L’économie sociale de marché a été développée par l’Allemagne de l’Ouest
après la Seconde Guerre mondiale comme modèle politico-économique. Il repose
sur l’idée de l’harmonisation entre la liberté économique et la justice
sociale. Trois facteurs ont contribué à la conscience sociale de l’économie
sociale de marché.
Premièrement, il fallait venir à bout de la misère qui accablait les
Allemands sur le terrain. Deuxièmement, il a été nécessaire d’établir la
confiance en le nouveau système politique et économique. Troisièmement,
cette nouvelle approche reflétait les changements qui avaient commencé avec
la grande dépression lorsque les économistes ont prôné l’idée d’un Etat plus
fort et mis en question les bienfaits universels du marché. L’économie
sociale de marché allemande est souvent décrite comme une troisième voie
entre le capitalisme et le socialisme. Mais étant donné qu’il définit un
ordre économique et social, ce concept est bien plus complexe qu’un cadre de
politique macroéconomique. L’engagement vers un ordre normatif social et
économique n’a pas seulement aidé l’Allemagne à réaliser son miracle
économique après la Seconde Guerre mondiale, il constitue également une
option pour le monde arabe. Pourquoi ?
Le monde arabe souffre de trois problèmes que l’Allemagne a su éviter grâce
à l’économie sociale de marché : manque de concurrence dans le secteur
privé, orientation vers l’intérieur et inégalité des chances. En Allemagne,
la concurrence a fait augmenter les revenus, élargi la base fiscale et
contribué à la modernisation économique. L’orientation vers l’extérieur a en
outre conduit à de relations pacifiques avec ses voisins européens.
L’égalité des chances économiques et la redistribution des revenus ont par
ailleurs réduit les inégalités régionales en termes de revenus et encouragé
la mobilité verticale à l’intérieur de la société. L’esprit de l’économie
sociale de marché se fait également sentir au sein de l’Union européenne. Le
monde arabe, par contre, s’est engagé dans une stratégie à orientation
intérieure quelque peu socialiste qui a mené à une bureaucratisation de
l’activité économique, la fuite des capitaux, la disparition de la classe
moyenne dans le secteur privé, l’autoritarisme politique et le népotisme.
Certes, après la Seconde Guerre mondiale il a été très difficile de prendre
la bonne décision politique. A l’instar de l’Allemagne, le monde arabe a été
pris dans la bataille des idéologies. La combinaison entre un passé
coloniale, l’évolution de la guerre froide et le succès économique et
technologique que l’ancienne Union soviétique avait connu a ses débuts, ont
fait de l’orientation vers l’intérieur et du socialisme une alternative
sérieuse. Qui plus est, de nombreux pays en développement craignaient
l’ouverture de leurs économies à la concurrence mondiale car ils estimaient
que sans protection ils ne seront jamais capables de combler le retard face
au monde industrialisé. Il s’est avéré qu’ils avaient tort. Les pays en
développement qui ont le mieux réussi ont été ceux qui ont ouvert leurs
économies vers l’extérieur.
Malgré les excuses que l’on puisse trouver pour défendre les premiers
leaders arabes après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays arabes
ont aujourd’hui besoin d’un nouveau paradigme politico-économique. A cet
égard, l’économie sociale de marché peut constituer une alternative
intéressante, notamment par rapport à son principal concurrent le Consensus
de Washington.
La grande différence entre l’économie sociale de marché et le Consensus de
Washington se situe moins dans le choix de la politique et des instruments
de développement que dans l’évaluation de leur interaction avec les
objectifs du développement social. Les deux camps s’accordent sur la
concurrence, la propriété privée, la libéralisation des prix, le contrôle de
l’inflation et l’austérité fiscale comme étant les éléments majeurs pour
garantir le développement économique. Ils sont notamment d’accord sur le
fait que ces éléments permettent à la politique une allocation plus efficace
des ressources rares dont un pays dispose et une meilleure croissance
économique. Par contre, il existe un désaccord substantiel concernant la
question de savoir si ces bénéfices contribuent également à la promotion de
la stabilité et de la cohésion sociales. Les économistes partisans de
l’économie sociale de marché le contestent et demandent la prise en compte
de l’ordre social à l’intérieur duquel les réformes et les politiques
économiques se réalisent.
La compatibilité entre l’ordre social et les réformes économiques est
tellement importante pour l’économie sociale de marché qu’il existe un terme
spécifique en allemand, la «Ordnungspolitik» ou politique ordonnatrice.
L’objectif de cette politique ordonnatrice est de promouvoir à la fois la
concurrence sur les marchés et un développement social équilibré. L’Etat
n’intervient dans le processus économique par des actions correctives que
pour minimiser les distorsions du marché. Cela signifie p. ex. qu’au lieu
d’accorder des subventions à des secteurs industriels en déclin, l’Etat
soutiendra les ouvriers licenciés à développer de nouvelles compétences. En
outre, l’Etat n’intervient qu’en dernier lieu, il fait d’abord appel à la
responsabilité individuelle de chacun. Néanmoins, la politique ordonnatrice
réagit lorsqu’une économie tend vers la récession, il agit pour soutenir les
citoyens qui n’ont pas accès aux opportunités économiques. Il anticipe
également des défaillances du marché dans le domaine de l’éducation, de la
sécurité sociale, des infrastructures publiques et de l’environnement.
En fin de compte, c’est la conviction profonde qu’il existe une relation
entre l’ordre social et l’ordre économique qui distingue les partisans de
l’économie sociale de marché et leur fait adopter une position critique
vis-à-vis du Consensus de Washington. De leur point de vue, le Consensus de
Washington a imposé à certains pays des réformes économiques et politiques
rapides sous l’illusion que ces dernières amèneront également le
développement social. Or, les expériences acquises semblent montrer que les
mesures de stabilisation sociale auraient dû être mises en place
simultanément aux réformes économiques. Les réformes économiques et
politiques en Amérique latine et dans le monde arabe ont peut-être amélioré
l’efficacité des allocations, mais ils n’ont pas su abolir les inégalités
économiques existantes en termes de revenus et d’opportunités économiques.
Plus grave encore, dans l’ancienne Union soviétique les inégalités
relativement faibles ont été creusées pour atteindre le niveau de l’Amérique
latine et des pays arabes. Par conséquent, les couches les plus pauvres de
la société n’ont pas bénéficié des avantages des réformes économiques, ce
qui contribue considérablement aux instabilités politiques actuelles, au
retour d’un populisme de gauche en Amérique latine, à la montée de
l’intégrisme islamique dans le monde arabe et du nationalisme en Russie.
Nous ne disposons que d’un seul exemple qui montre la transformation d’une
société dans l’esprit de l’économie sociale de marché : la réunification
allemande. L’Allemagne a été souvent critiquée pour la gestion de cette
réunification, notamment par les partisans du Consensus de Washington. Cette
critique s’est généralement concentrée sur le fait que les transferts de
l’Allemagne de l’Ouest vers l’Est ont été trop généreux et l’exposition de
l’Allemagne de l’Est à la concurrence trop faible. S’il est vrai que
l’Allemagne a payé au prix fort la réunification et que certains aspects de
cette réunification auraient pu être gérés différemment, l’Allemagne n’a
jamais sombré dans le chaos social. Les Allemands d’aujourd’hui ont fait des
sacrifices pour donner à tous les Allemands les mêmes chances économiques,
des sacrifices dont les fruits seront récoltés par les générations futures.
Le Consensus de Washington, par contre, a vécu dans l’illusion qu’en
ajustant les prix on ajustera également les sociétés. Non, il faut également
investir dans l’ordre social. L’expérience faite par l’Allemagne et l’Europe
peut, de ce fait, constituer une alternative sérieuse pour le monde arabe.
* Marcus
Marktanner est professeur assistant au département des sciences
économiques de la American University of Beirut (AUB). Il a obtenu un
doctorat à l’Ecole polytechnique d’Ilmenau, Allemagne. Dans sa thèse de
doctorat, il a examiné l’économie politique du processus de transformation
et d’intégration des anciens Etats socialistes. Avant sa nomination à l’AUB,
il a enseigné et fait des travaux de recherches en Allemagne et aux
Etats-Unis. Ces thèmes de recherches comprennent l’économie politique,
l’analyse des politiques publiques, les économies en transition et en
développement. Il est régulièrement consulté pour des questions de
politiques publiques.
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A propos de la Konrad-Adenauer-Stiftung
La Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), une des plus éminentes fondations
politiques en Allemagne est l’héritière fidèle du premier chancelier
allemand Konrad Adenauer (1876-1967) qui a introduit l’économie sociale de
marché dans l’économie allemande d’après-guerre en étroite collaboration
avec son ministre de l’économie Ludwig Erhard et en s’inspirant de l’Ecole
de Fribourg.
Animée par le désir de promouvoir et de soutenir la démocratie, la
liberté et la justice, la Konrad-Adenauer-Stiftung déploie, depuis plus de
25 ans, ses activités dans la région du Proche et Moyen Orient et la
Méditerranée. Dans le cadre de ses activités qui visent à développer un
ordre économique adéquat, la KAS se base essentiellement sur l’économie
sociale de marché, un concept qui a fait ses preuves en Allemagne et a été
adopté par de nombreux Etats européens. La KAS voudrait partager
l’expérience allemande et contribuer à une connaissance plus approfondie de
l’économie sociale de marché parmi ses partenaires et amis dans la Région
Proche Orient / Méditerranée. La Konrad-Adenauer-Stiftung reste convaincue
que les principes de l’économie sociale de marché offrent des solutions tout
à fait adaptées aux défis à relever, aujourd’hui, par les économies arabes.
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A propos de Konrad Adenauer
Le chancelier allemand Konrad Adenauer (1876-1967) qui a introduit
l’économie sociale de marché dans l’économie allemande d’après-guerre en
étroite collaboration avec son ministre de l’Economie Ludwig Erhard et en
s’inspirant de l’Ecole de Fribourg.
Animée par le désir de promouvoir et de soutenir la démocratie, la liberté
et la justice, la Konrad-Adenauer-Stiftung déploie, depuis plus de 25 ans,
ses activités dans la région du Proche et Moyen Orient et la Méditerranée.
Dans le cadre de ses activités qui visent à développer un ordre économique
adéquat, la KAS se base essentiellement sur l’économie sociale de marché, un
concept qui a fait ses preuves en Allemagne et a été adopté par de nombreux
Etats européens. La KAS voudrait partager l’expérience allemande et
contribuer à une connaissance plus approfondie de l’économie sociale de
marché parmi ses partenaires et amis dans la Région Proche Orient /
Méditerranée. La Konrad-Adenauer-Stiftung reste convaincue que les principes
de l’économie sociale de marché offrent des solutions tout à fait adaptées
aux défis à relever, aujourd’hui, par les économies arabes.
Contact :
(Programme Régional Proche Orient / Méditerranée
3, Rue Mahmoud El Ghaznaoui – 1082 El Menzah IV Tunis / TUNISIE
Tel +216 – 71 751 420 / 71 237 525 – Fax +216 – 71 750 090
Site web: www.kas.de – e-mail:
info@kas.com.tn)
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