Dans
les sociétés arabo-musulmanes, comme la nôtre, les jouets d’enfants sont des
produits qu’on n’offre pas à longueur d’année, seulement en des occasions
bien déterminées, tels un anniversaire, un succès scolaire s’il s’agit d’un
enfant tout petit, une fête de circoncision, ou tout simplement un événement
familial heureux à l’occasion duquel on voudrait faire plaisir aux poupards.
Or, la fête de l’Aîd el fitr reste pour nos poupons l’événement de l’année
le plus attendu, car, justement, le mieux indiqué pour les jouets. A
regarder, aujourd’hui, les jouets proposés à nos enfants dans les rues ou
les magasins, on a, nous les 40-50 ans, l’impression que ces jouets ont
décidément la vie longue pour être les mêmes que ceux que nous, enfants,
recevions en ces années 60. C’est à croire, de prime abord, que la société a
évolué, mais pas nos enfants. Eh bien, erreur sur toute la ligne. Quiconque,
aujourd’hui même, c’est-à-dire juste la veille de l’Aïd, prêterait
attention, quelque part dans les grandes artères de Tunis (et principalement
la rue Charles de Gaulle), au spectacle d’un enfant regardant un monceau de
jouets sur le trottoir ou à la vitrine d’un magasin, ne peut ne pas être
frappé par l’indifférence quasi-totale qu’affiche précisément cet unique
client à qui est proposée la marchandise.
Et à la réflexion, il n’y a pas, au fond, de quoi être étonné. Fini, de nos
jours, la magie de ces jouets en plastique ou, plus grave, en PVC qui
représentent une poupée, une voiture, une carabine, un revolver et autres
naïvetés du genre. Sauf peut-être sur les tout petits (de un à trois ans),
ces jouets franchement surannés n’exercent plus le moindre attrait sur la
génération du début de ce 21ème siècle. Rien.
Nous autres, les quinquagénaires, avons grandi avec de la craie, du chiffon
et un carré de bois vulgaire que nous prenions pour une ardoise ; de sorte
qu’à l’époque, les jouets en plastique nous semblaient des merveilles à ne
pas manquer un jour d’Aïd. Fini tout ça.
Irrémédiablement ! Quand vous voyez aujourd’hui nos enfants, dès l’âge de 4
ans, pianoter sur un clavier d’ordinateur, enregistrer tous seuls leur
musique préférée, coller un MP3 à l’oreille pour écouter leurs favorites,
chercher des images et les placarder à l’écran pour s’en délecter les yeux
chaque fois qu’ils mettent leur ordinateur en marche,… eh bien, vous pensez
vraiment qu’une carabine stupide en plastique leur ferait plaisir ?… Non.
Franchement non.
Vous pensez vraiment qu’un jouet représentant un téléphone portable mais
empiffré de chiffons leur ferait plaisir, alors que c’est eux – Eux ! – qui
règlent l’heure, le jour et le mois sur le portable de leurs parents ? Vous
pouvez penser ça ?… Impossible. Et de toutes les manières, le constat est
là, visible et tangible. Un petit tour par la rue Charles de Gaulle nous a
amenés à apprécier de visu le désintéressement de ces enfants du 21ème
siècle à l’égard de tout ce qui est grotesquement virtuel. Un
désintéressement qui fait de la peine quand on pense que derrière ces jouets
obsolètes il y a des individus qui attendent un petit gain pour ne pas
fermer boutique.
Seulement voilà, il s’agit, à présent, de prendre conscience de cette
réalité qui veut que chaque époque ait ses lois, ses tendances, son air du
temps, et son goût surtout. Quand votre fillette, âgée de 6 ans et plus, a
pris l’habitude de chercher sur son ordinateur des images de Cindy Crawford,
Sharon Stone, Madona, Elvis Presley, Michael Jackson et autres stars
mondiales, vous allez vraiment lui offrir une poupée mue par des piles
jetables ou bout d’un quart d’heure ?… Que non !… Vraiment non. Sauf si
vous choisissez de l’abêtir, d’en faire un être arriéré mental. Et auquel
cas, ce serait vous le coupable. Quant aux fabricants, ils ne doivent pas
pour autant s’imaginer que l’ère du jouet pour enfant est révolue. Pas du
tout. Psychologiquement, l’enfant, en bas âge, a toujours besoin d’un jouet.
Il le lui faut. Et c’est plus qu’indispensable. Sauf que la conception, de
nos jours, du jouet doit prendre en considération l’existence d’autres
facteurs (le portable, l’ordinateur, l’image, la photographie à partir du
portable, etc.) qui menacent de la ridiculiser si elle n’a pas un caractère
original, imaginatif, évolutif, bref qui ne suit pas l’air du temps. En
d’autres termes, il faudrait faire preuve de beaucoup d’imagination et
s’ingénier à proposer à l’enfant quelque chose à même de le faire rêver.
Quand l’enfant arrive devant une vitrine, il a l’air de dire : «Epatez-moi,
étonnez-moi !…». Car c’est ça son attente. Mais est-ce avec du plastique
que vous parviendriez à l’épater ?…