Les
petits exploitants agricoles sont toujours non bancables en dépit des
efforts déployés, des décennies durant, pour les faire accéder à des
financements appropriés, réguliers et durables.
L’inflation des mécanismes mis en place, programme de
développement rural
(toutes générations confondues), programme de la famille
productive, associations et institution de microfinance et autres
instruments n’ont servi à rien…
Le revenu du petit agriculteur n’a pas évolué d’un iota,
depuis plus d’une décennie. Selon
la Banque mondiale, le
revenu annuel moyen du petit exploitant agricole était de 2500 dollars en
2004, exactement comme en 1992.
Moralité : à défaut d’accès aux sources de financement, le
petit exploitant agricole demeure relativement pauvre et l’agriculture ne
peut en aucune manière se développer avec des agriculteurs démunis.
Ce sont là les principales conclusions d’un séminaire
national sur la contribution de la Banque tunisienne de solidarité (BTS) et
des ONG de microcrédit au financement des petits projets agricoles,
organisé, mardi 20 février 2007, à Tunis, à l’initiative du ministère de
l’agriculture et des ressources hydrauliques.
La petite agriculture, c’est-à-dire les petites
exploitations agricoles de moins de 10 hectares représentent 75% de la
superficie totale réservée à l’agriculture tunisienne. C’est autant dire que
l’agriculture dans notre pays est en fait essentiellement de la petite
agriculture. Celle-ci englobe aussi les élevages domestiques et les petites
embarcations de pêche.
Officiellement, quelque 410 mille exploitations agricoles
exercent ce type d’agriculture sur une superficie globale de 2,8 millions
d’hectares.
A caractère familial, la petite exploitation agricole joue
un rôle majeur dans la sédentarisation des communautés rurales, le
développement local, la préservation de l’environnement et la promotion de
l’emploi.
Mieux, la petite agriculture présente l’avantage de ne
produire que du bio.
L’handicap du financement par les chiffres
Et pourtant, en dépit de cette importance
multidimensionnelle, la petite agriculture ne bénéficie pas, jusqu’ici, de
financements adaptés.
Pis, il ressort d’une récente étude réalisée par l’Union
tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) sur le financement de
l’agriculture et de la pêche que le nombre des petits exploitants agricoles
bénéficiaires de crédits agricoles est en régression continue, passant de
54% au cours du quinquennat 1990-1994 à 36% au cours de la période 2000-
2004.
La même étude relève, également, que la contribution du
secteur bancaire au financement de l’agriculture en général a diminué,
passant de 16,1% au cours du VIIIème Plan (1992-2006), à 11,3% durant le
IXème Plan (1997-2001) et à 10% durant le Xème Plan (2002-2006).
Même
la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS), la banque des non-bancables,
n’a contribué que très peu, depuis sa création, au financement de la petite
agriculture. La BTS
n’a financé, jusqu’à présent, que 13,3 mille projets mobilisant des
investissements de l’ordre de 54,623 MD, soit “seulement” 15% des
interventions de la banque, un taux fort modeste au regard des besoins.
Les responsables de la BTS expliquent la modestie des
concours de la banque par quatre facteurs : la baisse du taux de
remboursement (moins de 42%), l’inexistence de crédits destinés aux
activités agricoles saisonnières telles que les cultures maraîchères et les
grandes cultures, la faiblesse de la part des financements destinés aux
diplômés du supérieur (moins de 5%) et l’absence de crédits à long terme
(pour les activités de plantation, forage des puits,…).
Seules les «Ong conventionnelles» (associations autorisées
à accorder des microcrédits) ont contribué, de manière substantielle, au
financement de la petite agriculture.
La part des crédits destinés aux projets agricoles dans les
interventions de ces associations s’élève à 41%, soit 220 mille crédits pour
une valeur de 176 millions de dinars. La moyenne de ces crédits varie entre
800 dinars et un plafond de 4 mille dinars. Une précision de taille : ces
Ong ont rarement octroyé des crédits d’un montant de 4000 dinars.
Voilà pour le diagnostic. Reste le débat, qui fait
ressortir les difficultés de financement de la petite agriculture et les
pistes à explorer pour y remédier.
Pour le ministre des Finances, Mohamed Rachid K’chich, la
difficulté principale qui entrave le développement du financement du secteur
réside dans les charges générées par le rééchelonnement des dettes, et ce,
en dépit de l’intervention du Fonds national de garantie qui a résorbé une
partie des intérêts du rééchelonnement des crédits agricoles ( 34 millions
de dinars en 2006).
Ce rééchelonnement, qui plombe toute initiative du petit
exploitant agricole, est un réaménagement des échéances qui consiste à payer
une ancienne dette en contractant une nouvelle. Résultat : le petit
exploitant agricole est un éternel endetté.
Des pistes à explorer
Au rayon des solutions, les experts ont suggéré d’
augmenter le plafond des prêts octroyés aux petits agriculteurs, d’ adapter
leurs échéances à la saisonnalité des activités agricoles et de diversifier
les crédits (crédits saisonniers et crédits à long terme).
Pour sa part, le président de l’Union tunisienne de
l’agriculture et de la pêche (UTAP), Mabrouk Bahri a plaidé pour la mise en
place des mécanismes de suivi des projets agricoles et pour un meilleur
encadrement des petits exploitants agricoles.
Mohamed Habib Haddad, ministre de l’Agriculture a
recommandé aux petits exploitants agricoles d’investir dans les créneaux à
forte valeur ajoutée. Il s’agit pour l’essentiel de services annexes à
l’agriculture, la première transformation, l’agriculture biologique, les
nouvelles cultures et les cultures médicinales et aromatiques.
Dans une récente étude
sur l’agriculture, la Banque mondiale rejoint cette approche de montée en
gamme de l’activité agricole et estime que l’avantage compétitif du secteur
repose sur la production de biens de haute qualité et de valeur élevée pour
les exportations.
Pour la Banque mondiale,
une telle approche exige de l’administration tunisienne de ne plus
intervenir sur le marché (subventions aux produits non concurrentiels,
contrôle des prix de détail et protection élevée des tarifs sur les
importations alimentaires). De telles pratiques découragent, selon elle, les
agriculteurs de cultiver des produits compétitifs à l’exportation.
A titre indicatif, elle
fait remarquer que les subventions payées par le contribuable (170 millions
de dinars par an pour la compensation des prix) ne ciblent pas les petits
exploitants agricoles et ne profitent en fait qu’aux propriétaires des
grosses exploitations.