Par R. Tiar.
Tout le monde est unanime à dire que le phénomène de la fuite de cerveaux
constitue une “grande perte pour les pays d’origine”. Il est certes mondial,
mais il reste plus perceptible dans le monde arabe, qui a plus que jamais
besoin de ses compétences pour relever le défi du développement.
Il est surtout évident qu’il s’agit d’un élément extrêmement négatif,
puisque les pays d’accueil n’investissent pas un sou dans la formation des
cerveaux qu’ils reçoivent des pays arabes.
Chaque année, ce sont 50% de médecins, 23% d’ingénieurs et 15% de
scientifiques de différentes spécialités, que le monde arabe perd. Ceux-ci
quittent leurs pays respectifs pour émigrer essentiellement en Europe, aux
Etats Unis et au Canada. C’est ce qui ressort de l’étude réalisée par un
centre de recherche égyptien sur “l’avenir du développement dans le monde
arabe et les conséquences de la fuite des cerveaux”. Les médecins arabes
représentent 31% des médecins exerçant en Grande-Bretagne, révèle l’étude,
qui souligne que les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne accueillent
à eux seuls 75% des compétences scientifiques arabes et que, durant les
années 70, le monde arabe avait accusé des pertes de 11 milliards de dollars
à cause de la fuite des cerveaux.
L’étude met en garde contre les retombées négatives de la fuite des cerveaux
sur le développement économique et social du monde arabe et impute les
causes de ce phénomène à des considérations politiques, économiques,
sociales et personnelles. En réalité, depuis les indépendances de la plupart
des Etats arabes, les élites n’ont pas arrêté de s’expatrier. La tendance
s’est accélérée sous les coups de boutoir de la mondialisation et de la
crise économique qui frappe de plein fouet ces pays en particulier. Les
chercheurs, les intellectuels et les écrivains vivent, en effet, une
situation difficile. Les salaires sont insuffisants, taux de chômage élevé,
conditions de travail et services sociaux inadaptés, l’environnement de la
recherche n’est pas des meilleurs.
Dans de telles conditions, il reste difficile de fixer les chercheurs, et ce
sont, entre autres, les causes qui contribuent à l’exode des élites. Le
recrutement de 100 000 étrangers qualifiés coûte à l’Afrique 4 milliards de
dollars par an.
L’Algérie, quant à elle, a subi une perte d’au moins 40 milliards de dollars
uniquement pour la période comprise entre 1992 et 1996. Le phénomène, qui
touchait auparavant les Algériens formés à l’étranger, s’est progressivement
étendu à ceux formés en Algérie. Mondialisation oblige, la mobilité
internationale des cadres est désormais un fait que d’aucuns tentent de
contenir ou de gérer de manière plus appropriée.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime, par
ailleurs, qu’entre 1960 et 1975, ce phénomène a concerné sur 27.000
personnes. De 1975 à 1984, ce chiffre a atteint 40.000. En 1990, ce sont au
moins 20.000 personnes qualifiées qui ont quitté le continent africain.
En 2003, selon le même rapport, environ 400.000 cadres qualifiés,
enseignants, chercheurs et industriels, des pays du Sud, ont rejoint les
Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon. C’est la question du maintien
des ressources humaines un problème crucial qui demeure pour l’Afrique, car
comment penser le développement et l’exploitation des richesses du continent
si celui-ci n’arrive pas à mettre sur pied une politique efficace pour
garder ses meilleurs cadres ? Faut-il culpabiliser les élites qui quittent
leur pays pour d’autres cieux ? Voir une élite ayant bénéficié des
formations coûteuses financées par la collectivité nationale s’installer
durablement à l’étranger ne peut pas et ne doit laisser personne
indifférent. Combien de personnes ne se sont-elles pas vu répondre qu’on n’a
pas besoin du profil aussi pointu que le leur ?
Ce n’est pas le cas de la Tunisie qui fait tout pour garder le contact avec
ses citoyens de l’étranger. C’est une priorité nationale et sur le plan de
l’enseignement, par exemple, des programmes tel Tokten du PNUD permettent de
financer les interventions en Tunisie d’enseignants-chercheurs tunisiens
installés à l’étranger. Le décret du 6 septembre 1993 propose même la
nomination au grade de professeur de l’enseignement supérieur des
enseignants et chercheurs tunisiens exerçant dans les universités ou les
centres de recherche étrangers, avec un grade équivalent et ayant acquis une
notoriété scientifique reconnue.
Une réflexion sur les filières à promouvoir et la capacité d’accueil de
chaque pays du continent africain s’avère plus que nécessaire, un programme
visant à susciter le retour des compétences ou leur contribution judicieuse
à partir de l’étranger ainsi qu’une revalorisation des statuts des
chercheurs, scientifiques, cadres et autres professionnels qualifiés s’avère
plus que nécessaire. Autrement, on continuera à assister au gaspillage et à
la fuite des cerveaux africains qui ne feront que renforcer l’écart entre
pays riches et pays pauvres.
Source :
http://www.lemaghrebdz.com/lire.php?id=5207
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