Quel capitalisme pour la Tunisie ?

Par : Autres
Quel capitalisme pour la Tunisie ?

Par Imededdine Boulaaba

Depuis la chute du mur de Berlin, les élites socialisantes du monde
entier ont ressenti un véritable « Waterloo » idéologique. Certaines franges
non négligeables de l’intelligentsia tunisienne ont appelé à repenser le
rapport « capital-travail » à la lumière des derniers soubresauts politiques
internationaux. D’autres ont continué à s’accrocher, au risque d’un combat
d’arrière-garde, à leurs convictions d’antan.

Cela dit, il est maintenant tout à fait évident qu’une prospérité durable et
solide, pour les pays du sud, passe inéluctablement par une insertion totale
et de plus en plus poussée dans l’économie mondiale et le circuit
international des échanges. C’est ainsi qu’une vague de libéralisation sans
précédent est en train de déferler sur toute la planète emportant dans son
sillage tous les tenants du « tout Etat » et autres adeptes tenaces du
collectivisme.

Mais la Tunisie est-elle assez outillée pour entrer dans l’arène
internationale des échanges ? Dispose-t-on d’un tissu industriel et social
apte à soutenir la concurrence, parfois déloyale, des autres nations ? Quel
capitalisme faut-il encourager et favoriser dans notre pays ?

Le modèle Anglo-saxon :

Tout d’abord, et c’est une question fondamentale, pour relever le défi de
l’exportation et réussir l’intégration de notre économie nationale dans le
marché mondial, les opérateurs économiques tunisiens doivent, à tout prix,
se dessaisir de la mentalité affairiste et boutiquière et considérer leurs
investissements dans une optique nationaliste fondée sur le profit à moyen
et long termes.
D’ailleurs, actuellement, si les modèles germaniques et japonais demeurent
en vogue, c’est parce que le modèle capitaliste anglo-saxon, basé sur la
spéculation, les opérations boursières et le bénéfice immédiat, est entrain
de péricliter, au vu des résultats de la politique ultra-libérale entamée
depuis des décennies, de l’autre côté de l’Atlantique. L’Angleterre, fidèle
à des traditions ancestrales du libre échangisme, peine à s’amarrer à
l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique sont, de nos jours, le pays le plus
endetté au monde, avec un déficit budgétaire record. Le culte de
l’entreprise, de la réussite individuelle et du profit immédiat, brandi lors
de l’instauration du nouvel ordre international, a marginalisé, un peu
partout dans le monde, les classes moyennes et sacrifié les mesures
d’accompagnement social en faveur des couches les plus défavorisées.

Le modèle germanique

En fait, le capitalisme allemand et nippon, contrairement au modèle
d’outre-Atlantique, ne s’est jamais offusqué du rôle de l’Etat en tant
qu’opérateur économique, redistribuant la richesse nationale et intervenant
sur le marché lorsque le besoin se fait sentir. La bourgeoisie Rhénane a
toujours prospéré sur la base d’un contrat social et s’est constamment
soucié de l’intérêt national en favorisant, à la fin de la 2ème guerre
mondiale, l’installation d’un capitalisme consensuel. Il est impératif de se
pencher sur le sens de la réussite économique des deux vaincus du dernier
conflit planétaire et l’ensemble des décideurs économiques du pays, au lieu
de chanter les vertus du libéralisme à outrance et d’appeler à la
disparition de l’Etat, devraient plutôt favoriser l’émergence d’un
capitalisme social, à base familiale (à l’instar de l’Italie) où les lois du
marché et les mécanismes étatiques seront toujours convergents. Ce point est
d’autant plus important que, autant le capitalisme est créateur de richesses
à court terme, autant il risque de devenir destructeur des valeurs sociales
à long terme s’il n’est pas suffisamment encadré par les pouvoirs publics et
concurrencé par d’autres valeurs sociales que celles de l’argent.

Un capitalisme à visage humain

Le capitalisme tunisien doit prospérer en protégeant les biens les plus
précieux et les plus nobles dans la vie des hommes à savoir l’honneur, la
joie, l’affection, le respect d’autrui qui ne doivent venir sur aucun
marché, ni animé de l’esprit de gain et de la recherche du grand gain. Car
lorsque le haut fonctionnaire, le soldat, le magistrat, l’arbitre, le savant
sont dominés par cet esprit, la société croule et toute forme d’économie
sera menacée.

Finalement, tout en encourageant l’initiative privée, les pouvoirs publics
ont l’obligation de protéger le pays contre les conséquences sociales des
débordements du capitalisme en favorisant dans les entreprises une véritable
cogestion qui associe à la décision toutes les parties prenantes : patrons,
syndicats et pourquoi pas les actionnaires. Cette concertation permanente,
tout en neutralisant le vieil antagonisme « capital- travail », renforce le
sentiment d’appartenance qui fait de l’usine une véritable communauté
d’intérêts.
La jeune génération d’hommes d’affaires tunisiens se doit, si elle veut
éviter les effets néfastes d’un capitalisme sauvage, de préparer
convenablement la carrière des cadres et des employés, de lisser les courbes
et d’éviter les rivalités destructrices.