés dans une vision
civilisatrice de leur action en Afrique au détriment de l’identité même de
ces peuples. À vouloir leur imposer un mode de vie basé sur leurs propres
pratiques, les Occidentaux n’ont jamais été en mesure d’offrir aux pays
africains un modèle de développement répondant à la culture du continent. En
plaçant délibérément le Sommet sino-africain de Pékin dans le cadre d’un
dialogue Sud-Sud, la Chine s’impose comme étant la seule puissance capable
d’offrir à l’Afrique l’espoir d’une politique de développement économique
réaliste, pragmatique et, par conséquent, applicable. Elle entérine l’échec
de trente-trois ans de politique africaine française (2).

Une OPA ne se conclut
jamais sans licenciements. Les accords sino-africains pourront bénéficier à
l’économie du continent. Qu’elle profite aux Africains eux-mêmes… c’est
une autre histoire qui s’écrit déjà au Soudan où se révèle le «cynisme
absolu» des Chinois. L’approche des spécialistes occidentaux est dénuée
d’objectivité, après avoir tout fait pour la freiner, ils invoquent après
TsenHan Men, le fait que la Chine s’allie à des régimes corrompus. Ils
oublient de dire que toute la politique occidentale est basée sur la
corruption des gouvernants. «En 2000, écrit N. Valérie, le montant du
commerce entre la Chine et l’Afrique équivalait à 10 milliards de dollars.

Aujourd’hui, on est
plus proche des 50 milliards, sans compter le commerce non officiel. La
Chine a des besoins très importants en matières premières et en minerais, et
c’est pourquoi elle cherche la solution la plus efficace….Et,
contrairement aux pays occidentaux, la Chine ne demande aucune condition aux
gouvernements en place et fait même de sa non-ingérence un argument de
vente. Au Soudan, par exemple, la Chine a littéralement bâti toute
l’industrie pétrolière, soutenant à bout de bras un régime mis sur la
sellette à cause du Darfour. Plus généralement, Pékin utilise sa condition
de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU pour offrir des
garanties politiques à des régimes corrompus.

La Chine a beau jouer
sur la fibre tiers-mondiste, cette pratique rappelle les stratégies que les
pays occidentaux avaient mises en place juste après la décolonisation. Et
retarde les évolutions démocratiques nécessaires en Afrique» (3). En
définitive, il est vrai que la philanthropie n’étant pas de ce monde, il est
fort à parier qu’avec le temps, on s’apercevra que l’Afrique entame une
nouvelle colonisation encore plus perverse car, sous des dehors
tiersmondistes de partenariat stratégique, de slogans des années qui ont
suivi la première décolonisation, le monde est impitoyable et les Chinois, à
nuances près, sont aussi «impérialistes» que la brutalité des impérialismes
occidentaux, avec le sourire et l’affabilité en plus, fruit d’une
civilisation plusieurs fois millénaire.

«Ne nous demandez pas
d’aller à la guillotine avec le sourire», s’écriait Thabo Mbeki quand on lui
parlait de l’incontournabilité de la mondialisation. Ne nous demandez pas de
cautionner l’impossible. L’Afrique perdra son âme comme elle l’a fait
vis-à-vis de la mondialisation en croyant trouver la solution à ses
problèmes. L’Afrique a une dette de 2500 milliards de dollars qu’elle a déjà
payée plusieurs fois.

Il aura été plus
généreux non pas de distribuer des subsides en augmentant l’APD mais
d’apprendre à ces pays comment être réellement indépendants. Personne parmi
les 46 délégations n’a parlé de la nécessité d’une refondation des systèmes
éducatifs par la construction d’outils endogènes avec l’appui scientifique
des autochtones. Peut-être parce qu’en définitive les pouvoirs politiques en
Afrique ne croient pas en leurs élites. Par ailleurs, avec la plus grande
diaspora du monde, 30 millions de Chinois sur tous les continents, des
salaires très bas, une main-d’oeuvre inépuisable, des ingénieurs très
performants et un sens du commerce immémorial, ce pays peut faire du XXIème
siècle, le siècle chinois.

L’Algérie devra
prendre acte de cela. Lors de sa visite de centres de recherches de sociétés
de télécommunications, le chef de l’Etat a insisté sur le fait que l’Algérie
«a surtout besoin du transfert des technologies, de l’expérience et du
savoir-faire chinois pour se développer et s’épanouir». «Le partenariat
stratégique que nous voulons instaurer avec la Chine dépasse le stade des
échanges commerciaux et de la consommation des technologies pour atteindre
la formation des cadres et l’implantation, dans notre pays, d’usines de
fabrication d’équipements».

Nous pouvons profiter
réellement du savoir-faire de la Chine, et il est inconcevable qu’il n’y ait
pas de transfert de technologie pour les contrats du siècle que nous avons
octroyés à la Chine. Nous devrons demander la mise en place d’un contrat
garantissant la formation de personnes à même de prendre en charge dans le
futur les grands travaux, la construction, l’informatique, la construction
de micro-ordinateurs.

Même s’il y a des
surcoûts, c’est le prix à payer pour une sédimentation d’un savoir-faire
authentique. Devant l’importance de ce partenariat stratégique, l’idée
serait de créer un organisme de coopération spécifique, seul interlocuteur
de toute la coopération multiforme avec la Chine. Cela va de l’éducation à
la formation professionnelle et supérieure et naturellement, à tous les
projets industriels en cours de réalisation.

Si la volonté existe
des deux côtes, si les arrière-pensées économiques ne prennent pas le dessus
sur une vision d’ensemble, le partenariat entre l’Algérie et la Chine
pourrait servir de déclencheur d’une dynamique plus profonde en direction de
l’Afrique qui sortirait, il faut le souhaiter, définitivement du
sous-développement.


1. C.E.Chitour: Vers une crise de l’énergie? 8e Journée de
l’énergie Ecole Polytechnique. 19 mai 2004


2. Renaud Delaporte: La Chine a lancé une OPA amicale sur
l’Afrique. AgoraVox 6 novembre 2006


3. N. Valérie: «La stratégie de la Chine retarde les
évolutions démocratiques en Afrique». Propos recueillis par Thomas Bronnec
L’Expansion.com du 3 novembre 2006


Pr Chems-Eddine CHITOUR – L’Expression, le 9 novembre 2006.

Source :

http://www.algerie-monde.com