Seuls Novartis et son Rasilez, désormais homologué par les autorités
européennes, innovent dans ce domaine thérapeutique.
Il y a quelques jours, Novartis recevait le feu vert des autorités
européennes pour son médicament baptisé Rasilez, un antihypertenseur de la
classe des inhibiteurs de la rénine, le premier du genre à arriver sur le
marché. La nouvelle n’a pas bouleversé les marchés. Elle était attendue.
La version américaine de ce traitement, le Tekturna, avait reçu
l’approbation de la FDA en mars dernier. Un autre antihypertenseur de la
pharma bâloise a connu un sort tout aussi enviable cette année, l’Exforge,
homologué par l’Europe en janvier et par les Etats-Unis en juin. A constater
cette offensive, on se dit que ce secteur thérapeutique doit être
particulièrement dynamique si toutes les pharmas et autres sociétés de
biotechnologie montrent le même empressement à innover que Novartis. Cela se
comprendrait. L’hypertension reste la première cause de mortalité du monde.
Aux Etats-Unis, près d’un adulte sur trois en souffrirait, ainsi que plus
d’un milliard de personnes dans le monde. Un chiffre qui pourrait atteindre
1,6 milliard en 2025. Le marché est donc prometteur. N’a-t-il pas rapporté
en 2005 l’équivalent de 35 milliards de dollars, selon une étude de
Datamonitor?
Les inhibiteurs de rénine, innovation attendue
La réalité mérite pourtant d’être nuancée. L’innovation piétine quelque peu.
Les inhibiteurs de la rénine sont la première nouveauté sur le front de
l’hypertension depuis quinze ans. Et ils viennent s’ajouter à un marché pour
le moins saturé.
L’extraordinaire profusion de médicaments à disposition s’explique de deux
façons. La première tient à la nature même de l’hypertension. «Il s’agit
d’une maladie multifactorielle, avec des causes génétiques et
environnementales, explique Antoinette Pechère, néphrologue et médecin
adjoint agrégé à l’Hôpital cantonal universitaire de Genève. Cela signifie
que chaque patient possède un profil particulier de la maladie et va
répondre différemment aux traitements.» Ce dernier constat amène la seconde
raison qui explique cette offre médicamenteuse pléthorique. «Il est très
rare qu’un patient puisse être traité par un seul médicament. On utilise
surtout des cocktails de deux, parfois trois molécules différentes, explique
le professeur Bernard Rossier du CHUV. Ces combinaisons peuvent être
réalisées à base de diurétiques, de bêta-bloquants, d’antagonistes du canal
calcique, d’alpha-bloquants et finalement de médicaments qui agissent sur la
voie de signalisation angiotensine-rénine-aldostérone.»
Cette «cocktailisation» du traitement de l’hypertension est à la fois une
chance et un désavantage pour les pharmas. Une chance pour ceux qui occupent
déjà le terrain parce qu’elle leur assure à chacun un minimum de revenu. La
compétition est ainsi moins radicalement frontale que dans d’autres
secteurs. Un désavantage aussi parce qu’il est très difficile de se faire
une place au soleil. Il n’y a guère que deux manières d’y parvenir: en
jouant sur une baisse sensible des coûts grâce aux molécules qui tombent
dans le domaine public ou en comptant sur des innovations réelles.
Nombreux traitements menacés par les génériques
«A l’horizon 2012, beaucoup de médicaments contre l’hypertension vont perdre
leur brevet, explique Olav Zilian, analyste chez Helvea. Ce sera sans doute
une chance pour les fabricants de génériques et un défi à relever pour ceux
qui vivent des produits de marque. Pour entrer avec un nouveau produit sur
ce marché, il faut non seulement proposer un traitement qui fasse ses
preuves contre l’hypertension elle-même, mais qui puisse également se
révéler efficace contre des affections opportunistes liées à l’hypertension
et à son traitement, comme la dégradation d’organes aussi importants que le
rein et le cœur.»
C’est là l’un des défis qu’espère relever le Tekturna/Rasilez. Traiter
l’hypertension tout en ménageant le cœur et les reins. Seules des années de
prescriptions permettront de dire si cet objectif se révèle réaliste.
«Certains critiquent ce traitement, arguant que l’offre actuelle est bien
suffisante, reprend Antoinette Pechère. Pour moi, toute nouveauté est bonne
à prendre. Qui sait si, à l’usage, ce médicament ne se révélera pas très
efficace.» Si c’est le cas, les analystes imaginent qu’en 2017 les ventes du
Rasilez/Tekturna pourraient rapporter 5 milliards de dollars à la pharma
bâloise et environ 10% (et 7% à partir de 2012) de cette somme à Speedel, la
société qui a participé à sa mise au point. De quoi assurer à Novartis sa
position de numéro un dans le domaine de l’hypertension. Son champion toute
catégorie, le Diovan, un antagoniste de l’angiotensine II, lui a rapporté
1,2 milliard de dollars au premier trimestre 2007. Seule ombre au tableau
pour Novartis: le Diovan tombera dans le domaine public en 2012. Alors ils
prennent les devants. Par l’innovation d’une part. «Actuellement, seul
Actelion associé à Merck & Co a une molécule potentiellement concurrente
pour le Tekturna. C’est également un inhibiteur de la rénine mais en
développement», ajoute Olav Zilian. Par la combinaison de produits connus
d’autre part. L’Exforge, dont on dit que les ventes pourraient rapporter un
milliard de dollars par an, est un médicament «deux en un», le premier du
genre à marier un anticalcique – le Norvasc de Pfizer qui tombera dans le
domaine public en septembre – et un antagoniste de l’angiotensine II, le
Diovan. Coup double. La combinaison de deux molécules connues et éprouvées
non seulement limite les mauvaises surprises en matière d’effets
secondaires, mais elle est, en outre, relativement peu coûteuse à
développer.
Gros problème d’observation des traitements
«Il existe déjà plusieurs de ces pilules combinées, souligne le médecin
néphrologue de Genève, chacune ayant sa propre “recette”. Elles sont
importantes pour nous car l’un de nos plus gros problèmes concerne
l’observation. Non seulement les patients sont généralement affectés à
l’idée de devoir prendre un traitement à vie, mais en plus ils doivent faire
face à l’obligation de prendre le plus souvent deux ou trois pilules
différentes tous les jours, et aussi à affronter leurs effets secondaires. A
cause de cela, beaucoup de patients peinent à suivre leur traitement. C’est
sans doute pour cela qu’une récente étude a démontré que seuls 30% des
personnes suivies et traitées pour l’hypertension présentent une pression
artérielle satisfaisante. C’est en cela que ces pilules combinées peuvent
nous aider à mieux traiter cette maladie.» (Lire également en page 6.)
Angle
Une multitude de causes génétiques compliquent le travail des chercheurs
L’idéal serait bien sûr de disposer d’une molécule unique capable de traiter
la plupart des causes de l’hypertension. Or rien, pour l’instant du moins,
ne suggère une quelconque avancée dans cette direction. «Si l’on peut
déplorer un certain manque d’innovation du côté des pharmas, relève le
professeur Bernard Rossier du Département de pharmacologie et de toxicologie
de l’UNIL, c’est aussi en partie notre faute, nous chercheurs cliniciens.
Car, en vérité, nous ne connaissons toujours pas les principales clés de
l’hypertension. Les causes et les symptômes sont tellement nombreux qu’il
est vraiment difficile de faire la part des choses.» Plutôt qu’un constat
d’échec, ces paroles sont un préambule pour annoncer un nouveau programme de
recherche, financé depuis cette année à hauteur de six millions de francs
par la Fondation Leducq, qui réunit des spécialistes de l’Université de
Lausanne, du CHUV, de l’Université de Mexico, de l’Université de Yale, mais
également en France du CNRS et de l’INSERM. Le but de cette collaboration
transatlantique consiste à remonter à la source du mal. Et puisqu’il est
généralement admis que l’hypertension est une maladie du rein, car c’est
bien là que s’initieraient nombre de phénomènes aboutissant à la contraction
des vaisseaux sanguins, c’est sur cet organe que ces différentes équipes
vont focaliser leurs recherches.
Eclairer le fonctionnement des canaux ioniques
«Ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont les canaux ioniques
exprimés dans le rein. Ils sont l’une des clés du métabolisme d’éléments
comme le sodium, le potassium, le calcium, dont on sait qu’ils influencent
la pression artérielle. Nous chercherons aussi les facteurs génétiques qui
favoriseraient une sensibilité ou une résistance à l’hypertension due au
sel.» Or même en matière de gènes, l’hypertension n’est pas prête à livrer
ses secrets aussi facilement. Il est en effet très probable que plusieurs
gènes, des dizaines peut-être, soient impliqués dans cette affection. Pour
preuve, une enquête internationale de grande ampleur baptisée HapMap, qui se
penche sur la diversité génétique des êtres humains, n’a trouvé aucune
relation entre de possibles variations génétiques et la prédisposition à
l’hypertension. La méthode n’est pas en cause puisqu’elle a notamment permis
de mettre en évidence des résultats intéressants sur le diabète. Mais rien
sur l’hypertension. «Il est possible, reprend Bernard Rossier, que tellement
de variations génétiques soient à l’origine de cette maladie que l’étude
HapMap, qui est encore loin d’être achevée, manque de données pour dessiner
une corrélation. C’est dire s’il nous reste du travail pour réellement
identifier les causes de l’hypertension.» – (PYF)
Source Agefi
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