Comme
tout citoyen normalement constitué, j’évitais au maximum tout contact avec
l’administration. De très gros progrès y ont été effectués et il n’est plus
rare, heureusement, de voir des fonctionnaires vous sourire gentiment et
faire leur travail convenablement.
Cela dit, je demeure réticent traînant ainsi cette mauvaise idée héritée du
passé. Un peu comme un réflexe de Pavlov : quand on me dit administration,
il y a quelque chose en moi qui me dit : évite, ménage tes nerfs et ton
temps !
Comme tout père de famille, je reçois une fois par trimestre un mandat de la
CNSS. Ce mandat dont le montant mensuel ne suffit plus à l’achat de couches
et encore moins pour l’achat de boîtes de lait en poudre
en pharmacie. Et comme je suis à 21 dinars près (un journaliste ne gagne pas
très confortablement sa vie, comme vous le savez certainement), je me dois
d’aller à la Poste du coin pour récupérer mon argent. Pour ce faire, il faut
présenter une pièce d’identité.
Il y a huit mois de cela, la postière (toute souriante) a oublié de me rendre
ma carte d’identité après m’avoir réglé le mandat. J’ai oublié moi-même de
la réclamer. L’erreur est partagée. Un mois plus tard, m’apercevant de la
perte de ma carte d’identité et ne me rappelant plus où je l’ai perdue, j’ai
commencé à faire le tour des entreprises et administrations où j’ai dû la
présenter. Elles ne sont pas nombreuses, car généralement je refuse
catégoriquement de mettre ma carte d’identité en otage contre un badge
d’accès à une entreprise. C’est illégal et tant que je peux rouspéter face à
cet abus, je rouspète.
Alors, j’ai commencé par la Poste en m’adressant au guichet pour demander
s’ils n’ont pas trouvé par hasard cette carte. On me renvoya vers un autre
guichet, puis vers un bureau, ensuite vers un autre bureau pour me dire,
finalement, que je n’ai pas oublié ma carte chez eux ou bien que, si c’est
le cas, qu’elle a été envoyée au Poste de police du coin. Je vais voir la
Police et, là aussi, il n’y a rien.
Comme je n’avais nullement ni le courage ni le temps d’affronter
l’administration pour obtenir une autre carte et comme j’avais mon passeport
qui me permettait de régler les affaires courantes, je suis resté huit mois
durant sans carte d’identité. Jusqu’au jour où une ancienne collègue de
travail m’a appelé pour me dire qu’elle a reçu un courrier de la Poste d’El
Manar contenant ma carte d’identité. C’est là où je l’ai perdue et c’est là
où je suis allé en premier.
C’est un agent qui a eu la peine de trouver une enveloppe et l’adresse de
mon ancien journal (son nom figurait dans la rubrique profession de ma
carte) et a eu la gentillesse de me rendre ma chère carte. Je ne connais pas
cet agent (un homme, une femme ?), mais je sais qu’il y a au moins un à la
Poste qui fait son travail avec conscience. Voire avec zèle, car
il n’était nullement obligé d’aller chercher l’adresse d’un journal pour
envoyer sa carte à un journaliste distrait qui n’avait même pas d’adresse
claire inscrite au dos de cette carte.
Je suis sûr que ce fonctionnaire, à qui je rends un grand hommage et à qui
je dis un grand merci, avait mieux à faire que de rendre service aux
citoyens distraits. Je suis sûr qu’il fait bien son boulot. Qu’il est
concentré dans son boulot. Pourtant, il est entouré de gens qui ne sont pas
aussi professionnels que lui. A commencer par moi-même (son «client») qui
suis distrait. Sa collègue à lui, qui est aussi distraite que lui. Ses
collègues à lui vers qui je suis allé pour réclamer ma carte d’identité et
qui m’ont fait balader dans tous les bureaux pour me dire que ma carte n’y
était pas alors qu’elle y était !
Ma question est (et c’est cette question qui justifie toute cette
chronique) : qui des agents va contaminer l’autre ? Qui des distraits ou des
professionnels va vaincre l’autre ? De cette réponse dépend l’avenir de la
Poste et de toutes les autres institutions (administrations et autres) de la
Tunisie.