La solidarité internationale : et l’autre vérité ?

Par : Tallel
 
 

solida200.jpgDu 11 au 19 novembre 2006, s’est tenue la neuvième édition de la Semaine de
la solidarité internationale. La solidarité internationale recouvre
l’ensemble des actions menées dans le cadre de l’humanitaire ou du
développement des pays du Sud, qu’il s’agisse d’actions d’ONG ou de l’aide
publique des Etats, des collectivités territoriales ou des institutions
internationales. Selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères:
«Cette manifestation est l’occasion de mieux faire connaître les actions
menées par les différents acteurs engagés dans la solidarité internationale:
ONG, pouvoirs publics, structures d’enseignement et de recherche,
collectivités locales, entreprises, médias, organisations de solidarité
issues de l’immigration, etc.».

Mais cette semaine devra aussi offrir
l’occasion aux acteurs majeurs de la solidarité internationale que sont
l’Etat et les ONG de repenser la finalité de cette solidarité censée
endiguer la pauvreté dans les pays du Sud et surtout de réfléchir sur ses
dérives et ses entraves pour qu’elle contribue vraiment à réduire la
pauvreté dans le monde.

Dans son dernier rapport, la FAO constate qu’il
n’y a pas eu d’amélioration depuis dix ans ; 854 millions de personnes dans
le monde sont sous-alimentées, dont 820 millions dans les pays en
développement. Les engagements pris par les pays riches en 1970 et
renouvelés en 2000 de consacrer 0,7% de leur PIB aux pays pauvres ne sont
pas respectés.


Réformer le programme de solidarité internationale de la France

Le gouvernement se réjouit, en se fondant sur un récent sondage
réalisé en juillet 2006 par l’Ifop, piloté par l’Agence française de
développement (AFD) et publié le 20 septembre dernier, que pour la grande
majorité des Français (83%), la France joue un rôle important, voire très
important, dans le domaine de l’APD. Mais il faut aussi avouer que les
Français sont à juste titre méfiants sur l’efficacité de cette aide, selon
le même sondage.

Selon le calendrier annoncé en 2002, l’aide publique au
développement de la France, passera de 0,32% en 2001 à 0,5 % du revenu
national brut d’ici à 2007, et à 0,7 % d’ici à 2012.

Certes, ces chiffres sont éloquents mais ces
augmentations ne doivent pas être des avancées en trompe œil ou de purs
agrégats comptables, voire des artifices budgétaires, car il faut arrêter de
comptabiliser dans l’aide publique au développement certaines dépenses dont
on peut douter de leur apport au développement, notamment celles destinées à
maintenir la présence militaire française en Afrique (financement des
établissements militaires, la formation des armées africaines), la promotion
de la langue française et du droit français dans le monde, les dépenses
d’écolage (l’accueil gratuit d’étudiants étrangers en France) et d’accueil
des réfugiés, sans oublier les coûts d’annulation des dettes, y compris les
annulations de créances commerciales garanties par la Coface[1]

Si les dérives humanitaires font régulièrement
l’objet d’études et de dénonciations, rares sont les articles ou ouvrages
qui abordent les lacunes et les dérives de l’aide publique au développement
(APD).

La France avait été épinglée en 2005 par l’Ong
ActionAid
comme étant le pire
des donateurs. 89% de son APD est qualifiée de «fantôme» car lui profitant
(financement des consultants expatriés et de la logistique occidentale) et
servant ainsi ses intérêts par rapport à l’«aide réelle». Elle a été aussi
classée par le Center for Global
Develpement
le 14 août dernier, 18e sur 21 pays riches pour la
qualité de son aide accordée aux pays pauvres.

Le problème de l’efficacité de cette aide se pose donc avec acuité.
Cette efficacité passe d’abord par une réforme de la politique d’aide au
développement. Selon le rapport «La France et l’aide publique au
développement» qui analyse la politique menée par la France vis-à-vis de ses
partenaires du Sud, rendu public en septembre 2006 par le Conseil d’analyse
économique, le programme de solidarité internationale de la France souffre
de la dispersion excessive des centres de décision, de la multiplicité des
objectifs affichés…

Pour la rationalisation de cette politique et sa transparence, il
serait souhaitable de regrouper tous les centres de décisions intervenant
dans les domaines de la coopération institutionnelle, de la coopération
décentralisée, du codéveloppement… au sein d’un ministère chargé de la
solidarité internationale pour coordonner tous les efforts de la France (des
différents ministères : de l’économie, des finances, des affaires
étrangères, de la santé, de la coopération… et des agences
gouvernementales comme le Haut conseil de la coopération internationale, l’AFD,
la cellule chargée du codéveloppement du ministère des affaires
étrangères…) et regrouper l’ensemble du budget consacré à l’APD, éparpillé
entre différents ministères.

Il devra contribuer à harmoniser la politique d’aide française avec les
politiques souvent contradictoires des autres pays donateurs en vue d’une
meilleure cohérence entre elles pour endiguer la pauvreté dans le monde et
pour plus de visibilité de l’aide multilatérale de la France (La France est
11e pour sa contribution au PNUD, 13e pour le Programme alimentaire mondial,
15e pour le Haut commissariat aux réfugiés, 12e pour l’UNICEF, 19e pour l’UNISIDA…)

Au-delà de l’examen des crédits de l’APD par l’Assemblée nationale
le 31 octobre dernier ou de l’audition de la ministre déléguée à la
coopération par la Commission des affaires étrangères du Sénat sur la
mission « aide publique au développement » le 15 novembre , il faut vraiment
associer les législateurs à la définition et au suivi de la nouvelle
politique d’aide au développement par la mise en place d’une commission
permanente de l’aide au développement et de la dette (commission de la
solidarité internationale) à l’instar de la Commission des affaires
culturelles, familiales et sociales, de la Commission des finances…


Les conditions pour l’efficacité du programme de solidarité
internationale de la France.

L’effectivité du programme français d’aide passe aussi par le
renforcement des capacités gouvernementales africaines à lutter contre la
pauvreté, d’autant que la majorité de l’aide et des prêts passe par ces
gouvernements. Cela suppose qu’on cesse de soutenir des régimes corrompus
comme au Togo, au Cameroun, au Gabon… qui pillent les économies de ces
pays. Il faut contraindre ces gouvernements à s’approprier la lutte contre
la pauvreté et à mobiliser les moyens internes et externes pour satisfaire
les besoins élémentaires de leurs populations. Cela implique de soutenir
(par des missions d’observation électorale crédibles, intègres et non
partiales) l’organisation des élections libres et transparentes qui pourront
permettre de voir se succéder aux affaires des hommes et des femmes animés
par l’exigence de résultats, proposant des idées nouvelles et performantes
pour sortir résolument nos populations de la misère.

La solidarité internationale ne servira à rien si des solutions ne
sont pas trouvées à la question de la dette qui étrangle nos pays. Car le
service de ces dettes empêche nos pays de consacrer de l’argent à la lutte
contre la pauvreté. On peut se demander pourquoi la commission des affaires
étrangères de l’Assemblé nationale a rejeté une proposition communiste
tendant à créer une commission d’enquête sur la question de la dette.

De plus, l’efficacité de la solidarité internationale nécessite de
profondes reformes structurelles de l’économie mondiale, notamment la fin
des subventions aux agriculteurs occidentaux, ce qui pénalise les
cultivateurs dans les pays du Sud.

S’agissant de l’action des ONG occidentales dans les pays pauvres,
loin de me lancer dans une critique systématique, il me semble impératif de
pouvoir évaluer leur efficacité sur le terrain au nom du droit d’inventaire.
Tout comme l’APD, l’aide réelle apportée par ONG du Nord reste
problématique, même si les ONG françaises de solidarité internationale ont
dépensé plus de 430 millions d’euros pour des projets au Sud.[2]

La semaine de la solidarité internationale a le mérite d’exister
depuis neuf ans mais elle ne sera qu’une manifestation de plus si elle
n’offre pas l’occasion pour les acteurs majeurs de la solidarité
internationale de faire l’inventaire de leur action pour corriger les
dérives et endiguer les lacunes.

A défaut, la solidarité internationale restera
«fantôme» et les populations du Sud, surtout les jeunes, n’auront d’autre
possibilité que de chercher à venir en Europe par tous les moyens pour fuir
la misère.

[1]

www.coface.fr

(Source :

http://www.agoravox.fr
)