En
prélude à sa participation au Salon international d’agriculture, du
machinisme agricole et de la pêche (SIAMAP), nous avons rencontré M. Ludovic
Pochard, Directeur général de la société CEPTUNES –la Cave Viticole d’El
Karmia, située entre Tunis et Hammamet, près de Grombalia. Petite par sa
taille, CEPTUNES n’en constitue pas moins le renouveau du vin tunisien qui
n’arrivait pas à trouver sa place dans le concert des nations vinicoles
mondiales.
Il faut dire que
CEPTUNES a vite parié sur la modernité et surtout élevé la qualité au rang
de priorité absolue, un pari vite récompensé puisqu’elle a déjà récolté
trois distinctions internationales obtenues en 2005, 2006 et 2007. Entretien
et visite guidée avec le patron de cette entreprise émergente qui fait déjà
parler d’elle !
Pour commencer,
pourriez-vous nous faire un état des lieux de votre entreprise ?
Ludovic Pochard :
La société Ceptunes, de ‘’Cep’’= pied de vigne, et Tunes= ancien nom de
Tunis à proximité de Carthage, le tout signifiant ‘’la vigne de Tunisie’’, a
été créée en 2002 -exactement le 26 juillet, presque 5 ans jour pour jour-
suite à projet de partenariat tuniso-suisse. Mais une restructuration du
capital a permis d’avoir, aujourd’hui, 95% tunisien et 5% suisse.
Je précise également
que Ceptunes n’a pas de domaine ; nous avons deux hectares de terre, mais
nous avons arraché la vieille vigne de Carignon et en lieu et place nous
sommes en train de faire des céréales d’ici 5 ans pour aseptiser et
dépolluer un peu le sol, avant de replanter de nouveau la vigne.
Dans ce cas, comment
vous approvisionnez votre usine ?
Actuellement, nous
avons des contrats avec les viticulteurs qui nous fournissent les raisins ;
on les conseille depuis la taille jusqu’à la récolte, c’est-à-dire
l’irrigation, les fertilisants, le traitement… et au moment de la récolte,
nous ramassons les raisins et les ramenons à Ceptunes.
Toute la récolte se
fait uniquement dans des caisses plastiques, et le transport c’est 1H de
route par camion… ce qui évite l’éclatement des raisins durant le trajet et
donc l’oxydation du futur jus.
Dès leur arrivée, les
raisins sont directement acheminés sur la table de tri, où une vingtaine de
femmes travaillent pendant la saison pour faire le tri, comme son l’indique
(tous les raisins non mûrs, ceux abîmés par les oiseaux et insectes vont
être mis de côté) afin de faire rentrer uniquement les raisins propres et
sains.
Puis, une machine de
séparer la partie végétale appelée la ‘’rafle’’ -qui contient de l’eau et le
fruit- dont la présence fait que le vin est dilué, donc entraîne la
diminution du taux d’alcoolémie.
Par ailleurs, toutes
les cuves (une quarantaine au total) sont équipées avec du matériel italien,
parce que nous avons été financés avec une ligne de crédit italienne ; et
l’investissement a coûté environ 7 millions de dinars.
Elles sont à 100%
inox, c’est la pointe de la technologie dans l’industrie agroalimentaire, ce
qui a permis d’avoir une bonne hygiène de nettoyage. En tout cas, pour le
traitement des vins, c’est très efficace.
La cave se trouve à 4
mètres sous terre afin de bénéficier de la fraîcheur, car tout au long de
l’année, la température n’y dépasse pas 20° -et l’hiver, on est beaucoup
plus bas. De plus, toutes les cuves sont thermo-régulées , c’est-à-dire
qu’on peut aussi bien refroidir que chauffer les vins, sachant que le blanc
et le rosé sont fermentés entre 16 et 18°, alors que le rouge l’est entre 20
et 28°. C’est donc important de varier entre les températures.
Combien de litres vous
produisez-vous par an ?
Nous produisons
pratiquement 5.000 hectolitres par an –on a une capacité d’en faire un plus,
mais pour l’instant on se contente de faire cette quantité-, soit entre 750
et 800.000 bouteilles par an.
Tout est destiné au
marché local ?
Non, on exporte 70% de
notre production, et le reste, soit 30% pour le marché local. Ceci dit, on
voudrait faire un peu plus pour le marché local, mais malheureusement nos
critères d’exportation ne nous permettent pas d’en faire davantage.
Sur quels marchés
exportez-vous ?
Nous exportons
essentiellement sur la France, Belgique, Suisse, Russie, Sénégal, Italie, et
peut-être bientôt le Canada (notamment le Québec).
Comment est apprécié
le vin tunisien par les ‘’consommateurs’’ étrangers ?
Excellente question.
Je dois d’abord préciser que nous assistons au renouveau du vin tunisien,
car même si celui-ci existe depuis fort longtemps, il n’avait pas d’image
–ou une mauvaise image en tout cas. Donc, depuis l’an 2000, avec la
privatisation des terres étatiques, des partenariats tuniso-étrangers se
sont installés, et cela a permis une forte amélioration des vins tunisiens
qui trouvent maintenant une bonne place sur le marché mais qui restent très
concurrentiels, puisqu’on prend de plein fouet la concurrence, d’une part,
des vins européens, mais également ceux d’Amérique du Sud avec les vins
chiliens, argentins, et autres asiatiques (néo-zélandais, australiens…). Car
ces pays ont des coûts de production très faibles par rapport à la Tunisie,
ce qui fait que, pour avoir sa place sur ces marchés, il faut faire de gros
efforts sur les prix.
Sur le marché local,
quels sont vos concurrents ?
Il faut savoir que,
sur le plan local, Ceptunes est une petite entreprise comparée à l’UCCV, par
exemple, laquelle produit à elle seule presque la moitié de la production
nationale. Il faut savoir qu’on produit en Tunisie environ 400.000
hectolitres par an, dont environ 200.000 par UCCV. Viennent ensuite SICOV
–qui appartient à M. Boujnah-, la Cave vinicole de Bouargoub. A eux trois,
ils représentent quelque 80% de la production nationale. Et les 20% restants
se partagent entre tous les autres.
Combien de marques
sont produites par la Cave vinicole CEPTUNES ?
Nous produisons 6
marques (‘’Clos de Carthage’’, ‘’Château Maria’’, ‘’Clos Mornag’’, Salammbo,
‘’Jour et Nuit’’ et ‘’Didona’’) en trois couleurs, Rouge, Blanc et Rosé.
Il paraîtrait que vous
prévoyiez de construire un restaurant panoramique à côté de l’usine.
Pourquoi ?
Tout à fait, nous
envisageons de construire, dans une prochaine étape, un grand restaurant
panoramique, dont le but est de développer le tourisme et le vitivinicole en
Tunisie. Les travaux devraient démarrer dès la fin de la saison des récoltes
de cette année.
Combien d’employés
comptez-vous ?
Entre 45 et 50
personnes, entre la cave, les commerciaux, les chauffeurs, les
administratifs.
La société Ceptunes
possède-t-elle des points de vente propres à elle ?
Malheureusement non.
On aimerait en avoir et pouvoir développer des petites boutiques de vin,
mais jusqu’à présent nous n’avons pas obtenu l’agrément.
Malgré les
difficultés, tout de même trois distinctions internationales … Ce n’est pas
mal non ?
Tout à fait. CEPTUNES
a obtenu cette année 2007 la ‘’Médaille d’Argent’’ à l’occasion du 15ème
concours de Sélection Mondiale des Vins Canada qui s’est déroulé au Québec
(Canada) du 3 au 9 février 2007, avec son Grand Cru «Didona Blanc»
(d’appellation contrôlée ‘’Sidi Salem’’).
Lors du
SIAL (du 22 au 26 octobre 2006 à Paris), qui avait rassemblé les plus grands
pays producteurs vinicoles du monde, Ceptunes a été sélectionnée et primée
parmi les 33 vainqueurs du ‘’BEST BUY 2006’’, le concours des vins ayant le
meilleur qualité/prix pour son Premier Cru ‘’Jour et Nuit’’ (d’appellation
contrôlée «Sidi Salem»).
Mais cette aventure a
commencé en 2005, lorsque la Cave Ceptunes a participé aux Vinalies
internationales 2005 (Les Vins du Monde), une édition au cours de laquelle
la Médaille d’Argent lui a été décernée, avec son Grand Cru «Didona»
(d’appellation contrôlée ‘’Sidi Salem’’.
Tout ceci pour saluer
le mérite, certes, d’une entreprise émergente, mais également une heureuse
façon de d’offrir à la Tunisie une reconnaissance internationale.
Comment faites-vous
pour la promotion de vos vins à l’étranger ?
Nous avons participé
–et nous participons- aux plus importants salons… C’est ainsi que nous avons
participé aux salons de Paris et Montréal (SIAL) en collaboration avec le
CEPEX, et d’autres avec GIFRUITS (Groupement interprofessionnel des
fruits)…
Enfin, en octobre
prochain, nous participerons bien entendu au SIAMAP 2007 (Salon
international d’agriculture, du machinisme agricole et de la pêche) au Kram
où nous sommes sponsors pour le dîner officiel qui sera offert aux invités
et autres participants de marque du Salon.
Maintenant, si vous
nous parliez de la législation tunisienne concernant votre secteur…
Il est vrai que la
Tunisie reste un pays arabo-musulman –et donc tout le respect pour chacun-,
mais il faut savoir qu’on produit en moyenne en Tunisie 400.000 hectolitres
de vin, un produit issu de la vigne tunisienne, laquelle est exploitée par
des agriculteurs tunisiens, autrement dit elle fait vivre de nombreuses
familles. D’un autre côté, les fabricants de bière produisent 5, 10, 15 fois
plus –l’un d’eux produirait à lui seul 1.200 hectolitres de bière par an,
soit 3 fois plus pour l’ensemble de la production nationale de vin. Mais
contrairement à la production de vin, on fabrique de la bière avec des
céréales dont une grosse quantité est importée. Maintenant la question qui
se pose est de savoir si ces derniers arrivent à nourrir autant de familles
que les fabricants de vin. En tout cas je me pose la question.
Par ailleurs, la
formule du tourisme ‘’all inclusive’’ pose un autre gros problème. Nous
avons bon an mal an plus de 5 millions de touristes par an, mais nos chers
partenaires clients hôteliers, pour rentrer dans leur coût de production,
nous demandent du vin à un prix qui ne peut acheter que la qualité moyenne
de nos vins. Du coup, le touriste, en dégustant le vin, va sentir qu’il
n’est pas de bonne qualité, alors que nous avons des très bons vins en
Tunisie. De ce fait, c’est une image négative de la qualité des vins
tunisiens qui est véhiculée à l’étranger, parce qu’à chaque fois que ces
touristes vont rencontrer un vin d’origine tunisienne, forcément ils
penseront qu’il s’agit du même vin qu’ils ont dégusté dans les hôtels
tunisiens. C’est une contre-publicité. Et c’est dommage, puisque je suis
persuadé qu’on peut exporter beaucoup plus de vin que nous ne le faisons
actuellement.
Dans ce cas, pour
avoir un meilleur qualité/prix, à quel prix le vin devrait être vendu aux
hôteliers/restaurateurs ?
Aujourd’hui, nous
vendons le vin à 1,116 dinar HT, c’est un prix qui a été plus ou moins
conventionné avec la Chambre syndicale (qui fait parie de l’UTICA). S’il
fallait proposer quelque chose de correct, il faudrait qu’on soit aux
alentours de 1,6 ou 1,8 dinar, cela pourrait nous donner un très bon rapport
qualité/prix.
Est-ce que des
négociations sont engagées dans ce sens entre les parties concernées… ?
Les hôteliers et le
ministère du Tourisme sont sensibilisés à ce problème, et ils sont en train
de revoir la formule ‘’all inclusive’’, de passer davantage à des formules
demi pension…, par exemple. Ceci étant, je comprends la concurrence à
laquelle la Tunisie fait face en matière de tourisme, mais il est nécessaire
de faire un peu d’effort en ce sens.