Le
Parlement a abrité, au début de ce mois, une journée d’étude sur «la
structure démographique en Tunisie : défis et perspectives» (9mai 2007).
Les communications, faites à cette occasion, ont dégagé un changement de la
structure de la population : moins d’enfants, moins de jeunes, moins de
femmes fécondes, plus de vieux solitaires enclins à vivre plus longtemps et
plus de postulants à un emploi. Des répercussions sont attendues sur
l’éducation, la santé, le marché du travail, les régimes de retraite… Tout
un chantier en vue.
Néanmoins, empressons-nous de préciser tout de suite, qu’au regard de ce qui
se passe ailleurs (en Europe et dans les pays émergents), ce changement est
simplement préoccupant à long terme mais n’est nullement alarmant à court et
moyen terme.
Les pressions sont prévues à partir de 2030. Cette thèse est étayée par une
étude menée par Mehdi Ben Braham, universitaire (Paris Dauphine) sur
«l’avenir de la retraite en Tunisie : leçons des expériences étrangères».
Ce chercheur écrit notamment : «Le vieillissement démographique, auquel les
pays développés vont devoir faire face au cours des décennies à venir,
menace l’équilibre de leur système de retraite».
Les échéances sont plus lointaines pour la plupart des pays émergents, mais
compte tenu de la nécessité d’étaler dans le temps les réformes, la remise
en cause du système actuel de retraite est également un sujet d’actualité
pour certains d’entre eux. C’est le cas, entre autres de la Tunisie.
Pour revenir à cette évolution démographique de la Tunisie, celle-ci est
perceptible à travers trois indices majeurs :
Premièrement, une régression de la catégorie de jeunes âgés de moins de 15
ans qui pourrait se traduire par une forte baisse de la demande sur
l’éducation. Parmi les scénarios possibles, de nombreux établissements
scolaires pourraient fermer à défaut de nombre suffisant d’élèves.
Deuxièmement, la tendance de la population au vieillissement. Les nombreuses
générations des années 50 seront mises à la retraite, à l’horizon 2010. Pour
Mahmoud Saklani, membre du conseil scientifique de l’Office National de la
Famille et de la Population (ONFP), le phénomène du vieillissement de la
population est le résultat de la politique de planning familial et du recul
du taux de fertilité de la femme tunisienne qui a été de 7 enfants en 1956 à
seulement 2 enfants en 2004.
Les intervenants sont d’accord sur un point. Si rien n’est fait, une telle
tendance risque d’avoir des incidences fort négatives sur les secteurs de la
santé et de l’assurance sociale.
Pis, selon M. Farouk Ben Mansour, directeur du Centre de la Santé
reproductive de Tunis, 9,3% de la population tunisienne ont plus de la
soixantaine avec comme corollaire immédiat l’apparition de nouvelles
maladies liées au vieillissement.
Les maladies cardio-vasculaires touchent, aujourd’hui, 40,2% des personnes
âgées de plus de 60 ans tandis que le nombre des diabétiques représentent
32% des personnes âgées dont les 2/3 sont des femmes.
Mieux, ces personnes âgées, dopées par l’amélioration du niveau de vie et
par les progrès de la médecine, vivront plus longtemps que leurs aïeuls.
Les effets de l’accroissement de l’espérance de vie sont connus. Ils peuvent
se traduire par une augmentation du coût des soins et la baisse du nombre
d’enfants dans la famille, et sa conséquence immédiate, l’abandon des
parents condamnés à une vieillesse solitaire. Et là c’est une tendance tout
à fait nouvelle.
Pour le moment, des statistiques officielles révèlent que 9,6% des personnes
âgées sont dépendantes et ont besoin d’accompagnement, soit 46.000
personnes, ce qui rend urgent le développement en médecine de la spécialité
de la gériatrie et à l’amélioration de la formation dans ce domaine.
Mohamed Chaâbane, directeur général des recherches et études dans le domaine
de la sécurité sociale, a soutenu que le vieillissement de la population
causera, dans les deux prochaines décennies, la dépendance des personnes
âgées de la sécurité sociale. Cette dépendance sera visible à travers les
pressions qui seront exercées sur les pensions de retraite, l’assurance
maladie et les prestations familiales.
Dans son discours du 1er mai 2007, le Chef de l’Etat s’est fait l’écho des
éventuels impacts de l’évolution démographique sur les régimes de retraite
et a annoncé deux échéances : dans un premier temps, il s’agit d’identifier,
d’ici 2009, «les catégories bénéficiant légalement de la couverture sociale,
mais qui restent encore en dehors de la couverture effective, faute d’avoir
adhéré au système».
Le message est clair pour tous ceux qui traînent encore du pied avant
d’adhérer aux régimes de sécurité sociale. Dans un second temps, le
président de la République a évoqué la création d’«une commission
consultative interdépartementale chargée d’approfondir le dialogue sur les
grands choix pour la réforme des régimes de retraite».
Troisièmement, l’augmentation de la population âgée de 15 à 59 ans se
traduira, quant à elle, par des demandes additionnelles d’emploi.
Selon la note d’orientation de la décennie 2007-2016, le gouvernement n’a
d’autre alternative que d’encourager la création du maximum de projets
générateurs d’emplois et de sources de revenus.
Objectif: créer pas moins de 80 mille emplois par an.
Si l’ensemble des mécanismes ne fonctionne pas et n’aide pas à atteindre
l’objectif fixé, la Tunisie sera confrontée à un scénario dramatique. Si on
croit la même note d’orientation, en cas de maintien des taux de croissance
actuels, soit une croissance potentielle annuelle de 4,5% durant le XIème
Plan (2007-2011) et de 4,8% durant le XIIème Plan (2012-2016), les créations
d’emploi sont estimées à 69 mille emplois par an, ce qui permettrait de
couvrir, seulement, 79,3% des demandes additionnelles.
Les conséquences d’un tel scénario sont le moins qu’on puisse dire
désastreuses. Le taux de chômage, actuellement de 14,2%, serait aggravé et
porté à 15,2% en 2011 et à 15,3% en 2016. Le chômage toucherait
particulièrement les diplômés du supérieur. Ces derniers, estimés en 2006 à
16% de la population active, en représenteraient 21,6% en 2011 et 26,1% en
2016.
Moralité : cap sur la croissance à des taux plus élevés (+6%) durant la
prochaine étape et sur la création du maximum d’entreprises.
Le pari est jouable pour peu que les privés qui créent les entreprises et
gagnent de l’argent fassent preuve de responsabilité et déclarent leurs
employés aux caisses de sécurité sociale. Le chaînon manquant à notre avis !