Un
problème de management se pose chaque fois que des individus se groupent
pour travailler ensemble à la réalisation d’un objectif commun. Ce problème
concerne évidemment le chef d’entreprise mais il concerne aussi tous les
responsables des équipes fonctionnelles et opérationnelles : érigées sous
forme de centres de responsabilité (administratif, technique, finance,
marketing, vente, etc.), ces équipes ont pour obligation la réalisation de
leurs objectifs spécifiques car ces derniers sont à la fois le reflet et la
condition sine qua non de la réalisation des objectifs généraux de
l’entreprise. C’est cette interdépendance qui justifie la nécessité de
concevoir l’entreprise comme une équipe constituée d’un grand nombre
d’acteurs. Chacun de ces acteurs est à la fois membre d’une équipe
(l’entreprise) et responsable des destinées d’une autre équipe
(départements, directions, services, sections etc.).
Aussi le management a-t-il cessé d’être une spécialité
d’une poignée d’individus au sein d’une entreprise. Il est, aujourd’hui, «un
savoir-faire» commun à tous les cadres, un «must» incontournable pour toute
personne chargée d’obtenir des résultats par la conjugaison de ses propres
efforts avec ceux d’autres personnes : supérieurs, collègues, collaborateurs
et autres subordonnés. Ceci a amené, très tôt, David A. EMERY à proclamer
haut et fort que «Nous sommes tous des managers» (Titre de son ouvrage
traduit de l’anglais par Etudes de Saint-Simon et édité par GERARD & C°,
Verviers, 1972). Mais il ne suffit pas de proclamer haut et fort qu’on «sait
nager» pour se jeter à la mer sans se noyer. Savoir nager exige de
l’apprentissage. Il en est de même pour le management.
Or, l’une des difficultés de l’apprentissage du métier de
manager provient du fait que le management est encore perçu de façon
étriquée par un grand nombre de personnes parmi les initiés et les non
initiés. Il n’est pas, en tout cas, toujours perçu de façon univoque par
tous les acteurs au sein des entreprises. Comme on ne peut séparer une
méthode de management du schéma perceptuel des individus en cause, il en est
alors résulté l’émergence d’un grand nombre de pratiques que l’on qualifie
abusivement de «management». En réalité, il y a management et management :
le vrai et le faux management, le bon et le mauvais management ou mieux
encore l’ancien et le nouveau management. Il va sans dire que la distance
séparant l’ancien du nouveau management est comparable à celle qui sépare le
fromage de la craie : exception faite des apparences (trompeuses), ils sont,
en tous points, différents !
On ne répètera jamais assez que le nouveau management n’est
plus seulement une fonction d’entreprise. Il est à la fois une «fonction et
la manière d’assumer cette fonction». La fonction du management consiste à
«obtenir des résultats ambitieux par le travail des autres au moyen d’une
judicieuse exploitation des capacités, des aptitudes et des talents de
chacun». Pareille conception procède de l’idée que tous les êtres humains
possèdent des facultés créatrices qu’ils aimeraient pouvoir exprimer dans
leur travail. Et la fonction première d’un vrai patron est d’exploiter au
mieux ces facultés créatrices, de «libérer» et «d’orienter» le pouvoir de
chacun des acteurs au sein de l’entreprise ; les sources de ce pouvoir étant
les capacités, les aptitudes et les talents de chacun.
Ceci contraste avec l’idée reçue largement partagée par un
grand nombre de dirigeants, idée selon laquelle «il faut donner plus de
pouvoir aux employés» si l’on veut les impliquer davantage dans la vie de
l’entreprise ! On oublie que les employés ont déjà un pouvoir considérable
et que -de ce fait- les entreprises sont devenues aujourd’hui tout aussi
dépendantes de leur personnel que de leurs clients. La vraie doléance de
tout employé est de libérer son pouvoir et non de lui en donner. Il s’attend
à ce que l’organisation oriente ce pouvoir dans une direction compatible
avec les buts poursuivis au niveau individuel et collectif. Aussi, le fameux
phénomène de «la résistance au changement» est-il l’expression d’un pouvoir
non libéré (ou contrepouvoir) dont le résultat final sera fonction de
l’orientation des capacités, des aptitudes et des talents des partisans et
des détracteurs de ce type de comportement.
Le nouveau management plaide pour la libéralisation du
pouvoir des employés alors que l’ancien management se focalise sur le
contrôle et la limitation de ce pouvoir. Au nom du contrôle, un patron peut
bloquer la créativité, tarir la motivation, susciter des rancoeurs et des
résistances. Il oublie ou il ignore qu’il existe des méthodes de contrôle
qui stimulent la créativité, développent la motivation, entraînent une
participation profonde tout en laissant, pourtant, aux mains du patron toute
l’autorité dont il a besoin.
Telle est la fonction du nouveau management. Quant à la
manière d’assumer cette fonction, elle consiste à «donner une réelle envie à
une équipe et à chacun de ses membres «de faire ce qu’ils ont à faire» en
leur donnant la franche impression que «ce qu’ils ont à faire, c’est ce
qu’il faut faire», et que «ce qu’il faut faire, c’est avant tout leur choix»
et non pas le choix d’un autre. Le tout sincèrement. Autrement dit, le
management valorise honnêtement la liberté des acteurs, la négociation, la
participation, l’acceptation, l’implication, etc. Il répugne donc toute
forme de violence sous quelque forme que ce soit : décisions unilatéralement
imposées, intimidation, chantages et autres menaces de tous genres.
Ce qu’il faut percevoir ici est que le nouveau management a
changé la nature de la relation de pouvoir au sein des entreprises : la
relation classique de «domination» qui caractérise le style de direction des
entreprises d’antan a laissé place à la «relation de puissance» devenue
aujourd’hui le fer de lance des entreprises modernes en matière de gestion
des ressources humaines.