M. François LOOS,
ministre français délégué à l’Industrie, était en visite officielle en
Tunisie, les 11 et 12 janvier 2007, pour assister à la signature d’un
protocole d’accord entre
l’association du Pôle Solutions Communicantes Sécurisées (microélectronique,
des logiciels, des télécommunications, du multimédia, des services et usages
des TIC de la région PACA) et le consortium tunisien des TIC (composé des
technopôles d’Elgazala, de Sfax, de Sousse).
En marge de cette
visite, M. LOOS nous a accordé l’interview ci-dessous au cours de laquelle
il a mis en exergue l’importance, pour les années à avenir, de cette vision
commune entre ces pôles et parcs. Au passage, il souligne que, dans la
compétition mondiale actuelle, il est primordial d’être offensif…
Monsieur le ministre,
quels ont été les résultats de votre visite en Tunisie ?
François LOOS :
Le résultat, c’est la signature des accords de coopération avec la Tunisie
pour donner aux secteurs de l’électronique, de l’agroalimentaire et du
textile une vision future commune et des stratégies qui permettent d’aller
vite et plus loin dans ces domaines. Il faut insister sur le fait que cela
n’est pas mené de façon technocratique, mais par des entreprises
elles-mêmes, parce que chez nous, les pôles de compétitivité ce sont des
associations qui comprennent, en moyenne, 77 entreprises (4-5 grandes et 70
petites…) et 15 laboratoires de recherche. Ces entreprises se mettent
ensemble avec des laboratoires de recherche qui sont du secteur et qui
s’occupent de la formation, de la recherche, et conçoivent ensemble
l’avenir. Par exemple, les
entreprises du textile définissent ce qui est important pour elles et fixent
par conséquent leurs besoins. Ainsi, ils diront notamment qu’il leur faut de
nouveaux matériaux, personnaliser les produits qu’on fabrique, et il faut
une conception marketing entre la fabrication et le produit final. Puis
chercher où et comment trouver ces matériaux… Tout ceci constitue en fait
l’objet des travaux collectifs qui vont maintenant être partagés entre les
entreprises qui font ça en France et les entreprises qui le font en Tunisie. Bien
entendu, cet exemple
pour le textile est valable pour l’électronique et l’agroalimentaire.
Donc, trois secteurs
extrêmement importants dans lesquels ce travail sur le futur va construire
ensemble. C’est très important parce que dans la compétition mondiale, le défensif
uniquement ne va nous aider, mais il faut également de l’offensif, et on
obtient ce dernier avec l’innovation, la créativité. Celui qui regarde le train
passer, à un certain moment ne plus dans le coup.
Ainsi, toutes ces
entreprises se sont décidées à aller ensemble avec des Tunisiens vers cette
vision du futur. D’ailleurs, mon homologue Afif Chelbi (ministre tunisien de
l’Industrie, de l’Energie et des PME, NDLR) et moi-même avions prévu que
cela susciterait l’intérêt, et aujourd’hui on voit bien que ça suscite
vraiment l’intérêt, car se sont les entreprises françaises elles-mêmes qui
sont venues avec leurs partenaires tunisiens.
De façon concrète,
qu’est-ce que ces entreprises françaises vont apporter à leurs homologues
tunisiennes ?
En fait, les pôles ou
parcs français et tunisiens vont échanger des postes dans les instances de
gouvernance des pôles ou des parcs. C’est-à-dire que dans l’endroit où on
aura décidé de ce qui est prioritaire pour le futur, s’il y a 20 Français,
on y mettra un Tunisien, et s’il y a 20 Tunisiens, on y mettra un Français.
Autrement dit, ils vont s’échanger des données pour que l’information circule et soit
partagée.
D’ailleurs
vous le savez bien -c’est votre métier-, l’information c’est le seul bien
qui, quand vous le divisez, il se multiplie, et quand vous en distribuez, il
y en a plus. C’est cela qu’on a organisé dans les secteurs que j’ai cités
plus haut.
En clair, dans ces
cercles, il y en aura ceux qui vont chercher, d’autres qui vont former,
d’autres encore qui exécuteront… Ce qui donnera une base plus large pour
faire des échanges. Et puis, ils vont élaborer des projets communs dont le
processus est le même. Par exemple dans le secteur du textile, quand ils
décident de faire du textile à mémoire de forme, ils vont commencer par se
poser un certain nombre de questions : est-ce qu’il y a des tissus à mémoire
de forme dont on a besoin en Tunisie et/ou en France ? Comment peut-on les
fabriquer ? Qui va les fabriquer ? Est-ce que cette compétence peut être
partagée ? Est-ce qu’elle est trop concurrentielle ? Est-ce qu’on partage un
programme de recherche commun ? Une fois ces questions et bien d’autres
posées, les partenaires vont essayer d’établir un plan de travail commun,
des projets communs.
Justement dans le
domaine du textile, les entreprises tunisiennes souffrent de la fin des
Accords multifibres (AMF). Mais ce qui fait encore plus peur aujourd’hui en
Tunisie, c’est l’échéance ‘’janvier 2008’’, l’accord de libre-échange.
Alors, que peuvent faire la France, en particulier, et l’Union européenne,
en général, pour la Tunisie ?
D’abord ce qui a été
fait, c’est effectivement l’accord d’association, la zone de libre-échange
entre la Tunisie et l’Union européenne,
l’accord de libre-échange entre la Tunisie, le Maroc et la Turquie… Tout
ceci permet de supprimer les droits de douane intra-Euromed, et donc d’avoir
les meilleures conditions de prix de revient face à la concurrence, par
exemple chinoise. Mais cela c’est du défensif. Par contre, ce qu’on peut
faire et qu’il faut faire, c’est aussi de l’offensif au travers
l’innovation, et aller plus vite. C’est ce qu’on est en train de faire avec
ces pôles et parcs… Autrement dit, la partie défensive est déjà mise en
place, on s’était occupés avec Mondher Zenaïdi (ministre tunisien du
Commerce et de l’Artisanat, NDLR) et moi-même quand j’étais au Commerce
extérieur jusqu’à la décision de signer l’accord de libre-échange
Maroc-Tunisie-Turquie…
En fait, le marquage
d’origine Euromed donne les meilleures conditions pour faire face à la
concurrence, mais cela ne donne pas le produit que les clients vont vouloir,
cela vous donne simplement le droit de ne pas vous coller du flottement
fiscal -il n’y a pas de droit douane dans le système, c’est donc le moins
cher possible. Donc, ce qui est important, c’est d’avoir le meilleur produit
qui soit en avance par rapport à la concurrence; et pour ce faire, il faut de
l’innovation, de la créativité.
Mais monsieur le
ministre, dans le domaine de l’innovation, les Chinois aussi ne dorment pas,
et avec des coûts de production souvent moins élevés que ceux pratiqués dans les
pays du Bassin méditerranéen. Dans ces conditions, comment faire pour
contrer les marchandises chinoises… ?
Il est primordial d’être
présent sur les marchés qui existent et les servir. Ensuite, il faut voir
aussi sur ces marchés si on peut apporter une innovation qui rende votre
produit incontournable par rapport aux produits des concurrents. D’ailleurs,
si les Allemands sont les meilleurs au monde en termes d’exportation, c’est
parce qu’ils fabriquent des produits que personne d’autre ne fait…
C’est-à-dire qu’ils fabriquent des produits qui sont tellement bien faits
qu’ils peuvent les vendre à des prix élevés. C’est en étant spécialisé,
original, adapté au marché qu’on a une chance de mieux faire, ce qui l’est
moins quand on est
juste sous-traitant.
Donc, il faut que les
entreprises examinent quels sont les marchés sur lesquels elles peuvent
vendre, comment elles peuvent se spécialiser pour avoir une innovation telle
qu’elles deviennent spéciales… Voilà la clé dans la compétition avec la
Chine, mais pas seulement.
Toujours dans le même
ordre d’idées, est-ce que les produits dits ‘’chinois’’ ne sont pas souvent
des produits des entreprises européennes qui se sont délocalisées en Chine ?
Dans ce cas, y aurait-il des encouragements ou incitations pour que les
entreprises européennes délocalisent, ne reste qu’une partie de leur
production, dans les pays sud-méditerranéens ?
Il n’y a pas de
politique qui incite les industriels, en général, mais par contre, il y a
des industriels qui veulent vendre sur les marchés ; la Chine est un énorme
marché, le Maghreb en est un autre. Donc, ce qui est important pour une
entreprise, c’est de servir un marché, et pour le faire, il faut qu’elle
examine l’endroit où elle a intérêt à fabriquer et qu’est-ce qu’elle va
fabriquer. Aujourd’hui, ce que j’attends des entreprises, c’est qu’elles se
posent des questions : quelle est, pour moi (entreprise), les marchés de
destination accessible ? Ai-je intérêt à m’y implanter ou pas pour les
servir ? Est-ce que j’en ai les moyens ?
Encore une fois, il ne
faut pas seulement être défensif, mais il faut également être offensif. Et
si on est offensif, on considère la Chine comme un énorme marché, le Maghreb
également.
Que doivent faire
aujourd’hui les entreprises tunisiennes de textile pour être à la
compétition internationale ? Autrement dit, quels conseils leur donneriez-vous ?
Dans tous les domaines,
il faut toujours se poser la question suivante : ”qu’es-ce que le client
final va vouloir ?”. Les entreprises dans le textile sont souvent des
entreprises de fabrication déconnectées de la création et du service au
client. Demain, le service au client sera plus important que le prix de la
couture d’un bouton. Le talent ou l’art existe dans la capacité à comprendre
ce que veut le client. Alors, si vous me demandez quel conseil je donne aux
entreprises, je dis tout simplement de ne jamais perdre le contact avec
le client. C’est exactement la même chose dans l’agriculture : si les
agriculteurs oublient qu’ils sont là pour nourrir les gens, il se mettent à
fabriquer n’importe quoi…
Disons un mot sur la France.
Depuis quelques années
maintenant, on remarque un net recul du chômage en France. Est-ce que cela
est dû à des créations d’entreprises ?
En France, on crée
quelque 220.000 entreprises par an ; le chômage baisse d’environ 30.000
personnes par mois, on est en dessous de 9% du taux de chômage ; le pouvoir
d’achat augmente; on a réduit le déficit budgétaire… En un mot, les
paramètres macroéconomiques sont en amélioration constante. Ceci est lié
sans doute à la création d’entreprises, mais également à une meilleure
organisation de la recherche d’emploi pour les chômeurs. Cependant, il faut
encore améliorer la recherche d’emploi, l’orientation professionnelle ; il
faut que les entreprises aient des bonnes conditions sociales de travail,
etc. Il s’agit des choses sur lesquelles le gouvernement a travaillé, et que
les gouvernements à venir vont améliorer. Mais il est clair que les progrès
qu’on a faits se voient dans les résultats macroéconomiques de la France
aujourd’hui.