Investir davantage et mieux dans l’agriculture

Investir davantage et mieux dans l’agriculture

Pour que l’agriculture connaisse une croissance plus rapide et soit plus
réactive à de meilleures incitations au niveau des prix, il est nécessaire
d’investir dans des biens publics de base comme les infrastructures de
marché, la recherche, les institutions et les services d’appui.

Dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, ces investissements
publics sont très faibles. Dans de nombreux autres pays, toutes régions
confondues, les investissements dans ces biens publics de base souffrent
d’inefficacité et d’une répartition inéquitable des subventions.

Pour dépenser plus et mieux, il faut mettre en place des procédures
budgétaires améliorées et les adapter à des stratégies agricoles bien
conçues. Il est nécessaire de mieux informer l’opinion publique et d’assurer
la transparence en ce qui concerne l’attribution des fonds et ses effets
afin de pouvoir s’assurer un soutien politique aux réformes budgétaires.

Les investissements dans les biens publics de base sont payants.
La croissance de l’agriculture et la réduction de la pauvreté dépendent
de manière vitale des investissements dans les infrastructures rurales
(irrigation, routes, transports, énergie, télécommunications) ainsi que dans
les domaines des marchés, des services financiers en milieu rural, de la
recherche et de la vulgarisation rurale. Les investissements de ce type sont
en règle générale hautement rentables. Les taux moyens de rendement des
investissements en matière de recherche agricole et de vulgarisation, par
exemple, sont estimés entre 35 % (Afrique sub-saharienne) et 50 % (Asie),
chiffres attestés par 700 études. Ils se situent très au-dessus du coût de
l’argent accessible aux pays en développement. Les investissements en
matière d’irrigation se révèlent eux aussi hautement profitables en Asie. En
Afrique subsaharienne, après de nombreux échecs dans les années 1980, il
n’est pas rare aujourd’hui que la rentabilité des projets d’irrigation
atteigne des taux de 15 à 20 % observés généralement dans le reste du monde.
Dans les zones rurales de la Chine, de l’Inde ou de l’Ouganda, les chiffres
montrent que la rentabilité la plus élevée, en termes de croissance comme de
lutte contre la pauvreté, provient des investissements dans les domaines de
la recherche agricole, des routes et de l’éducation.

Cependant, les dépenses consacrées à l’agriculture sont faibles en
Afrique subsaharienne.

Dans les pays à dominante agricole (essentiellement en Afrique
subsaharienne), le niveau des dépenses publiques consacrées à l’agriculture
en pourcentage de la part de cette activité dans le PIB est nettement moins
élevé (4 % en 2004) qu’il ne l’a été dans les pays en mutation
(essentiellement en Asie) durant la poussée de croissance de l’agriculture
des années 1980 (10 %) (tableau 1, diagramme a). Les niveaux actuels des
dépenses consacrées à l’agriculture en Afrique subsaharienne sont
insuffisants pour permettre une croissance durable. Afin d’inverser cette
tendance, il a dernièrement été préconisé, dans le cadre du nouveau
programme économique pour le développement de l’Afrique, de les porter à 10
% des budgets des États, niveau qui a assuré le succès des pays aujourd’hui
en mutation.

Dans les pays en mutation et les pays urbanisés d’Asie et d’Amérique latine,
le déclin du financement public de l’agriculture correspond en partie à
l’importance moindre de l’agriculture dans l’économie.
Toutefois, on a pu observer récemment dans plusieurs pays, notamment la
Chine, l’Inde et le Mexique, des renversements de tendance dus à la
nécessité de lutter contre l’accroissement de la pauvreté en milieu rural et
de réduire la disparité accrue des revenus entre ruraux et population
urbaine.

Les investissements mal ciblés sont dans de nombreux pays un phénomène
omniprésent.
Au sous-investissement dans l’agriculture s’ajoutent les investissements
mal ciblés que constituent les dépenses consacrées à des biens privés
(subventions sur les intrants et transferts) qui bénéficient davantage les
agriculteurs aisés. De ce fait, la qualité des dépenses publiques —
efficacité et équité de l’usage des ressources — est souvent un facteur plus
important que leur montant.

Les études réalisées récemment sur les dépenses publiques montrent que les
dotations publiques consacrées aux subventions et aux transferts sont
élevées : 37 % en Argentine, 43 % en Indonésie, 75 % en Inde et en Ukraine.
Au Kenya, les transferts monétaires envers les organismes parapublics ainsi
que les subventions ont représenté en 2002-2003 26 % de l’ensemble des
dépenses affectées à l’agriculture par les pouvoirs publics. En Zambie, en
2003-2004, 85 % des dépenses autres que salariales ont été constituées par
des subventions versées à des agriculteurs (gros exploitants pour la
plupart) pour l’achat d’engrais et le soutien des prix du maïs. Cette
préférence pour les subventions a souvent tendance à s’accentuer lorsque les
revenus d’un pays augmentent. En Inde, par exemple, le rapport entre les
subventions agricoles et la part de l’agriculture dans le PIB a fortement
augmenté entre 1975 et 2002.

Les subventions ne sont pas toutes inefficaces. Elles peuvent aider à
pallier des insuffisances temporaires des marchés (dans le cadre d’une
stratégie plus large), à compenser les coûts fixes des infrastructures et à
réduire les risques.

Cependant, elles sont rarement utilisées à ces fins et, au contraire,
bénéficient le plus souvent les exploitants aisés. Du fait du manque de
ressources financières, l’augmentation des subventions s’opère souvent au
détriment des investissements à haut rendement dans les biens publics. En
Zambie, pays où 37 % du budget de l’agriculture est consacré aux subventions
pour les achats d’engrais ; la recherche, la vulgarisation et les
infrastructures rurales, investissements dont la rentabilité élevée est
attestée, n’ont représenté que 15 % des dépenses budgétaires en 2003-2004.
De même, en Inde, l’augmentation des subventions a pris le pas sur les
investissements consacrés aux biens publics de base, qui ont subi une baisse
(tableau 2). Même lorsque les subventions sont efficaces à l’origine, elles
ont souvent pour effet de créer des droits acquis, ce qui les rend
difficiles à supprimer lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. De ce fait,
telles qu’elles sont pratiquées en règle générale, les subventions
aboutissent à un usage inefficace et inéquitable des ressources qui
représente un coût élevé pour les agriculteurs en termes de perte de
croissance et de revenus.
Il importe d’adapter les budgets aux stratégies et aux politiques agricoles
pour éviter le sous-investissement et les investissements mal ciblés. Ces
stratégies et politiques doivent toutefois reposer sur de solides bases
empiriques et analytiques. Le Viet Nam est en position de pointe dans le
recours à des évaluations fondées sur des faits probants afin de faire en
sorte que les dépenses consacrées aux biens publics de base au profit de
l’agriculture soient bien intégrées aux projets de dépenses à moyen terme du
pays.

Du fait de l’importance considérable des ressources requises pour réaliser
le programme de l’agriculture au service du développement, les
investissements sont plus difficiles à opérer pour les pays à dominante
agricole. Si l’apport des bailleurs de fonds peut aider à faire face à ces
besoins, l’élargissement de la base des recettes nationales et
l’amélioration de la planification et de la gestion budgétaires relèvent en
revanche des autorités de chaque pays. Des cadres de dépenses à moyen terme
reposant sur des budgets de programme dotés d’objectifs clairement définis,
des évaluations spécifiques des coûts et la transparence dans l’attribution
des fonds permettront d’adapter les ressources financières (y compris les
contributions des bailleurs de fonds) aux priorités.

Des examens détaillés des dépenses publiques dans le secteur agricole
constituent souvent un premier pas pour dresser un tableau global de l’usage
actuel des ressources budgétaires. Des analyses plus approfondies de
l’efficacité des dépenses dans certains sous-secteurs peuvent également
fournir des informations précieuses. Les organismes de recherche agricole se
montrent particulièrement actifs pour fournir des estimations des taux de
rentabilité (généralement élevés) de leurs investissements.

L’économie politique a son mot à dire.
Pour accroître l’efficacité de l’utilisation des ressources, il faut
prendre en compte les contraintes en termes d’économie politique qui pèsent
sur les dotations budgétaires. Le montant et la qualité des dépenses
publiques sont fonction de variables d’ordre à la fois institutionnel,
démographique et
une large part de la richesse nationale ont souvent les moyens d’influer à
leur profit sur l’action des pouvoirs publics. En Amérique latine, par
exemple, la part des subventions publiques à l’agriculture est plus élevée
là où les inégalités de revenus sont plus fortes, sans doute à cause du
poids politique des grands exploitants. Si l’inefficacité des dépenses
publiques résulte de l’influence de certains groupes d’intérêts, la solution
pourrait consister à accroître le poids d’une catégorie plus large de
parties prenantes, en particulier les petits exploitants. Au Sénégal,
l’organisation d’agriculteurs Apex est associée aux débats sur la politique
agricole du pays et aux décisions sur les dotations consacrées à la
recherche agricole. La décentralisation administrative et politique peut, en
rapprochant les autorités locales ou les organisations communautaires des
décisions de dépenses, développer la transparence et l’obligation de rendre
compte. Le problème essentiel reste toutefois d’éviter que les progrès
soient accaparés par une élite. Pour le moment, la décentralisation paraît
n’avoir eu que des effets mitigés sur la qualité des dépenses publiques.

Le soutien politique aux réformes peut être acquis en développant la
transparence quant aux effets redistributifs des telles politiques, en
adoptant progressivement des subventions ciblées, ainsi qu’en regroupant et
en séquencant dans le temps les réformes de manière à réduire l’opposition
qu’elles peuvent susciter. L’absence de programme formel d’évaluation des
dépenses, à laquelle s’ajoute le manque d’accès aux informations officielles
sur les dépenses et leurs bénéficiaires, réduisent l’efficacité des
mécanismes de responsabilisation qui pourraient provenir de l’existence de
contrepoids politiques, d’une presse libre ou d’organisations impartiales
émanant de la société civile. Des évaluations rigoureuses faisant l’objet
d’une large diffusion et une transparence accrue seraient de nature à
atténuer ce déficit d’information.
 

(Source : Banque mondiale)