A l’occasion du lancement d’un dossier spécial banques, nous avons voulu
interroger les analystes de Fitch ratings sur les scénarios possibles
concernant le rôle des banques tunisiennes dans la région du Maghreb et à
l’international, compte tenu des mutations actuelles (fusions,
internationalisation, privatisations, concurrence accrue,…) et quels en
seraient, éventuellement, les préalables.
Les institutions financières tunisiennes ont de solides raisons d’envisager
d’internationaliser leurs activités : en effet leur marché national est
exigu et leur rentabilité est fortement contrainte par la vive concurrence
qui sévit sur ce marché.
Vers quels horizons devraient-elles orienter leur expansion internationale ?
Selon quelles modalités stratégiques cette internationalisation devrait-elle
s’effectuer ? Dans quels métiers de la banque ou de la finance ont-elles le
plus de chances de réussir leur internationalisation ?
Pour tenter d’y répondre, il est utile d’analyser l’approche adoptée par les
banques marocaines qui ont incontestablement pris de l’avance en matière
d’internationalisation :
– Leurs initiatives ont concerné deux axes d’expansion géographique: le
Maghreb, d’une part, et l’Afrique subsaharienne (francophone), d’autre part.
– Les modalités stratégiques de cette expansion ont été différentes selon
les pays ciblés: prise de contrôle de banques existantes dans le cadre de
privatisations (prise de participation majoritaire de la Banque du Sud par
Attijariwafa Bank) ou d’accords négociés avec des actionnaires privés (prise
de participation minoritaire de la BMCE au capital de Bank of Africa). Elles
ont, en revanche, privilégié la création ex nihilo de filiales s’agissant de
l’Algérie (où elles attendent leur agrément).
– S’agissant des métiers ayant servi de fer de lance à cette
internationalisation, AWB semble privilégier l’exportation de son modèle de
banque de détail alors que la BMCE -qui n’a pas la puissance de feu de AWB- semble plus axer son expansion sur les métiers de banque d’investissement
(prise de contrôle d’Axis en Tunisie ou création d’une banque d’affaires au
Sénégal).
Quelles sont les institutions financières tunisiennes susceptibles de
s’internationaliser ? On peut d’abord exclure les filiales tunisiennes de
banques internationales qui sont par vocation dédiées au marché national.
Dans le secteur bancaire, les candidats potentiels à l’internationalisation
sont donc les 3 banques publiques (STB, BNA, BH) et les 2 banques privées (BIAT,
AB) auxquelles pourrait éventuellement être adjointe la BT même si on ne
sait pas trop s’il faut la classer comme filiale d’une banque internationale
(CIC) ou comme banque privée tunisienne. Les autres candidats à
l’internationalisation sont les institutions financières spécialisées dans
le leasing ou le factoring, les sociétés de Bourse ainsi que les
gestionnaires de fonds d’investissement.
Une stratégie d’internationalisation crédible nécessite de disposer d’un
solide business model exportable, d’une taille suffisante ainsi que de
moyens financiers et humains adéquats. Comment les banques tunisiennes
candidates à l’internationalisation se situent-elles par rapport à ces
critères ?
Il faut d’abord se rappeler l’évidence que les banques tunisiennes sont de
taille faible par rapport à leurs homologues maghrébines. Les autorités
tunisiennes n’ayant pas cherché à favoriser un rapprochement entre banques
tunisiennes (si l’on excepte l’absorption par la STB de la BNDT et de la
BDET et par la BNA de la BNDA),le paysage bancaire tunisien ne dispose pas
de véritables poids lourds nationaux à même de rivaliser avec leurs pairs
maghrébins. Il n’est à cet égard pas inutile de rappeler qu’Attijariwafa
Bank ne s’est lancée dans l’internationalisation qu’après avoir atteint une
taille critique en fusionnant la BCM avec Wafa Bank.
L’acquisition d’un bloc de contrôle d’une banque existante au Maghreb ou en
Afrique subsaharienne nécessiterait une importante injection de fonds
propres pour la banque tunisienne qui l’envisagerait. Cette injection de
capitaux venant en sus de celle qui serait d’ores et déjà requise pour
apurer le portefeuille de crédits non performants de cette banque, c’est
donc un très important effort financier qui devrait être consenti par les
actionnaires de cette banque.
Dans l’hypothèse d’un rapprochement avec une banque de la région mettant en
jeu un échange d’actions, une banque tunisienne ne pourrait prétendre à un
mariage entre égaux sauf à renforcer au préalable significativement sa
taille.
Il n’est pas démontré que les banques tunisiennes disposent actuellement de
ressources humaines suffisantes en qualité et en quantité pour mener à bien
une expansion internationale. De plus, nombre de banques tunisiennes n’ont
pas encore achevé la modernisation de leurs systèmes d’information et ne
disposent donc pas d’un système d’organisation exportable dans le cadre
d’une expansion internationale.
La croissance organique (création d’une filiale dans le ou les pays
sélectionnés) paraît, dans l’état actuel des choses, mieux adaptée aux
moyens financiers d’une banque tunisienne candidate à l’internationalisation
car les mises de fonds nécessaires sont plus réduites et peuvent être
étalées dans le temps. Il n’en demeure pas moins que c’est une entreprise de
longue haleine où la filiale devra créer des avantages compétitifs
suffisants pour se faire une place au soleil dans le contexte fortement
concurrentiel qui prévaut dans des pays comme le Maroc ou du fort
particularisme de pays comme l’Algérie et la Libye.
L’Afrique subsaharienne est un territoire d’expansion qui pourrait être plus
à la portée des banques tunisiennes. Mais le temps presse car ces marchés
intéressent de plus en plus d’investisseurs et les prix iront
vraisemblablement vers une hausse rapide. De surcroît ceux-ci sont des
marchés où une forte culture du risque est la seule garantie contre les
déboires. A signaler enfin que sur ces marchés, les Tunisiens devront être
capables de se mesurer avec de redoutables concurrents Sud-africains ou
Nigérians.
Le thème de l’expansion internationale des banques tunisiennes a fait
irruption dans le débat national avec la prise de contrôle de la Banque du
Sud par Attijariwafa Bank. Depuis lors, aucune avancée significative n’a été
enregistrée. En revanche, l’internationalisation est, depuis quelques années
déjà, une réalité forte pour le groupe Tunisie Leasing qui a toujours été
pionnier sur la scène financière tunisienne. La stratégie de niche adoptée
par ce groupe pour son développement au Maghreb et en Afrique subsaharienne
présente de bonnes garanties de succès : création (en joint-venture avec
Amen Bank) d’une filiale de leasing en Algérie, prise de participation dans
le groupe Alios Finance en Afrique et large déploiement international de ses
activités de private equity.
* Associate Director – Financial
Institutions Group – Fitch Ratings
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