Les travailleurs pauvres, rouage de la prospérité japonaise

 
 
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Des vendeurs d’oeufs sur un marché près du quartier d’affaires de Pékin, le 24 janvier 2008 (Photo : Teh Eeng Koon)

[13/02/2008 10:44:32] TOKYO (AFP) Alternant les petits boulots, logés dans des dortoirs et appelés pour n’importe quelle tâche au pied levé, les travailleurs pauvres du Japon sont des victimes de la précarité qui alimentent, de plus en plus, la prospérité économique du pays.

Le taux de chômage au Japon a baissé en 2007 à son plus bas niveau depuis dix ans, 3,9%. Une moyenne à faire pâlir d’envie les pays européens à chômage élevé (Allemagne, France), mais plus basse, également, que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.

Depuis son “miracle économique” des années 60 et 70 qui lui a permis de devenir la deuxième économie mondiale, le Japon a toujours connu un très faible taux de chômage. Mais le ralentissement de la croissance des années 90 s’est accompagnée d’une augmentation de la précarité de l’emploi.

La proportion de salariés à temps plein et à contrat stable, sur lesquels la société japonaise a longtemps érigé son modèle, a ainsi chuté de 83,6% de la population active en 1985 à 67% en 2006. Dans le même temps, les employés à temps partiel sont passés de 12,5% à 22% et les travailleurs temporaires de 3,9% à 8,1%.

Conséquence, les agences de placement de cette main d’oeuvre précaire ont pullulé, surfant sur la déréglementation du marché du travail et la politique de réduction des coûts des grandes entreprises.

“On m’a demandé de grimper sur une montagne de déchets industriels, pleine de mauvaises odeurs et de poussière, et de les trier à la main”, raconte Shuichiro Sekine, un syndicaliste qui a mené l’enquête sur ces nouvelles agences de placement en s’engageant comme journalier.

Il explique n’avoir reçu “aucune instruction sur les mesures de sécurité”, ses employeurs lui affirmant qu’il était de sa “propre responsabilité de (se) protéger”.

L’entreprise en question, M.crew, a transformé des immeubles de bureaux en dortoirs, où elle héberge ses travailleurs pauvres dans l’attente d’un petit boulot. Avant d’être appelés à tout moment pour un emploi d’une journée, souvent dans la construction, les “locataires” de ces dortoirs attendent sur place, allongés sur des couchettes de fortune.

Le président de M.crew, Osamu Maebashi, un ancien sans abri, a longtemps été présenté comme un entrepreneur d’un nouveau genre, aidant chômeurs et SDF.

Mais sa société, qui a décliné toute demande d’interview, est aujourd’hui devenue un symbole de ces entreprises qui, en exploitant des salariés précaires ont peu à peu favorisé l’apparition des travailleurs pauvres – appelés “working poors” au Japon.

D’après le gouvernement, 18,9% des Japonais vivaient avec moins de 2 millions de yens par an en 2006, presque trois fois moins que le revenu individuel moyen (5,64 millions yens). Les statistiques internationales fixent le seuil de pauvreté à la moitié du revenu moyen.

Parmi ces pauvres, deux millions de “freeters”, une catégorie regroupant des jeunes de 15 à 34 ans, qui passent de jobs en jobs: caissiers de supérettes ou de cafés internet ouverts toute la nuit, livreurs de journaux ou de meubles. Mal payés, ils peinent à se loger, tout bail étant assorti de conditions de ressources draconiennes.

Masataka Togashi, 29 ans, a ainsi sombré dans la pauvreté après des années d’insécurité professionnelle. Un jour, une dame lui a proposé un emploi alléchant, qui s’est révélée une arnaque destinée à lui faire souscrire un prêt.

“Tout me dégoûtait dans la vie, je pensais n’avoir plus droit qu’à ce type de proposition, après être resté précaire si longtemps”, raconte-t-il.

Sans soutien familial, M. Togashi a quitté son île de Hokkaïdo (nord) et rejoint Tokyo, où il a atterri dans un foyer pour sans-abri. Il a depuis trouvé un emploi dans une organisation humanitaire d’aide aux “freeters”.

 13/02/2008 10:44:32 – © 2008 AFP