Selon le Rapport sur le commerce et le développement, 2007 de la CNUCED,
les accords commerciaux régionaux et bilatéraux Nord-Sud pourraient
affaiblir le système commercial multilatéral et entraver les politiques
nationales en faveur du développement et des changements structurels dans
les pays en développement. Face au ralentissement des négociations
commerciales multilatérales qui se déroulent dans le cadre de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), on assiste à une prolifération d´accords de
libre-échange bilatéraux et régionaux et d´accords commerciaux
préférentiels, pour la plupart conclus entre pays développés et pays en
développement.
Le Rapport sur le commerce et le développement 2007 (TDR) de la CNUCED
souligne que ces accords imposent souvent aux gouvernements des pays en
développement et des pays en transition des choix difficiles et que leur
coût peut être plus lourd que prévu. Le rapport ajoute que de tels accords
peuvent certes offrir des gains transitoires en termes d´accès aux marchés
et d´accroissement de l´investissement direct étranger (IDE), mais qu´ils
risquent aussi de limiter l´action des pouvoirs publics alors que ceux-ci
peuvent jouer un rôle important dans le développement à moyen et à long
terme d´industries compétitives.
Les responsables des pays en développement devraient donc en examiner
soigneusement les conséquences avant de les signer. Le rapport note que les
pays aujourd´hui industrialisés et les pays en développement qui ont
enregistré une croissance économique spectaculaire ces dernières années ont
commencé par protéger leurs industries naissantes, afin qu´elles puissent
développer leurs capacités face à la concurrence internationale. En
revanche, ajoute le rapport, les accords de libre-échange ou les accords
commerciaux préférentiels entre pays développés et pays en développement
prévoient souvent une forte réduction des droits de douane sur les produits
industriels, exposant ainsi les producteurs nationaux à une écrasante
concurrence étrangère, ce qui peut empêcher les pays pauvres de développer
leur secteur industriel.
Ces accords tendent aussi à réduire la maîtrise de l´investissement direct
étranger (IDE) par les pays en développement. Le nombre d´accords
commerciaux bilatéraux et régionaux notifiés au GATT/à l´OMC est passé de 20
en 1990 à 86 en 2000 et à 159 en 2007. Un fort pourcentage de ces accords
porte sur les échanges entre pays en développement et pays développés. La
CNUCED est convaincue qu´avec la multiplication de ce type d´accords,
appelés parfois “néorégionalistes”, on s´écarte dangereusement du
multilatéralisme. Ces accords contiennent souvent des dispositions qui vont
au-delà des règles actuelles de l´OMC dans des domaines tels que
l´investissement, les droits de propriété intellectuelle, la politique de la
concurrence et les marchés publics. Ils peuvent aussi porter sur des
questions qui ont été écartées des négociations multilatérales. En
conséquence, nombre de ces dispositions limitent la possibilité pour les
décideurs des pays en développement d´appliquer des politiques “proactives”
en matière d´industrialisation et de restructuration.
Le rapport analyse les incidences de ces accords et conclut que les pays en
développement devraient soigneusement examiner les avantages qu´ils peuvent
en escompter et les désavantages qu´ils comportent. Selon le rapport, la
tendance à conclure des accords commerciaux régionaux ou bilatéraux Nord-Sud
est alimentée en partie par la frustration de certains gouvernements devant
la lenteur des négociations commerciales multilatérales. Le rapport met
toutefois en garde contre la menace que les accords bilatéraux et régionaux
constituent pour la cohérence du système commercial multilatéral. Il
souligne qu´ils peuvent compromettre les avantages qui découlent des
arrangements de coopération régionale en vigueur entre les pays en
développement. “Lorsqu´il s´interroge sur les avantages et les coûts
économiques et sociaux que présenterait un accord de libre-échange régional
ou bilatéral Nord-Sud, un pays en développement doit tenir compte non
seulement de l´évolution de ses exportations et de ses importations que
l´ouverture des marchés est susceptible d´entraîner et de l´accroissement de
l´investissement étranger direct sur son territoire”.
Il doit aussi réfléchir aux conséquences qu´aura son engagement sur le plan
des solutions et des instruments politiques à sa disposition pour poursuivre
sa stratégie de développement à long terme. Au lieu de souscrire au “néorégionalisme”,
le pays en question pourrait considérer d´autres domaines de coopération
avec ses partenaires de la région se trouvant à un niveau similaire de
développement économique, dans l’optique d’un régionalisme véritable. Il
pourrait ainsi renforcer sa propre stratégie de développement et faciliter
son intégration dans l´économie mondiale en exploitant les avantages de la
proximité, de la convergence d´intérêts et de la complémentarité économique
(UNCTAD/PRESS/PR/2007/26).
Si un pays en développement souhaite conclure un accord bilatéral avec un
partenaire développé, c´est qu´il cherche à en obtenir des concessions que
ce partenaire n´accorde pas à d´autres, particulièrement des débouchés plus
faciles pour ses produits. Un accord de libre-échange Nord-Sud peut offrir à
la partie en développement de nouvelles possibilités commerciales et attirer
vers elle plus d´IDE. Mais, comme le dit le rapport, cela ne correspond pas
forcément à un progrès en terme de développement.
Un accroissement des échanges et de l´IDE n´est souhaitable que lorsqu´il
favorise le développement et la restructuration. En échange d´un meilleur
accès aux marchés, un pays en développement peut se voir obligé non
seulement d´abandonner tout contrôle sur l´IED mais également sur les
marchés publics et il peut avoir à observer des règles plus strictes en
matière de droits de propriété intellectuelle.
Il peut également devoir procéder à une libéralisation plus large et plus
profonde du commerce des biens et des services que ne le prévoient les
accords de l´OMC. Les économistes de la CNUCED déplorent également que, au
contraire des négociations multilatérales, les négociations bilatérales
créent un “environnement concurrentiel de libéralisation”, c´est-à-dire
qu´un pays peut se sentir obligé de conclure un accord de libre-échange de
peur de subir une perte de compétitivité par rapport aux autres pays en
développement qui concluent un accord de libre-échange avec le même
partenaire.
Par ailleurs, les avantages qu´un pays en développement peut tirer de ces
négociations sont limités par son pouvoir de négociation, en général plus
faible, souligne le rapport. Il est souvent incapable d´exploiter pleinement
les perspectives commerciales que lui offre l´accord de libre-échange parce
que ses capacités d´offre et de commercialisation ainsi que sa compétitivité
restent limitées, parce que les pays développés continuent de subventionner
les secteurs “sensibles” et parce que ses entreprises sont rarement en
mesure de respecter les règles d´origine restrictives qui s´appliquent aux
marchandises à exporter vers le partenaire développé.
En outre, les préférences négociées par un pays en développement avec un
partenaire développé peuvent rapidement se diluer si ce même partenaire
conclut aussi des accords de libre-échange avec d´autres pays en
développement. Les économistes de la CNUCED concluent que “les avantages
qu´un pays en développement peut attendre d´une ouverture des marchés à son
égard sont loin d´être garantis alors que sa perte de latitude politique est
certaine”. Ils ajoutent qu´il est donc “dans l´intérêt des pays en
développement de faire avancer les négociations commerciales multilatérales
mais à condition que la problématique du développement figure en meilleure
place dans le régime international des échanges”.
(Source : CNUCED Rapport 2007
sur le Commerce et Développement)
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