Tsuyoshi KIKUCHI : L’industrie tunisienne a besoin d’une nouvelle race de managers et de techniciens

Par : Tallel
 

japonais280507.jpgLa
Tunisie et le Japon coopèrent actuellement dans le cadre d’un projet pilote
concernant le secteur de l’industrie électrique et électronique, d’une part,
et celui de l’agroalimentaire, d’autre part. Ce projet est co-piloté par
l’Unité de gestion du programme national de la qualité (UGPQ), côté
tunisien, et la JICA (Agence japonaise de coopération internationale), côté
nippon. Afin d’en savoir davantage, nous avons rencontré M. Tsuyoshi KIKUCHI,
chef de mission de ”l’étude sur le plan directeur pour l’amélioration de la
qualité et de la productivité en République tunisienne”. Il nous explique
dans l’interview ci-dessous les tenants et aboutissants de ce projet. 


Webmanagercenter : En
quoi consiste ce projet et quels objectifs vise-t-il ?


Tsuyoshi KIKUCHI 
:
L’objectif de ce projet, c’est la réalisation d’un plan directeur pour
l’amélioration de la qualité et de la productivité de l’industrie
tunisienne. Au travers ce projet, nous pensons faire des propositions
concrètes visant à l’institutionnalisation de la qualité et la productivité,
autrement dit, créer une institution permanente de façon à ce que celle-ci
continue de s’occuper des problèmes relatifs à l’amélioration de la qualité.

Pour réaliser ces
objectifs, nous avons adopté une méthode concrète. D’abord, nous avons tenu
à connaître la réalité du terrain, tout en cherchant à savoir tout ce qui se
rapporte à l’amélioration de la qualité d’une façon générale en Tunisie.
Ainsi, nous nous sommes concentrés essentiellement sur le rôle du
gouvernement, celui du secteur privé, mais aussi celui des entreprises
concernées par l’amélioration de la qualité.

Dès notre arrivée en
Tunisie, nous avons tenu à visiter directement les entreprises et discuter
avec leurs responsables afin d’avoir une idée précise de leur réalité.
Durant 2 mois, nous avons effectué 83 entreprises : 33 dans le secteur
électrique et électronique, 30 dans celui agricole, et 20 autres tous
secteurs confondus.

La deuxième étape a
consisté, selon les critères de sélection convenus avec les parties
concernées, à retenir une trentaine d’entreprises qui vont
constituer la cible dans le cadre de ce projet pilote pour l’amélioration de
la qualité et de la productivité en Tunisie.

Au final, 29 entreprises
-30 au départ, mais une s’est désistée en cours de route- ayant répondu aux
critères définis ont été retenues pour faire partie de ce projet pilote.
Elles ont été réparties comme suit : 15 dans le secteur électrique et
électronique, et 14 dans celui agroalimentaire.

Toutes ces entreprises
ont été visitées afin d’établir un diagnostic de leur problématique toujours
en relation avec le projet. Suite
à ce diagnostic, nous avons fait des propositions de méthodologie visant à
apporter des solutions face au problème de l’amélioration de la qualité
auquel elles sont confrontées.

Comment
les diagnostics ont-ils été établis?

Les diagnostics ont été
effectués par nos consultants selon leur spécialité, secondés par ceux de
l’Unité de gestion du programme national de la qualité (UGPQ).

Il est important de
préciser que l’exécution de ce programme pilote, dont la durée est de deux
ans (août 2006 – juillet 2008, est un travail d’équipe entre les consultants
de l’UGPQ, ceux des centres techniques concernés (CETIME et CTAA) et leurs
homologues de la JICA.

L’un des objectifs de ce
projet consiste en le transfert de techniques et de savoir-faire à la partie
tunisienne, c’est-à-dire les consultants des différents centres techniques
concernés et ceux de l’UGPQ de manière à leur permettre de faire des
diagnostics sur l’amélioration de la qualité et de la compétitivité.

Il faut ajouter que la
sélection des entreprises a été faite en octobre 2006, et que, de janvier à
octobre 2007, le projet pilote sera opérationnel dans ces entreprises.


Comment les critères de
choix ont été établis ?

Pour établir les critères
de sélection, on a tenu compte de la taille de l’entreprise (petite ou grande),
entièrement ou partiellement exportatrice, produisant pour le marché local,
basée à Tunis ou dans les autres régions (une répartition géographique),
certifiée ISO ou pas. C’est dire qu’il s’agit d’un échantillon largement
représentatif…

Mais, le critère le plus
important a été sans aucun doute la volonté et la détermination des
dirigeants de ces entreprises de faire partie de ce projet pilote.


Qu’en est-il de
l’état d’esprit des chefs d’entreprise tunisiens concernant l’amélioration
de la qualité et de la compétitivité de l’entreprise
 ?

Je ne pourrais vous
répondre d’une façon objective, étant donné que ce sont les consultants qui
sont sur le terrain. Ceci dit, je puis dire que les premiers dirigeants des
entreprises qui font partie de ce  projet sont conscients de la nécessité de
mise en place d’un plan d’amélioration de la qualité et de la productivité
de l’entreprise. Toutefois, je pense qu’ils ne font pas assez d’effort pour
concrétiser cet état d’esprit. Mais plus grave encore, c’est qu’ils ne
réalisent pas que la compétition internationale s’installe petit à petit
dans le pays, et par conséquent, ils doivent faire beaucoup d’effort pour
être compétitifs.


Selon vous à quoi est dû
cela ?

Je pense que le fait que
les échanges de la Tunisie soient tournés essentiellement avec 4 pays
européens (France, Allemagne, Italie, Espagne), à cause des accords
privilégiés, cela prive la Tunisie d’autres débouchés en termes
d’exportations et d’importations, et pousse les entreprises à ne pas faire
beaucoup d’effort. Or, les matières premières importées à partir de l’Europe
sont relativement plus chères que si elles étaient importées d’autres pays hors
Europe. Je pense que l’Asie peut constituer un fournisseur potentiel de
matières premières pour la Tunisie avec des prix très compétitifs. 

Maintenant que la Tunisie
s’apprête à entrer dans le groupe des pays économiquement avancés, je pense
que la structure de son commerce extérieur devrait s’élargir davantage vers
d’autres marchés.


Soit. Mais n’oublions pas
les relations presque privilégiées qui existent entre la Tunisie et les pays
de l’Union européenne. Est-ce que des pays asiatiques, comme le Japon,
peuvent offrir à la Tunisie ce même type de relation …?

Vous savez, une économie
ne peut trouver son équilibre qu’en diversifiant ses importations et ses
exportations. Ainsi, la Tunisie pourrait bien diminuer ses importations en
provenance de l’UE et augmenter ses exportations vers les pays maghrébins ou
africains. Autrement dit, il faut toujours savoir remplacer les situations
de déséquilibre par la diversification des marchés.

Ceci étant, il n’y a pas
de relation de cause à effet entre l’amélioration de la qualité et la
productivité et compétitivité, d’autres aspects doivent être considérés. En
Tunisie, certaines entreprises sont fortement liées à des entreprises
européennes, ce qui leur garantit des débouchés, et par conséquent, elles ne
font pas assez d’effort pour innove et aller vers l’amélioration de la
qualité, et donc vers plus de compétitivité.

En un mot, pour que
l’industrie tunisienne soit compétitive sur tous les marchés, il est
indispensable d’améliorer la valeur ajoutée, c’est-à-dire qu’il faut que
celle-ci soit plus importante qu’elle ne l’est actuellement. Pour ce faire,
la Tunisie se doit d’investir davantage sur la Recherche & développement,
que l’entreprise tunisienne intervienne sur tous les aspects de fabrication,
de la production à la vente en passant par le marketing, le service
après-vente. Cela est de nature à lui permettre d’être compétitive sur
l’ensemble des marchés.


Est-ce que ce partenariat
dans le cadre de ce projet inclut un volet financier… ?

Concernant le volet
financement dans le cadre de la coopération entre la Tunisie et le Japon, la
Banque japonaise de coopération internationale (JBIC) apporte sa
contribution au Programme de mise à niveau en Tunisie de manière indirecte,
en finançant la Banque de financement des Petites et moyennes entreprises (BFPME).
Et cela va en parallèle avec notre projet qui vise à réaliser un plan
directeur qui couvre toute l’industrie tunisienne pour l’amélioration de la
qualité.


Compte tenu de ce lourd
handicap, pensez-vous pouvoir donner des armes de compétitivité aux
entreprises élues dans le cadre de ce projet pilote ?

Je dois reconnaître que
le temps qui nous est imparti pour la réalisation des objectifs de
ce projet est trop court pour qu’on
puisse réussir à enraciner, de façon durable, certaines techniques et le savoir japonais en
Tunisie. Donc, je pense qu’en dix ans, il sera possible de le faire, si on
continue sur la même lancée. Mais avant, ce sera difficile.

D’ailleurs, c’est ce
serait une bonne chose que tous les partenaires du pays, les Européens en
particulier, se mobilisent pour réaliser en Tunisie les meilleures
conditions d’amélioration de qualité et de la productivité.

C’est pour cette raison
que je pense nécessaire de former une nouvelle génération de ressources
humaines, plus consciencieuse et surtout apte à répondre aux enjeux et
critères de la nouvelle donne internationale en matière de compétitivité.
Cela concerne aussi bien les responsables d’entreprises que les ouvriers et
autres techniciens qui travaillent dans les zones de production.

C’est donc aux pouvoirs
publics de favoriser la mise en place de cet nouvel environnement où
émergeraient des nouvelles ressources humaines, plus consciencieuses plus
dynamiques, notamment sur le plan managérial et de technicité…


Propos recueillis par Tallel BAHOURY