Comme promis et après
avoir «rectifié» quelques notions théoriques et interprétations du code de
la route, place maintenant aux conseils pratiques à suivre pour ne pas
«énerver» le Tunisien au volant.
Tout d’abord pour aller à
une destination donnée, il faut se munir d’un GPS cérébral car non seulement
ce système de guidage par satellite n’est pas encore d’actualité chez nous,
en plus nos quartiers sont tellement mal indiqués et les pancartes, si elles
existent, sont soit mal fixées donc arrachées à la première brise de vent,
soit mises K.O par terre par l’un de nos très nombreux accidents de la
route. Si vous n’y arrivez pas malgré les cartes routières, naviguez à vue
ou à l’aide d’une boussole : si par exemple votre destination est au nord,
prenez tous les chemins qui mènent au nord tout en sachant que le sens
interdit est un sens permis ; rouler en sens inverse, sur les rails du métro
ou carrément sur le trottoir est bien toléré sur tout type de routes, et
emprunter un raccourci ou un chemin -parfois dangereux- créé du néant est
apprécié et même encouragé !
Sur la route, vous devez
vous munir de 3 qualités essentielles pour survivre à l’assaut des
conducteurs : une bonne dose d’opportunisme, une excellente lecture des
intentions des conducteurs ou des piétons à commettre un acte improvisé et
le sens de l’anticipation et de l’improvisation face à des situations aussi
imprévisibles qu’inédites. Ces qualités trouvent leur intérêt dans la
résolution de certaines «contraintes ordinaires» tels que l’attitude
suicidaire des motocyclistes sans casques, l’arrêt brutal des taximen sans
signalisation (évidement), les trous d’égouts et des regards dénivelés ou
complètement ouverts sans protection aucune, les nids de poule et les dos
d’âne mal fagotés que même à 30 km/h, vous risquez de laisser un amortisseur
ou un tuyau d’échappement par terre, et enfin les piétons qui fusent de
partout, enjambent les glissières de 1m50 de hauteur, ralentissent leur
vitesse pendant la traversée lorsque vous êtes à quelques mètres d’eux pour
vous faire goûter à l’adrénaline tunisienne ou choisissent le passage de
votre feu de signalisation au vert pour traverser, en déambulant, la route.
Dans les ronds-points où
la priorité est à gauche et non pas à droite, il faut savoir improviser car
certains automobilistes –encore en hibernation intellectuelle– continuent à
appliquer la priorité à droite. Donc si vous voyez un conducteur s’arrêter
en plein sens giratoire, profitez-en et passez car il ne comprendra jamais
qu’il est prioritaire. De même, si un conducteur se présente à votre droite
à un rond-point alors que vous y êtes engagé, ayez une bonne lecture de ses
intentions et caressez le frein en prévision d’une éventuelle et très
probable usurpation de priorité. Aussi, dans les grands ronds-points munis
d’une double voie, si vous y êtes engagé avec un autre conducteur, côte à
côte, vous, sur la voie de gauche et lui, sur celle de droite, ralentissez
immédiatement et laissez-le vous dépasser car, par réflexe inné de chez
nous, il se rabattra systématiquement et sans préavis, sur votre file en
vous ignorant complètement. En situation inverse, faites comme lui, il n’y a
rien à craindre, il réagira de la même façon !
En fait, chez nous, les
rond-point c’est un peu à la mode alors ils sont présents partout même sur
une… autoroute ! Eh oui, si par hasard, votre GPS cérébral vous guide
jusqu’à Béja, au retour, je vous conseille de ne pas dépasser les 50 Km/h,
sinon vous risquez de vous retrouver perché sur un arbre en plein champ
d’oliviers. En effet, un beau rond-point est érigé au sommet d’une petite
colline à la sortie de l’autoroute Béja – Tunis, et dont sa visibilité est
de quelques mètres à peine à la suite d’une pente raide descendante de 30% !
Depuis son inauguration, il y a 20 mois, ce pauvre rond-point a dû subir les
pires calvaires possibles et inimaginables : bordure cassée, pancartes
arrachées, jardin labouré… Les autorités ont tout tenté : signaux lumineux
et stroboscopiques aux bordures, nombreux panneaux de signalisation à droite
et à gauche indiquant la fin de l’autoroute et délimitant progressivement la
vitesse et enfin les ralentisseurs horizontaux sur la chaussée (de vrais
casse-gueule d’ailleurs)… Mais rien n’y fit, les accidents s’accumulent de
manière quasi-hebdomadaire. A moins d’installer une véritable barricade
anti-char pour arrêter l’hémorragie, personne, du côté du ministère de
tutelle, n’a constaté (et c’est criant à vue d’œil) que ce joli rond-point
est une grande bourde architecturale et n’a absolument aucune raison d’être.
Cher ami, le Tunisien est
comme la nature, il a horreur du vide. En effet, si je vous ai parlé de
«notre» distance de sécurité mesurée au décimètre, c’est pour que vous la
respectiez scrupuleusement. Dans le cas contraire, ou vous vous obstinez à
laisser une plus grande distance pour se mettre en situation sécurisante,
une autre voiture viendra combler ce vide excessif et détestable que vous
avez laissée en se fourrant entre votre voiture et celle qui vous devance,
vous obligeant à un freinage subit et dangereux.
De même au démarrage d’un
feu de signalisation passé au vert, vous décidez de laisser un peu d’espace
avec la voiture qui vient de démarrer devant vous, question «d’aérer» un peu
la file, mal vous a pris, car, attiré par ce vide que vous «gaspillez», un
opportuniste, venant de loin derrière ou d’une autre file, ne ratera pas
l’occasion de venir s’encastrer dans cet espace perdu réalisant, au passage,
un coup double : combler un vide et éviter la probabilité d’attendre un
deuxième feu rouge pour passer. En fait, pour ce second coup, je dois vous
préciser que le temps alloué au feu vert pour certains feux de signalisation
est resté le même depuis 1966 lorsqu’il n’y avait qu’une huitaine de
voitures à chaque croisement !
Ces manœuvres sont
quasi-systématiques en temps normal, mais en heure de pointe, cet
opportuniste n’attend même pas que vous laissiez, par inadvertance ou par
réaction retardée au démarrage, le vide si détesté, mais vous pousse
carrément à freiner, ou vous cloue sur place tel un braquage mafieux, pour
que vous le laissiez passer. Aussi vous risquez de laisser filer 2 à 3
autres voitures collées l’une à l’autre, pare à choc contre pare à choc, tel
un wagon de train à sa locomotive ; et si le feu date des années soixante,
vous risquez ainsi d’attendre 4 feux rouges successifs avant de passer !
Ces comportements sont
causés, au niveau d’un croisement à 4 voies (deux voies pour aller tout
droit, une pour tourner à gauche et l’autre emprunte la bretelle pour
tourner à droite), par l’usurpation de certains conducteurs, fuyant la queue
et voulant toujours passer avant les autres, des files qui changent de
direction pour… aller tout droit ! Et à l’amorce du feu vert, ce sont 4
files de voitures qui s’encastrent dans 2 voies de chaussée en explorant à
bon escient le vide latéral (encore) entre les voitures ! Eh bien, c’est
cela, monsieur, le miracle tunisien.
Cette manie de ne pas
respecter l’ordre dans la file d’attente s’est tellement enracinée dans nos
habitudes qu’on usurpe volontiers la file tournante pour aller tout droit
même si la queue n’est formée que… par une seule voiture ! On veut toujours
être au devant de la scène, ne rien rater (même s’il n’y a rien à voir) et
faire comme si on était seuls sur la route ; et faire la queue déroge à
cette règle tout comme se comporter d’une manière civilisée, respecter un
feu de signalisation, céder le passage à un piéton, ne pas klaxonner la
nuit, etc.
Chez vous, la queue (ou
file d’attente pour éviter toute confusion) est, vue d’en haut, rectiligne,
bien organisée ; chez nous, elle prend différentes formes géométriques :
triangulaire, losangique, en amas, en bouquet, en virgule, en dents de scie,
en flèche… Bref, de belles fresques artistiques que vous ne devez pas rater
lorsque vous survolerez notre capitale avant d’atterrir !
Lorsque les feux de
signalisations ne marchent pas, aucune priorité ni bon sens n’est respecté
(même pas pour la «pauvre» américaine aux vitres fumées), tout le monde est
pressé et veut passer le premier, et chacun fait tout ce qui est impossible
et inimaginable pour se faufiler à travers les mailles de l’embouteillage
qui se crée. Si, par hasard, vous rencontrez un bouchon en plein croisement
et qu’en le scrutant bien vous apercevez un petit espace vide parfois créé
volontairement par quelques automobilistes «écervelés» dans l’espoir de
débloquer la situation, ne ratez pas cette occasion en or et faites comme
nous : foncez au trou et colmatez cette brèche laide et inutile, ensuite
klaxonnez à volonté jusqu’à l’arrivée de la police une heure après !
Voilà, en suivant toutes
ces instructions à la lettre et en faisant face à toutes ces situations sans
dégâts psychologiques, physiques ou matériels, vous aurez, inchallah (si
Dieu le veut), votre permis de conduire tunisien en fin de séjour.