Le rachat des laboratoires de
développement de films Eclair pour 13 millions d’euros (des 57% qu’il ne
détenait pas…) par l’homme d’affaires tunisien de France –ou Franco-Tunisien,
c’est selon- Tarek Ben AMMAR, fait grand bruit dans l’Hexagone. Mais il y a
de quoi ! Il est désormais le propriétaire de tous les laboratoires
cinématographiques français (Eclair et LTC, acquis en 2002, en plus de GTC
et LNF -eux-mêmes rachetés auparavant par Eclair). Ce qui est loin d’être
négligeable, d’autant plus qu’il totalise désormais un chiffre d’affaires de
160 millions d’euros et peut compter sur un effectif de plus de 800
salariés.
Les médias français présentent notre Tunisien de France déjà comme un
sérieux rival des majors américaines, puisque ce rachat complète et élargit
son réseau paneuropéen de distribution cinématographique.
Interrogé par un journaliste de l’AFP, après la conclusion du rachat, M.
Tarek Ben Ammar affirme en demi-mot sauver une entreprise en voie de
perdition : “J’ai racheté des laboratoires qui étaient au bord du dépôt de
bilan, j’ai investi 50 millions d’euros sur cinq ans pour les renflouer et
les préparer au numérique et j’ai sauvegardé l’emploi”. Sans commentaires.
Et si certains médias français le considèrent comme un des géants de
l’industrie cinématographique, c’est en connaissance de cause. En effet, on
pense que ce rapprochement est à même de permettre aux entreprises
bénéficiaires pour la première fois cette année de mieux négocier avec leur
fournisseur, en l’occurrence l’américain Kodak, le prix de la pellicule qui
représente tout de même pas moins de “50% de leurs coûts”.
Pourtant, cela ne semble pas plaire à Mme Christine Albanel, la ministre
française de la Culture, qui s’est émue de cette “opération de
concentration” ; et annonce déjà vouloir rencontrer le ‘’Franco-Tunisien’’
pour parler des conséquences de ce que la ministre qualifie ‘’de
concentration’ sur la filière du cinéma. Apparemment c’est pour bientôt.
Mais à l’instar de Mme Albanel, trois organisations françaises d’auteurs,
réalisateurs et producteurs de cinéma, à savoir l’ARP, la SACD et la SRF,
ont, à leur tour, manifesté quelques signes d’inquiétude sur des
‘’éventuelles conséquences sociales de l’opération’’. Mais à ces
organisations syndicales, M. Ben Ammar n’a pas manqué d’être rassurant : “Je
suis un homme de cinéma, pas un banquier ni un spéculateur, je gère ces
sociétés en bon père de famille”. C’est clair, c’est limpide.
Alors que ces mêmes Français se plaignent de la mainmise américaine sur la
distribution de films en Europe (70%), pourquoi s’émouvoir de quelqu’un qui,
sans le vouloir intentionnellement, est en train de casser ce goulot
d’étranglement ? C’est quand même curieux non ! En tout cas, l’ambition de
M. Ben Ammar est de grignoter, petit à petit, dans les 30% qui restent en
Europe. Pour ce faire, il a mis en marche une stratégie d’étape : il a
acquis début décembre, pour 85 millions d’euros, 75% d’Eagle Pictures (le
premier distributeur indépendant italien), et selon des sources
concordantes, s’intéresseraient de près aux actifs en Scandinavie et en
Allemagne. Sans oublier qu’il est récemment entré à hauteur de 15% au sein
du capital du canadien ‘’Alliance’’, spécialisé dans les films indépendants
américains, qui possède le britannique Momentum et l’Espagnol Aurum.
Les Français ont la mémoire courte. Rappelez-vous qu’en 1984 (il y a 24 ans
donc), le président François Mitterrand décorait Tarek Ben Ammar de la
«Légion d’Honneur» en reconnaissance pour sa contribution au cinéma. Cela
dit en passant.
Et ce n’est pas tout. On le dit même capable aujourd’hui d’acheter des
sociétés de distribution dans n’importe quel pays d’Europe, et ce grâce à de
lucratives activités audiovisuelles en Italie, où sa holding Holland -qui
possède un bouquet chaînes TV numériques- a dégagé, rien qu’en 2006, un
profit record de 237 millions d’euros.
Une belle transition pour nous interroger sur ce personnage. Alors qui est
ce Tarek Ben Ammar ? Un homme d’affaires ? Un magnat des médias ? En fait il
est tout à la fois ; il n’est âgé que de 58 ans, neveu de Mme Wassila
Bourguiba (l’épouse de l’ancien président tunisien Habib Bourguiba),
propriétaire de studios en Tunisie où ont été tournés nombre de films
américains à gros budget, notamment ‘’Star Wars’’ de George Lucas, ‘’Les
Aventuriers de l’arche perdue’’ de Steven Spielberg, ‘’Jésus de Nazareth’’ ;
mais également certains de ses propres films comme «La Traviata», «Deux
heures moins le quart avant Jésus Christ», «Pirates», avec à la clé quelques
200 millions de dollars investis en Tunisie et plus de 20.000 emplois crées.
En vingt cinq ans, pour un budget total de plus de 500 millions de dollars,
Tarek Ben Ammar a produit une cinquantaine de 50 films de facture
internationale. Et s’il en été ainsi, c’est parce que Tarek Ben Ammar a une
une vision ‘’internationaliste’’ ou ‘’mondialiste’’ du cinéma, ce qui l’a
amené à développer des productions et des coproductions aussi bien aux
Etats-Unis qu’en Europe. Mais il savait également que pour réussir dans ce
domaine, il est nécessaire de s’entourer des grands dans ce métier. Sur ce
point, il sera bien servi, des Jerry Schatzberg à Robert Redford, en passant
les Franco Zeffirelli, Henri Verneuil, Roman Polanski, Luigi Comencini,
Barry Levinson Mario Monicelli, Brian de Palma, et la liste est longue.