Hypermarché, distribution moderne multiformat, offre commerciale efficace

 
 

hyper011206.jpgL’article
de M. Mohamed Kilani a attiré mon attention et je souhaiterais lui apporter
quelques observations. Celles-ci découlent de ma propre expérience en France
dans des groupes industriels, dont les responsabilités m’ont amené à
négocier avec les grandes centrales d’achat françaises et dans la grande
distribution, ensuite, comme cadre dirigeant pendant douze ans, chez
Promodes (Continent, Champion, Shopi, etc.) fusionné avec Carrefour fin
1999.

L’hypermarché est-il fait pour les populations qui ont un fort pouvoir
d’achat ? Contrairement à ce que dit M. Kilani, c’est non. En préalable, il
faut préciser qu’un hypermarché n’est pas un format de point de vente
standardisé ; il est défini comme une surface de vente de 2500 m2 à
l’intérieur des caisses ; le plus grand en France est à Toulouse avec 23000
m2.

Analyser l’impact stratégique des hypermarchés nécessite déjà de savoir de
quelle taille d’hypermarché on parle. Quand M. Marcel Fournier à créé son
premier hypermarché Carrefour en 1963 à Ste Geneviève-Des-Bois dans
l’Essonne, sur une surface de 2500 m2 (soit à peu près l’équivalent de
Promogro La Marsa ), il s’agissait simplement d’offrir aux clients
différentes catégories de produits : alimentaire, textile, bazar, etc. sous
le même toit, en libre service et à des prix nettement plus attractifs que
ceux pratiqués dans les commerces traditionnels de l’époque.

Malgré une forte évolution en taille, en sophistication apparente,
l’hypermarché d’aujourd’hui reste conforme au concept initial. Le mix
marketing de l’offre hypermarché qui se dégage aujourd’hui doit rester fort
dans sa composante compétitivité prix, ce qui le rend attractif dans tous
les pays du monde et pour toutes les classes sociales, mais ce ne sont pas
les riches (terme qu’il faudrait définir) qui fréquentent le plus les
hypermarchés.

En 1985, lorsque Promodes à ouvert le premier hypermarché à Porto
(Portugal), pays le plus pauvre à l’époque de l’Europe, son succès a été
foudroyant. Il a été à la base d’un développement très rapide de la
modernisation de la distribution détail avec son corollaire l’émergence
d’industriels forts et la satisfaction des consommateurs qui y ont trouvé un
outil modérateur d’inflation et d’accroissement de leur pouvoir d’achat.

L’exemple du Portugal pourrait être multiplié, mais il reste très
intéressant pour la Tunisie qui est de taille similaire, comparable
aujourd’hui à ce qu’il était dans les années 85, pays qui a été précisément
l’objet de benchmark par les autorités publiques tunisiennes.

Les hypermarchés tunisiens ont-ils des difficultés à trouver un marché
solvable, qui, pour offrir des prix attractifs, négocient durement avec les
industriels ? Ce lien de cause à effet ne peut pas être fait. Dans l’état
actuel global de l’offre détail en Tunisie, à 85% traditionnelle, voire
archaïque, le potentiel marché existe réellement. L’attractivité des prix
(prix discountés) est inhérente au concept historique et n’a rien à voir
avec le potentiel du marché tunisien. Par contre, la relation prix de vente
public discounté, prix d’achat est réelle et peut amener des tensions de
négociation ; ces pratiques et méthodes d’achat sont depuis longtemps
transnationales ou aculturelles et sont bien évidemment un peu dérangeantes
pour les industriels habitués dans le passé à être totalement maîtres du jeu
devant des «petits clients» totalement atomisés.

C’est ce que l’on pourrait appeler ici la découverte de l’expérimentation
d’un pouvoir et d’un contrepouvoir ; dimension qui, apparemment, ne fait pas
encore trop partie de la culture nationale auprès de tous les leaders de
tous les secteurs du pays.

On pourrait dire également qu’il s’agit d’un effet concret de l’impact de la
mondialisation sur le comportement et la mentalité des individus. En
d’autres termes, les concepts exogènes performants et aculturels réactivent
avec vigueur le jeu concurrentiel. Devant cette «tension», les industriels
sont libres de mettre la limite tarifaire là ou ils le souhaitent et ne sont
jamais obligés d’accepter tout ce que leur demande l’hypermarché ou la
grande distribution.

Dans tous les cas, ils devront travailler leur productivité globale. A ce
stade, il s’agit également de développer des «savoir-faire spécifiques» liés
aux méthodes et aux capacités de négociation ; les industriels tunisiens
devront faire leur apprentissage dans ce sens, car historiquement et au plan
mondial la tension n’a jamais baissé, bien au contraire. Les industriels
tunisiens perdent-ils de leur substance ou richesse par rapport à
l’accroissement des remises ?

Toutes proportions gardées, dans certains cas ce n’est pas impossible, même
si le raisonnement de la marge unitaire est obsolète (avec la grande
distribution c’est la rotation des produits qui est importante donc les
quantités multipliées par la marge unitaire). Mais cette observation se
limite dans le cadre d’une vision court termiste et dans une politique
statique de la part des industriels.

Au-delà de l’aspect négociation, le problème plus global des industriels
tunisiens est qu’ils ne profitent pas encore suffisamment des impacts de la
grande distribution ; (sur ce point nous oublions momentanément
l’hypermarché pour parler d’une distribution moderne, gérée par des
entreprises stratégiquement et opérationnellement fortes, soit spécialisées
par format de magasin, hyper, super, proximité, soit développant un mixage
de multi formats).

En effet, la grande distribution permet aux industriels de faire des
économies d’échelle, de développer une innovation produits, d’optimiser la
logistique, etc. Pour qu’ils «encaissent» réellement ces effets, la grande
distribution (multi formats) devrait représenter une part de marché d’au
moins 50 à 55% du commerce de détail, alors qu’aujourd’hui, selon les
estimations, la Grande Distribution représenterait de l’ordre de 15%. De ce
point de vue, la Tunisie est dans une phase de transition de modernisation
qui est beaucoup trop longue, non-conforme par ailleurs aux standards
internationaux.

Ce qu’il est important de savoir à partir de l’expérience française, c’est
que toutes les études économiques réalisées pour analyser les évolutions de
valeur ajoutée, de rentabilité des industriels et des groupes de
distribution ont démontré qu’il n’y avait pas eu de cannibalisation des
richesses à l’avantage de la distribution. Mais il est évident que les
industriels ont dû faire un travail énorme de productivité et de remises en
cause sur le fond de leur gestion et de leur stratégie. C’est là que se
situe le vrai défi incontournable des industriels tunisiens. Antoine Riboud,
à l’origine de Danone, avocat infatigable de la coopération entre
l’industrie et les groupes de distribution a bien démontré que s’adapter à
la grande distribution française et européenne pouvait représenter une
réelle opportunité et une très grande success story.

Produits de marque nationale et importation, l’annonce d’une disparition des
produits Tunisiens ? L’offre de produits des hypermarchés est structurée à
plusieurs niveaux : les marques nationales, les marques de distributeur
(quasi inexistantes actuellement en Tunisie) les premiers prix ou entrée de
gamme. Les industriels tunisiens devront dans le futur élaborer leur propre
positionnement stratégique de produit/marque par rapport à ces trois
niveaux, relayé par le positionnement consommateurs ; il s’agit d’un basic
marketing, mais la cohérence de la démarche est loin d’être atteinte
aujourd’hui. Les produits d’importation peuvent être des grandes marques
françaises à forte notoriété et image, elles sont une menace apparente, mais
rien n’empêche les industriels tunisiens de travailler sous licence ou de
trouver de nouveaux modes de partenariats avec les industriels étrangers,
même s’il faut concéder un peu de pouvoir. Les autres produits (toutes
origines, Asie ….) devraient être des non marques, en priorité des
premiers prix qui auront toujours leur place comme en Europe et dépasseront
rarement 25% de pénétration.

Sans entrer dans trop de détails techniques, les produits et les marques
tunisiens auront toujours leur place à condition qu’ils représentent et
gardent une vraie valeur pour le consommateur. Les relations
entreprises/centrales d’achat sont elles régies par des règles en vigueur en
France et donc des règles du jeu non conformes aux lois tunisiennes ? Je ne
me permettrai pas de juger ces relations par rapport aux lois tunisiennes
que je ne connais pas suffisamment dans le détail sur ce thème. Sur cet
aspect très précis, comme je l’ai déjà dit ci-dessus, c’est l’aspect
aculturel qui domine et pas spécifiquement les règles du jeu françaises ;
Comment négocie Wall Mart, N°1 mondial aux Etats-Unis et dans le monde ?
Comment négocie Tesco en Grande Bretagne ? De la même manière. Le
gouvernement français a légiféré sur ce thème à deux reprises depuis dix ans
au moment où la grande distribution représentait de 65 à 70% de part de
marché du détail, ce qui pouvait être considéré comme excessif et créateur
d’un déséquilibre structurel dans les rapports industrie/commerce. Mais en
vain, car ces mêmes lois ont eu des effets pervers imprévus dans cette
relation.

La loi est rigide, lente, le commerce et la négociation sont souples,
réactifs et imaginatifs. Néanmoins, entre le 15% d’aujourd’hui en Tunisie et
le 65% en France, il y a une certaine marge de manœuvre avant la nécessité
de faire appel au Ministre du Commerce pour mettre de l’ordre même si l’on a
un sens aigu de l’anticipation. L’appel au ministre du Commerce paraîtrait
plus judicieux pour la mise en place d’une politique moderne et globale du
commerce de détail, qui intégrerait les caractéristiques du potentiel
régional et urbain de chaque gouvernorat, en le maillant de manière
équilibrée et harmonieuse par des politiques de points de ventes multi
formats (hyper, moyen hyper, petit hyper, supermarchés, supérettes).

Tout ceci en recherchant une mise en œuvre rapide dans le respect des règles
d’autorisation d’ouverture, pour atteindre un optimum de performances, tout
en préservant un bon équilibre économico-social. Sur ce point, il semblerait
qu’il y ait un schéma directeur à l’étude initié par les autorités
compétentes. Ceci permettrait d’enclencher un vrai cercle vertueux de
l’amont à l’aval des opérations (industrie – commerce – consommateurs),
développerait la qualité globale de toute cette chaîne de valeur et surtout
apporterait plus de pouvoir d’achat aux consommateurs. Les Tunisiens en ont
grandement besoin, puisque d’après M. Kilani, la population locale «n’a pas
un fort pouvoir d’achat», mais aussi parce que le taux d’inflation est
annoncé à 4,7% par l’INS, pour une évolution moyenne des salaires qui reste
inconnue, mais certainement très en deçà.

En conclusion, oui à l’hypermarché, oui à une distribution moderne
multiformat, oui à une efficacité de l’offre commerciale.

M.Yvon J. Vache, MRC Management de la Relation Client

Réaction pour l’article :

Commerce : Les hypermarchés sont-ils un danger pour l’industrie nationale ?


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