M.
Abdelwaheb Mahjoub, directeur de la Fête de l’olivier et président de
l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tébourba (universitaire en
psychologie sociale à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis
également), nous présente dans ce qui suit d’amples détails sur la
manifestation «Olivier généreux et corps poète» et sur la campagne «Kif kif»
de Handicap International.
«L’olivier c’est notre
civilisation», c’est ainsi que M. Mahjoub qualifie «le pétrole tunisien»…
«Dire ‘’Kif kif’’ renvoie à un questionnement : qu’est-ce
qui est «Kif kif» ? Est-ce que c’est vrai que c’est «Kif kif » ? En quoi
sommes-nous « Kif kif »? Et donc en quoi on est différent aussi» ? Tout ce
questionnement est destiné à faire réfléchirquand il émane des personnes sur leur position vis-à-vis
d’autrui, leurs regards leurs attitudes…
Cette main là (voir affiche) représente cinq doigts, et
cinq doigts qui ne sont pas «Kif kif», mais ce qu’il y a derrière c’est que,
une main sans un doigt elle perd sa fonction, malgré la différence il y a
une complémentarité.
Donc ce dessin là, non seulement il appelle à réfléchir et
à consacrer cette complémentarité mais aussi les doigts ont une fonction de
partage de fonctions, et le partage est l’une des premières valeurs
humaines. Nous sommes-là pour vivre un moment de partage.
Quand nous revenons dans notre inconscient collectif en
Tunisie, on va chercher quelle symbolique nous permet d’atteindre ces
concepts qui sont des concepts humains, humanitaires et essentiellement
fondateurs de nos relations, et on va verra que c’est la nature. La nature,
parmi ce qu’elle nous offre, c’est l’olivier, l’olivier en tant que porteur
non seulement d’une symbolique naturelle mais d’une symbolique sacrée et je
renvoie-là à tous les textes fondateurs des religions monothéistes au moins.
Notre texte fondateur consacre une place, une médaille d’or parmi tous ces
arbres.
Quand nous le fêtons par «Kaadit Ezzitouna»(قعدت
الزيتونة),
nous fêtons la symbolique, nous fêtons un rappel à ces valeurs qui des fois
peuvent disparaître ou peuvent devenir désuéesdans le vécu quotidien; c’est pour ça que l’olivier avec sa
générosité, avec ce que nous partageons par sa présence et par ce qu’il nous
donne, fait qu’il porte bien le don, la générosité et le partage et d’autres
symboles.
La manifestation de «Kaadit
Ezzitouna» qui dure quatre heures de temps tous les deux ans dans un
espace économique qui accueille les faiseurs d’opinions : intellectuels,
journalistes, hommes de médias, artistes, politiciens, ambassadeurs et
diplomates, est censée rappeler à ces gens là qu’ils doivent rappeler aux
autres que notre humanité a besoin de valeurs qui la soutiennent, de
rappeler ces valeurs et de dire aux autres de devenir ambassadeurs de ce
discours. Il faut sans cesse rappeler l’importance des valeurs pour la vie
des être humains.
Je crois qu’en apprenant
à respecter l’olivier on apprend à respecter la nature entière et l’humanité
entière.
Nous sommes 10 millions
d’habitants en Tunisie mais 60 millions d’oliviers ; nous arrivons, nous
naissons et on le trouve cet olivier et nous partons et on le laisse. Nous
sommes les invités de l’olivier, nous vivons dans le berceau des valeurs que
nous renvoie l’olivier. Je voudrais dire que l’olivier c’est notre
civilisation. Pourquoi ? Parce que l’existence de l’olivier a fait que le
Tunisien dans le temps, qui était le Carthaginois ou le punique ou le
Berbère, a pu inventer, et quand je dis inventer c’est dans le vrai sens du
mot, c’était ingénieux de voir le pressoir romain et le meule romain, les
séparateurs par décantation et les bassins de décantation… : chose que nous
pouvons affirmer, c’était nos racines dans la technologie.
Qu’est-ce qui a permis
ça ? C’est l’olivier. L’olivier c’est notre civilisation parce que du fait
qu’on a développé cette technologie d’extraction du jus du fruit de
l’olivier, on a inventé. Ensuite, la nécessité a fait qu’on développe
l’emballage, visitez les musées de la Tunisie et vous allez voir les jarres
qui servaient à exporter, à transporter, à conserver ce produit là. Tout
cela a permis de faire déplacer le produit c’est-à-dire de l’exporter ou de
le vendre et de là toute une vie commerciale a débuté avec l’olivier.
Pour transporter l’huile
d’olive, on a du développer nos compagnies de transport maritime. C’est
toute la construction des navires de l’époque punique et romaine qui était
destinée à faire que ce produit aille à Rome, en Grèce ou en Moyen-Orient
donc quand je décris ces choses là et nos musées en témoignent, je décris
nos racines économiques, les racines del’homoeconomicus.
Quand Rome s’est trouvé
en conflit avec Carthage, qu’est-ce qu’elle a fait ? Elle a arraché
l’olivier, elle a interdit à Carthage d’exporter de l’huile d’olive, elle a
brûlé les champs et les forêts, elle a puni les Carthaginois par un embargo
sur l’huile d’olive : ce n’est pas une leçon que l’olivier nous a servie
mais qu’on n’a pas su l’utiliser ?
Aujourd’hui l’olivier
c’est notre pétrole à nous en Tunisie ; malheureusement le pétrole des
autres les a menés à se trouver dans la même situation que Carthage,
vis-à-vis d’une hégémonieéconomique et politique.
Ce que «Ka3dit Ezzitouna»
est appelé à faire, c’est-à-dire «faites attention, vos valeurs vont passer
tous les jours devant, votre richesse est là, vous avez un patrimoine vivant
que vous devez sauvegarder et offrir aux autres et demander à ce qu’on le
protège».
Par ailleurs, ceux qui
ont planté l’olivier en Tunisie, des milliers d’années plus tard, ils ont
fait que notre pays est jusqu’aujourd’hui protégé contre la désertification,
c’était la première leçon de lutte contre la désertification.
Est-ce que nous allons
être capables d’apprendre de ça et de continuer l’œuvre économiquement
parlant ?
Cette leçon là est une
leçon biologique. Alors que dans le monde on parle du bio nous avons l’arbre
qui est biologique par excellence, et à nous de le protéger de la fièvre de
la mondialisation qui peut le rendre un arbre banal donnant un produit banal
comme n’importe quel autre produit.
Je voudrais revenir ici
sur un point extrêmement important, non seulement ce qu’il produit c’est une
merveille nutritionnelle mais c’est une merveille de point de vue santé.
Aujourd’hui les autres nous disent qu’il est contre tel ou tel ou a tel
effet néfaste pour la santé. Est-ce que nous sommes à la hauteur de ces
avantages ? Est-ce que nous voulons le valoriser et lui donner la dimension
économique qu’il doit avoir ou est-ce qu’on doit continuer à le vendre en
vrac dans des citernes qui ne ressemblent qu’aux citernes de «fuel», dans
des bateaux transporteurs qui ne ressemblent qu’à des bateaux qui
déplaceraient les déchets de tout ordre ?!
Je crois que cet appel là
est un appel à tous les investisseurs, à tous les penseurs, à tous les
intellectuels et à tous les chercheurs, de se mettre au travail et de ne pas
laisser passer les occasions qui nous permettent de se placer dans la
catégorie des produits de haute gamme sur les étagères du monde. «3iz
naffsik tssib’ha»(عز
نفسك تصيبها),
c’est la règle pour tout investisseur, pour toute institution économique.
Je crois que l’olivier
nous rappelle tous les jours que non seulement autrui, c’est celui qui
reçoit les produits de l’olivier mais c’est celui qui est à côté de nous et
qui peut être amoindri et qui restera toujours l’être humain ayant ses
droits sur nous, et nous rappelons que nous sommes des humains à toute
seconde. Je voudrais dire par-là s’il joue ce rôle là de nous humaniser,
nous entre nous, alors on peut le porter pour humaniser les autres et pour
leur faire un petit rappel que nous sommes aussi valeureux qu’eux.
Une femme m’a dit un jour : «l’olivier m’a appris ce que
c’est la liberté, parce que dans mon village les femmes n’avaient pas droit
à la rue, mais quand la campagne arrive, tout le monde était sous l’olivier
et là j’ai appris ce que c’était la liberté, c’est l’olivier qui me l’a
offerte».
Un autre m’a dit : «Si
j’ai pu faire mes études supérieures dans les meilleures universités du
monde, c’est parce que mes parents ont accepté la douleur de se priver, de
vendre l’olivier pour me payer mes études, ce qui était un dilemme parce
qu’ils vendaient une partie d’eux même», ce sacrifice-là, n’est-ce pas ce
que nous devons laisser à nos enfants, et qui d’autre que l’olivier peut
nous le dire ?
J’aimerais qu’on laisse à nos enfants plus que l’olivier,
ce sont ses valeurs. J’aimerais que lorsque nos enfants accueillent un petit
enfant comme eux mais amoindri, handicapé, dans leur classe, qu’ils le
regardent, qu’ils agissent avec lui voyant en lui qu’il est capable de faire
des choses peut-être qu’eux ne sont pas capables de faire.
L’exposition de peinture a consacré cette question là, que
l’expression artistique humaine transcende la condition physique, que même
s’il ne nous reste qu’un clin d’œil, nous sommes capables d’écrire des
livres par les clins d’œil. Je ne sais pas si vous connaissez l’expérience
de celui qui a dicté un livre par les clins d’œil parce qu’il ne lui restait
que ça, en morse, et le livre aujourd’hui existe.
C’est l’humain qui nous intéresse et si l’olivier est à
notre service, il faudrait le prendre au sérieux et ne jamais courir vers
l’olivier pour lui faire mal ou l’arracher parce que nous nous arrachons
nous-même et alors c’est fini.