«Les animateurs et
journalistes africains font du copier-coller des émissions qu’ils sont
habitués à écouter et à voir sur des chaînes comme RFI, TV5, Africa N°1…
Notre première tâche consiste à renverser la vapeur », martèle
Suzanne Kala-Lobé, journaliste à Lead Afrique Francophone, lors d’une
interview accordée au journal interne quotidien de la Banque africaine de
développement, La banque qui bouge. Dans cette interview, réalisée
en marge de la Conférence
économique africaine, (15-17 novembre 2007, Addis-Abeba), cette
journaliste non conformiste nous explique pourquoi il est temps de lancer
une chaîne africaine consacrée au développement.
Question : Vous militez
pour la création d’une chaîne de télévision africaine consacrée au
développement. Ce projet, qui nécessite des investissements importants,
est-il justifié aujourd’hui ?
Réponse :
Il s’agit d’un projet réellement mûri. Si nous posons la question sur la
table, c’est que nous avons travaillé là-dessus et
nous en sommes
actuellement à la première phase de réalisation. Cette phase a d’abord
consisté à analyser la manière dont l’Afrique est traitée dans les médias
occidentaux, comme dans les médias africains. Ensuite, nous avons travaillé
en réseau sur un concept, celui d’une chaîne africaine qui dirait autre
chose, mais qui prendrait systématiquement le contre-pied de cette Afrique
linéaire et statique que l’on voit en image. Certes, la réflexion sur la
place de l’Afrique dans les médias n’est pas une idée qui nous est propre.
Le mouvement critique s’est amorcé dans les années 1990 et va prendre forme
avec l’explosion des médias audio-visuels privés africains. Dans ces médias,
nous nous sommes rendus compte du fait que les animateurs et journalistes
faisaient du copier-coller des émissions qu’ils étaient habitués à écouter
et à voir sur des chaînes comme RFI, TV5, Africa N° 1, etc. Notre première
tâche consiste à renverser la vapeur.
Question : Quelle sera la particularité de votre travail et qu’avez-vous
fait concrètement jusqu’ici pour que ce projet voie le jour ?
Réponse :
La
particularité, c’est que notre travail est porté par un réseau du nouveau
leadership africain. Ensuite, il est déjà panafricaniste. D’abord, au niveau
de son organisation : la maison de production est camerounaise (EBK-Productions),
les concepteurs en collaboration avec EBK-Productions, sont les
communicateurs fellows de Lead, le réalisateur-diffuseur est la chaîne
Africâble, basée au Mali. Nous prenons prétexte d’événements comme la
Conférence économique africaine, qui mobilise des économistes africains à
l’initiative de la Banque africaine de développement et de la Commission
économique des Nations Unies pour l’Afrique), pour réaliser des sujets
forts. Tous les professionnels qui y travaillent sont sur le continent. Vous
savez, il y a beaucoup de professionnels des médias sur le continent. Ils
sont dans les médias depuis des années. C’est sur eux que nous allons nous
appuyer pour effectuer des reportages et alimenter nos émissions.
Maintenant, nous faisons du lobbying auprès des bailleurs de fonds pour
boucler notre plan de financement, car la télévision coûte cher, surtout
s’il s’agit de réaliser des émissions sur le développement, avec ce que cela
comporte comme tournage sur le terrain, parfois dans des zones
inaccessibles…
Question : Si votre projet se concrétise, quel en sera l’impact sur les
Africains?
Réponse : Nous
voulons jouer un rôle de stimulation et de miroir. Nous voulons que les
Africains s’approprient leur continent avec ses forces et ses faiblesses et
qu’ils travaillent à le transformer. Nous avons un concept d’émission,
Afrikki, défini avec des
partenaires, et que l’on peut décliner ainsi : «L’Afrique a du génie… elle a
du talent». Nous réalisons actuellement des reportages et des documentaires
sur la capitale éthiopienne, que nous articulons sur des thématiques liées à
l’événement que nous couvrons [NDLR : la Conférence économique africaine].
Nous faisons parler des personnalités éminentes sur des sujets controversés.
Puis nous poursuivons le débat dans la rue, par un vox-pop [NDLR : micro
trottoir]. Ce mélange de documentaire-pays et d’interview de fond nous
permet, sous prétexte de faire découvrir le pays où l’on est, de redonner
confiance aux Africains, en leur montrant que nous pouvons travailler
ensemble et qu’il y a des compétences en Afrique.
Question : Vous avez dit
que le financement d’une chaîne nécessitait beaucoup d’argent. Pourquoi
alors ne pas financer des programmes sur le développement dans des chaînes
qui existent déjà, pour limiter les coûts?
Réponse : L’idée
que nous avons du développement n’est pas ce que vous croyez. Il ne suffit
pas de produire des émissions ou des programmes dans les chaînes qui
existent déjà. Pourquoi ? Nous allons utiliser toutes les fonctions d’un
média : c’est un organisateur collectif, un élément structurant et un
fédérateur. Sa fonction symbolique est qu’il surdimensionne ou amplifie un
événement, un phénomène. La télévision allie toutes ces qualités et un média
holiste par excellence. C’est ce rôle que nous voulons que la chaîne assume,
pour qu’elle se positionne en Afrique. C’est la chaîne du continent.
Question : Comment
imaginez-vous une émission sur le développement dans cette nouvelle chaîne ?
Réponse :
Souvent, nous
croyons qu’il faut montrer des programmes de gens qui travaillent quelque
part dans nos villages ou villes. C’est ce qu’on appelle souvent programme
de développement (exemple : des travaux de forage ou l’organisation des
femmes en coopérative). Ces expériences seront montrées dans les différentes
émissions, mais dans la chaîne de développement, il faut voir dans la
session globale qui met en présence plusieurs choses : une mise en scène de
la gestuelle des personnes, du son, du texte. Elle ramasse en une image des
symboles et des signes différents et permet d’allier plusieurs genres
journalistiques en un magazine… Elle est le média global par excellence.
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