La politique agricole de
la Tunisie a fait un long parcours, depuis les années 80 : du dirigisme de
la période post-indépendance jusqu’à la préoccupation actuelle en matière de
compétitivité internationale.
Elle a pour
mérite d’avoir garanti la sécurité alimentaire du pays.
Pour ne citer que quelques chiffres, le rendement de la
production agricole a cru au taux de 2,8% par an depuis 1989. Le secteur a
fourni un quart des nouveaux emplois en Tunisie dans les années 90, créant
deux fois plus d’emplois par unité de PIB que l’économie dans son ensemble.
Et pourtant, le secteur demeure peu libéralisé. Selon l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), les réformes mises en place par la Tunisie,
durant ces deux dernières décennies «n’ont pas substantiellement libéralisé
les échanges».
Les sacrifices des
consommateurs et des contribuables
Pour M. Theodore Ahlers,
directeur du département Maghreb à la Banque mondiale, «une grande part de
la réussite de l’agriculture se doit aux sacrifices du consommateur et du
contribuable tunisiens».
Le responsable de la
Banque mondiale estime que «la protection commerciale maintient les prix
alimentaires à un niveau très élevé et équivaut à une augmentation de 4% du
coût de la vie.
Pour lui, les
contribuables doivent payer 170 millions de dinars par an pour la
compensation des prix, dont la plupart sont destinés aux agriculteurs ayant
de grosses exploitations».
Il en coûte, à ses yeux,
quatre fois le PIB par habitant pour préserver un emploi dans les cultures
céréalières au moyen de la protection des échanges et du soutien des prix.
M. Ahlers pense
également que la croissance du secteur agricole est faussée. Elle ne
suivrait pas la compétitivité. 40% de la croissance agricole se rapportent à
des produits qui coûtent plus cher à produire qu’à importer, ce qui signifie
une perte nette pour l’économie.
Les propositions de la
banque mondiale
L’étude de la Banque
mondiale recommande à la Tunisie d’entreprendre deux réformes structurantes
pour tirer le meilleur profit du secteur agricole.
La première réforme
consisterait à entreprendre des chantiers pour conférer l’efficience requise
aux mécanismes de subventions qui doivent bénéficier aux catégories rurales
les plus démunies.
Il s’agit d’abandonner,
à l’instar de pays comme la Turquie et le Mexique, les politiques de soutien
des prix, de les remplacer par des systèmes d’appui directs aux ménages,
d’adopter une politique de croissance du secteur basée sur les avantages
compétitifs et d’opter pour des investissements adaptés aux recommandations
des cartes agricoles.
Il s’agit aussi de
baisser les tarifs sur les importations agricoles et de mettre fin aux
contrôles des marges de détail, aux contrôles des prix semi-officiels et aux
programmes ad hoc d’importations.
«Les réductions
tarifaires des importations sont essentielles. Comment la Tunisie peut-elle
respecter son quota d’agrumes avec l’UE quand les oranges coûtent autant à
Tunis qu’à Londres ? Comment la Tunisie peut-elle développer son industrie
des conserves alimentaires quand, par exemple, les fabricants tunisiens de
purée de tomates payent plus pour les tomates crues que leurs
concurrents en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie ? Comment un
marché peut-il travailler efficacement quand les prix sont tirés à la hausse
par les tarifs au port et ensuite tirés à la baisse à nouveau par les «prix
de référence» à l’entrepôt ?», s’est interrogé M. Ahlers.
La deuxième réforme
consiste à responsabiliser les structures d’appui au secteur et aux
agriculteurs.
L’étude propose de
supprimer les monopoles, tels que l’Office de blé, d’associer les
professionnels à la gestion des services liés à l’agriculture (recherche,
vulgarisation) et de transférer l’importation et la commercialisation des
céréales aux privés, l’ultime but étant de faire en sorte que les structures
d’appui et d’encadrement soient mieux réactives aux besoins des
agriculteurs.
L’étude suggère
globalement de relever les défis de la compétitivité, de l’emploi et la
satisfaction des demandes de qualité. Il s’agit également de rajeunir la
population des agriculteurs dont la plupart ont plus de 60 ans et sont en
plus illettrés, et d’améliorer les conditions d’accès au financement
bancaire. Jusqu’à présent l’investissement agricole, contrairement aux
placements dans les autres secteurs, est financé, à hauteur de 20% par
l’Etat, 10% par les banques et 70% par l’exploitant agricole
(autofinancement).
En dépit de la gravité
de ce diagnostic sans appel et de l’émergence de tant de paradoxes, il
serait dangereux, à notre avis, de suivre à la lettre cette prescription de
la Banque mondiale, du moins dans certains cas. Ainsi, relever que «40% de
la croissance agricole se rapportent à des produits qui coûtent plus cher à
produire qu’à importer» ne doit jamais se traduire par une quelconque
tendance à abandonner le travail de la terre dans notre pays qui a une
vocation essentiellement agricole.
L’agriculture c’est un
secteur très sensible : il a une triple facette (politique, économique et
sociale). D’où tout l’enjeu de le manier avec beaucoup de délicatesse et de
doigté.
Nous croyons par contre
que les efforts doivent se concentrer sur la protection des terres agricoles
(lutte contre l’érosion), de les adapter aux nouvelles exigences climatiques
(réchauffement du climat) et des impératifs de haut rendement à travers
notamment la mise en place de mécanismes régulateurs efficaces, le
développement de la recherche et la lutte contre le morcellement de la
propriété agricole.