Union méditerranéenne, une coquille vide ?

Par : Autres

Une chose est sûre : avec Nicolas
Sarkozy président, la France est entrée dans une ère politique inédite dont
les effets marqueront durablement le paysage institutionnel et politique. Le
paradoxe, dans cette histoire, est que, en matière d’action, rien de
véritablement concret n’a été mené et traduit dans les actes.

 

Le vrai changement est certainement l’entrée en scène d’une nouvelle et
jeune génération d’hommes politiques, lesquels se voient ainsi, en partie,
investis de responsabilités ministérielles. D’autres œuvrent dans les
arcanes des cabinets ministériels et autres lieux de pouvoir.

 

Incontestablement, la physionomie politique est en train de se transformer,
après des années de blocage générationnel. Des idées nouvelles sont en
circulation sur tous les sujets. Politique intérieure et politique étrangère
–même si elles font partie d’un socle commun– sont en train de vivre une
sorte de «révolution culturelle».

 

Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur des faits précis de l’ère
Sarkozy, mais le nouveau chef de l’Etat entend agir en hyperprésident :
maître de la communication, son verbe dessine une France –encore virtuelle–
qui interpelle, séduit, fascine parfois. Son style nouveau, en rupture avec
les anciennes pratiques présidentielles, introduit une touche nouvelle, dont
lui seul a la paternité. Mais c’est surtout sa méthode qui bouscule l’ordre
établi et modifie les repères : faire bouger constamment les lignes. C’est
peut-être la clé de voûte du sarkozysme en émergence comme nouvelle doctrine
politique.

 

Comme il y a tant de choses à dire sur ce sujet –je préfère y revenir dans
une autre chronique–, il serait plus intéressant de s’attarder, ici, sur
l’Union méditerranéenne (UM), proposée par Nicolas Sarkozy, le soir même de
son élection, et développée et médiatisée lors de son déplacement en Algérie
et en Tunisie, les 10 et 11 juillet. De quoi s’agit-il au juste? L’Union
méditerranéenne (UM) est une belle idée, mais celle-ci, force est de le
constater, est encore une coquille vide. On est surpris par la précipitation
du président à l’annoncer, au risque de la tuer dans l’œuf.

 

A l’Elysée, la cellule diplomatique qui «travaille» sur le contenu de l’UM
n’en est qu’au stade de l’étude préliminaire –consultations, rencontres,
exploration de pistes, etc. Les hommes clés de ce dispositif sont Jean-David
Levitte, conseiller diplomatique du président -un grand superviseur qui
chapeaute l’équipe–, Henri Guaino, «plume» du chef de l’Etat, et son
inspirateur sur cette orientation présidentielle –de par ses origines
espagnoles, il est personnellement sensible à cette question–, Boris Boillon,
jeune diplomate et conseiller technique sur les questions arabes. Sur l’UM,
Philippe Seguin, en ombre chinoise, est chargé de la rédaction d’un rapport
sur le sujet. Les visiteurs de l’Elysée sont nombreux pour donner leur point
de vue : diplomates, experts, universitaires, chefs d’entreprise, etc.

 

Parallèlement à cette mission, le ministère des Affaires étrangères français
vient de se doter d’une task-force composée de plusieurs personnalités pour
alimenter la cellule présidentielle en idées, études, propositions. Le
réseau diplomatique implanté dans la région méditerranéenne est mobilisé à
cet égard.

 

Dans cette phase exploratoire, un certain nombre de thèmes sont d’ores et
déjà retenus : immigration, eau, énergie, éducation, santé, etc. Selon des
interlocuteurs de premier plan impliqués dans ce dossier, la France
souhaiterait, sous sa présidence de l’Union européenne (deuxième semestre de
2008), lancer des initiatives majeures sur l’UM, nouvel axe stratégique de
la diplomatie française.
 

Dans sa volonté de faire bouger
les lignes, Nicolas Sarkozy a-t-il présumé de ses forces? Que peut faire la
France seule ? Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps de consulter les autres
partenaires européens les plus volontaristes sur cette problématique
(Espagne et Italie notamment) ? De quelle manière la Commission européenne
(CE), en charge de la gestion du processus EuroMed à l’intérieur de la
Politique européenne de voisinage (PEV), va-t-elle être associée à ce projet
?

 

Les interrogations sont nombreuses et les incertitudes aussi ! Le moins
qu’on puisse dire, malgré les assurances et les explications après-coup du
président français, les autres pays européens sont furieux et mécontents de
la manière de faire de Nicolas Sarkozy. Malgré cette maladresse, Romano
Prodi et José Luis Zapatero restent des alliés pour faire avancer ce projet.

 

D’un autre côté, les responsables et les hauts fonctionnaires de la CE, pris
de court et non consultés, sont encore plus en colère. Ils sont sceptiques
sur les chances de survie de cette initiative. Ils considèrent que l’UM n’a
pas de contenu réel à offrir par rapport à l’EuroMed (1). Ils
considèrent qu’il y a là une vraie occasion pour relancer le «processus de
Barcelone», car l’acquis, en termes d’expertise et de réalisation de
projets, demeure considérables, même s’il faut, selon eux, corriger le tir
et améliorer ce qui existe aujourd’hui.

 

S’il est vrai que Nicolas Sarkozy a produit un réel électrochoc sur l’Euro-Méditerranée,
cela ne doit pas empêcher de dire que son improvisation et l’absence de
maturité de l’Union méditerranéenne risquent de décevoir et, surtout, de
multiplier des obstacles de toutes sortes.

 

Reste cette chance unique, qui ne se renouvellera pas de sitôt, pour les
pays du Sud. Tirer les enseignements du processus EuroMed, préempter le
contenu des thématiques qui constitueront l’épine dorsale de l’UM pour que
leurs points de vue soient au cœur de ce projet, au lieu de le subir. Il est
encore temps, particulièrement pour les pays du Maghreb, de se concerter, et
d’aller dans un front commun, à la seule condition d’avoir mené un travail
d’audit en interne dans chacun de ces pays. C’est le moment de dépasser les
rivalités, et d’ouvrir une nouvelle ère entre les pays maghrébins et entre
l’Europe et la Méditerranée. Est-ce un vœu pieux ?…

 

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(1)   

une délégation de la CE était à Paris
–dans la première quinzaine du mois de juin–, pour une rencontre avec les
diplomates du Quai d’Orsay, en quête de précisions sur l’UM.     

 

Source:
L’Economiste Maghrébin