De grands progrès ont été accomplis depuis les années 1980 dans la réduction
des distorsions qui affectent l’agriculture dans les pays en développement,
en particulier grâce à des réformes macroéconomiques.
Il existe toutefois une importante marge de manœuvre dans l’application de
nouvelles réformes en faveur d’une croissance plus rapide de l’agriculture
et de la lutte contre la pauvreté.
Des programmes complémentaires de transition sont souvent nécessaires pour
indemniser les perdants, inscrire les réformes dans le cadre plus large de
l’économie politique et faciliter l’adaptation à des marchés nouveaux.
Les politiques suivies par les pays en développement ont toujours atténué
l’effet des incitations dont disposent les producteurs agricoles. Les
politiques macroéconomiques ont taxé l’agriculture plus lourdement que les
politiques agricoles, mais ces deux éléments ont joué un rôle important dans
les pays pauvres. Dans une étude portant sur 16 pays en développement entre
les années 1960 et le milieu des années 1980, l’imposition directe moyenne
(prix en aval fixés à des niveaux inférieurs aux prix mondiaux, par exemple)
a été estimée à 12 % des prix agricoles à la production et la fiscalité
indirecte (comme l’existence de taux de change surévalués) à 24 %. Le niveau
élevé d’imposition de l’agriculture est allé de pair avec la faiblesse de la
croissance de ce secteur — et avec un ralentissement de la croissance de
l’économie —, en particulier dans les pays en développement les plus pauvres
qui ont le plus imposé l’agriculture.
Les réformes ont réduit de manière significative l’imposition de
l’agriculture.
Les réformes menées dans les années 1980 et 1990 afin de rétablir
l’équilibre macroéconomique, d’assurer une meilleure affectation des
ressources et de renouer avec la croissance dans bon nombre des pays les
plus pauvres ont créé des incitations par les prix aux agriculteurs des pays
en développement. Ces réformes ont réduit les distorsions dont souffre
traditionnellement l’agriculture sans toutefois les éliminer. Entre la
période 1980-1984 et la période 2000-2004, la taxation nette de
l’agriculture (directe aussi bien qu’indirecte) est passée en moyenne de 28
% à 10 % dans les pays à dominante agricole (essentiellement en Afrique
subsaharienne). Elle a également baissé de 11 % à 2 % dans les pays en
mutation (essentiellement en Asie) et est passée d’une protection
marginalement négative à une protection nette de 10 % dans les pays
urbanisés (essentiellement en Amérique latine).
Ces progrès s’expliquent en majeure partie par des réformes
macroéconomiques. La réduction de la surévaluation des monnaies, pratique
qui avait pour effet de taxer les exportations agricoles (réalisées en
général au taux officiel) et de subventionner les importations de denrées
alimentaires, se reflète dans la chute considérable des primes dont les
devises étrangères bénéficient sur les marchés parallèles des pays en
développement. Pour 59 de ces pays, la prime moyenne sur le marché parallèle
est passée de plus de 140% dans les années 1960 à environ 80% dans les
années 1970 et 1980 et à 9% à peine au début des années 1990, avec toutefois
de fortes disparités d’un pays à l’autre.
Les réformes macroéconomiques et les réformes du secteur agricole des années
1980 n’ont eu à l’origine que peu d’effet sur la croissance de l’agriculture
à cause de la baisse des cours des produits de base sur les marchés
mondiaux. Cette situation a changé au cours des années 1990. Des cours
mondiaux plus favorables et la poursuite des réformes ont permis aux prix
intérieurs réels des exportations agricoles d’augmenter plus rapidement. La
mise en place de mesures incitatives plus fortes au niveau des prix explique
en partie la hausse de la croissance dans l’agriculture que de nombreux pays
d’Afrique sub-saharienne connaissent depuis les années 1990.
La poursuite des réformes reste toutefois nécessaire.
Même si les réformes macroéconomiques ont été généralement une réussite, il
reste des possibilités considérables de réforme au sein du secteur agricole.
Le fait que l’imposition nette d’ensemble se situe à un niveau relativement
plus bas cache à la fois des pratiques de protection des produits importés
et d’imposition des exportations qui peuvent dans l’un et l’autre cas être
élevées (tableau 1). De ce fait, il reste une marge de manœuvre
significative pour de nouveaux gains d’efficacité dans le cadre des
politiques commerciales propres aux pays en développement.
Dans le même temps, les pays membres de l’OCDE n’ont que peu progressé en
matière de réformes de fond. Les mesures protectionnistes et les subventions
qu’ils appliquent continuent d’imposer des distorsions aux prix mondiaux de
nombreux produits de base, en particulier pour le coton et les oléagineux
(voir la fiche consacrée au commerce des produits agricoles).
Le processus de réforme produit des gagnants et des perdants : L’un des
facteurs préoccupants des politiques de libéralisation des échanges
commerciaux réside dans l’incidence qu’elles peuvent exercer sur le niveau
de vie des populations pauvres, en particulier pour ce qui est des denrées
alimentaires de première nécessité. Tout changement de prix est de nature à
faire parmi les pauvres des gagnants et des perdants dont la répartition
varie d’un pays à l’autre. Une libéralisation des échanges qui fait
augmenter les prix des denrées alimentaires s’opère au détriment de ceux qui
en sont des acheteurs nets (catégorie la plus importante de la population
rurale pauvre dans des pays comme la Bolivie ou le Bangladesh) et au
bénéfice de ceux qui en sont des vendeurs nets (catégorie la plus nombreuse
de la population rurale pauvre au Cambodge ou au Viêt Nam).
Outre ses effets directs sur les prix des produits alimentaires, la
libéralisation des échanges a une incidence sur les pauvres par le biais de
la création ou de la perte d’emplois et de salaires.
La réforme en profondeur des circuits commerciaux qui a été menée au Viêt
Nam au début des années 1990 a eu pour effets une forte réponse sur le plan
de l’offre et une augmentation du niveau de vie des agriculteurs pauvres. Au
Bangladesh, en moyenne, les ménages pauvres de paysans sans terre subissent
une perte à court terme du fait de l’augmentation des prix du riz mais
peuvent y gagner à long terme avec l’augmentation progressive des salaires.
La décomposition des revenus au Viet Nam, au Bangladesh et en Ouganda montre
que les effets sur le marché de la main-d’œuvre constituent bel et bien l’un
des éléments importants de l’incidence des réformes commerciales sur le
niveau de vie. Toutefois, ces effets varient considérablement d’un pays à
l’autre.
L’économie politique a un rôle à jouer : Du fait de l’existence de
gagnants et de perdants, les réformes sont en règle générale un sujet
politiquement sensible et se heurtent à des intérêts acquis fermement
établis. Elles sont donc souvent difficiles à mettre en œuvre.
L’appartenance à l’OMC peut aider à y inciter. Les médias locaux peuvent
mettre en lumière le coût qu’elles représentent pour le contribuable et
l’incidence inégale des avantages qu’elles apportent. Dans certains cas, des
compromis négociés et des dispositifs d’indemnisation des perdants sont
susceptibles d’avoir de bons effets, comme ce fut le cas au Mexique, dans
les années 1990, avec la réforme des prix des denrées de base. Le fait
d’inscrire les réformes propres au secteur agricole dans un ensemble plus
large de réformes portant sur l’ensemble de l’économie est de nature à
accroître les chances de succès, comme ce fut le cas dans un grand nombre de
pays en développement dans les années 1980 et 1990. Toutefois, ces réformes
restent incomplètes pour ce qui est de l’agriculture.
Compte tenu du caractère politiquement délicat des réformes et des
spécificités de chaque pays quant à leurs effets, il apparaît opportun
d’offrir aux pays une certaine souplesse dans le cadre des règles du
commerce si cela est fait de manière à encourager une évolution vers une
libéralisation du marché. Des programmes adaptés aux spécificités d’un pays
seront nécessaires pour faciliter la transition vers les nouvelles réalités
du marché, en particulier pour les petits exploitants et les autres
catégories vulnérables.
Des politiques et programmes complémentaires sont nécessaires pour rendre
les réformes effectives.
Des actions et programmes complémentaires (dont des mesures d’aide au
commerce) sont nécessaires pour indemniser les perdants (programmes de
transferts) et pour permettre une adaptation rapide et équitable des petits
exploitants face aux avantages comparatifs émergeants (investissements dans
les biens publics et réformes institutionnelles). Tout le problème est
d’assurer l’équilibre adéquat entre les transferts destinés à atténuer les
effets de la transition et les investissements dans les biens publics de
base réalisés afin de favoriser la croissance à long terme de l’agriculture
et la lutte contre la pauvreté. Le risque est grand de tomber dans le piège
du protectionnisme et des subventions en accordant la préférence aux mesures
de soutien temporaire au détriment de la croissance à long terme.
Programmes de transition: Des programmes de transition destinés à
aider les agriculteurs à s’adapter aux nouvelles conditions des marchés et à
indemniser les perdants sont souvent nécessaires à la réussite des réformes.
Ces programmes doivent tenir compte de l’hétérogénéité de la situation des
différentes catégories, distinguer les particularités démographiques et
géographiques et analyser l’ampleur des pertes et des gains potentiels. Les
mesures de soutien peuvent porter sur les domaines suivants :
– aides au lancement de nouvelles productions : Le programme de réduction
des subventions à l’agriculture mis en œuvre par la Turquie en offre un bon
exemple. Des aides à l’hectare ont été versées aux agriculteurs afin de leur
permettre d’abandonner la culture du tabac et celle des noisettes en faveur
de choix plus efficaces comme le maïs, le soja, le tournesol et les légumes.
Des aides complémentaires ont été mises en place pour développer
l’efficacité des filières coopératives de commercialisation ;
– prestations en liquide et réseaux de protection sociale : Pour aider les
plus pauvres et soutenir les adaptations nécessaires, les pouvoirs publics
peuvent avoir à verser des prestations en liquide et à mettre en place des
réseaux de protection sociale, comme cela a été fait au Mexique dans le
cadre du programme Procampo.
La capacité d’un pays à mettre en œuvre des programmes de transition peut
être réduite par des problèmes de gouvernance, facteur qu’il convient
également de prendre en compte.
Investissements publics en faveur du développement à long terme : Les
prestations en liquide et les aides peuvent ne pas être suffisantes pour
provoquer une réaction à long terme de l’offre qui dépend autant des
infrastructures rurales (irrigation, routes, transports, énergie,
télécommunications) que des marchés, des services financiers en milieu rural
et de la recherche. Des investissements complémentaires dans ces biens et
services publics seront nécessaires pour tirer profit des réformes
commerciales et réagir à de meilleures mesures incitatives. Dans de nombreux
pays, d’Afrique subsaharienne en particulier, les besoins d’investissement
sont importants, notamment en matière d’infrastructures des marchés, de
développement institutionnel, de recherche et de formation agricoles et de
gestion des ressources naturelles.
Transition vers d’autres formes d’imposition. Continuer à réduire la
protection des importations et l’imposition des exportations de produits
agricoles de base risque de poser un dilemme budgétaire à de nombreux pays à
dominante agricole qui dépendent de ces rentrées pour assurer les
investissements publics. En Afrique subsaharienne, les taxes sur le commerce
aux frontières représentent environ un quart de l’ensemble des recettes
publiques. Dans les pays en développement d’Asie, le chiffre correspondant
est d’environ 15 %. L’agriculture demeurant le secteur dominant dans la
plupart des pays d’Afrique subsaharienne, elle devra continuer à contribuer
aux recettes des pouvoirs publics nationaux et des autorités locales.
L’imposition des produits agricoles devrait obéir à quatre grands
principes :
a) ne pas instaurer de discrimination entre les secteurs ;
b) réduire le plus possible les distorsions imposées aux prix du marché ;
c) prendre en compte le critère d’efficacité en termes de recettes
budgétaires ;
d) pouvoir être mise en œuvre aisément.
Si l’expérience des dernières années offre un tableau mitigé en ce qui
concerne le passage à d’autres sources de recettes, elle fournit également
certains enseignements sur la manière de pallier les pertes de rentrées
commerciales. On pourra chercher à élargir l’assiette fiscale en réduisant
les exemptions, en simplifiant les structures tarifaires et en améliorant la
gestion des recettes, de même qu’en mettant en place des droits d’accise et
une TVA sur la consommation reposant sur une assiette assez large.
(Source : Rapport sur le développement dans le
monde 2008:
L’agriculture au service du développement)
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