M. Serge Degallaix : ‘’En matière de concurrence et d’attractivité, la France et la Tunisie ont beaucoup à gagner à travailler ensemble’’ (I)


Propos recueillis par Hechmi AMMAR et Tallel BAHOURY


degallaix1.gifM.
Serge Degallaix, ambassadeur de France en Tunisie, nous a récemment reçus à
la chancellerie. Au cours de l’entretien, le représentant de la France en
Tunisie a évoqué plusieurs questions ayant trait aux relations bilatérales
entre la France et la Tunisie, les relations économiques, les relations avec
l’UE, et le projet de l’Union pour la Méditerranée.

 


Compte tenu de l’importance des réponses apportées par le diplomate
français, nous avons jugé nécessaire de publier cette interview en trois
parties : la première s’intitulera ‘’Tour d’horizon des relations
bilatérales’’, la seconde ‘’Gros plan sur les relations économiques’’ et la
troisième ‘’ Relations avec l’UE, Union pour la Méditerranée’’.

 

 


Première partie : Tour d’horizon des relations bilatérales

 

Webmanagercenter : Depuis votre arrivée en Tunisie, les relations entre
la France et la Tunisie ne cessent de s’améliorer sur pratiquement tous les
plans. A quoi est dû ce réchauffement ? Et quels sont, aujourd’hui, les axes
fondamentaux de la coopération entre Tunis et Paris ?

 

Serge Degallaix : Je vous remercie de cette appréciation positive de
ce que j’ai fait et peux faire en Tunisie. Mais ce qu’il faut voir, c’est
que je bénéficiais –et je bénéficie encore- de conjonctures favorables : je
suis arrivé en avril 2005, et nous avions eu la visite d’Etat du président
de la République française en décembre 2003, puis, en janvier 2005, celle du
Premier ministre français. Naturellement, ces visites officielles sont
l’occasion de donner un nouvel élan aux relations entre la France et la
Tunisie. Elles ont donné lieu à d’importantes décisions et je m’inscris dans
l’application de celles-ci.

 

En second lieu, nous avons eu l’année dernière, avec l’élection d’un nouveau
président de la République, un nouvel élan qui a été donné, notamment en ce
qui concerne l’Union de la Méditerranée. Donc, nous avons une relation qui
se développe.

 

En fait, ce qui m’a frappé en arrivant ici, c’est effectivement la qualité
de nos relations mais aussi le sentiment qu’il fallait que cette relation ne
paraisse pas aller de soi, ne se banalise pas en quelque sorte, parce qu’on
est dans un monde où il faut agir et réagir, et ne pas se contenter des
acquis. Donc, j’ai essayé de développer un certain nombre d’axes
fondamentaux – comme vous le dites – à partir des conclusions des visites
officielles.

 

Ainsi, un premier axe important, à mes yeux, c’est l’échange entre les
jeunes et tout ce qui a trait à l’éducation. C’est une tradition ici des
relations suivies avec les institutions universitaires françaises. Nous
avons en France, également, un très grand intérêt de la part des milieux
éducatifs et universitaires pour la Tunisie, c’est naturellement le résultat
de la politique d’éducation qui est menée en Tunisie depuis un demi siècle.
Ceci débouche sur des liens très forts.

 

Bien sûr, nous avons en France une communauté tunisienne qui est très
importante et compte plus d’un demi million de personnes. Ceci favorise les
échanges humains, notamment pour tout ce qui a trait à l’éducation, la
formation et la recherche. Donc, éducation, formation et recherche
constituent le premier axe.

 

Le deuxième axe concerne les pôles de compétitivité. Là aussi, il y a une
concordance des temps entre la Tunisie et la France. Comme vous le savez,
les pôles de compétitivité ont véritablement démarré en France en 2005
tandis qu’en Tunisie un effort important a été fait avec les technopoles
puis les pôles de compétitivité (leur nouvelle dénomination). Ces pôles de
compétitivité sont une manière moderne de répondre aux défis du monde parce
qu’on ne peut y faire face avec succès que par des alliances, à l’intérieur
des pays, entre entreprises, instituts de recherche, centres d’innovation,
universités, pouvoirs publics, etc. Mais aussi en s’alliant entre pays, car
on voit bien qu’en matière de concurrence et d’attractivité, la France et la
Tunisie ont beaucoup à gagner à travailler ensemble. Nous sommes plus forts
ensemble, plus “Horaces” que “Curiaces”. C’est dire qu’il s’agit d’un axe à
même de toucher de nombreux secteurs, que ce soit l’entreprise, la
recherche, les échanges d’expériences, la formation… C’est un axe de
cohérence et de dynamisme de nos actions dans de multiples secteurs.

 

Le troisième axe, qui commence à prendre des formes nouvelles, c’est
naturellement de faciliter la circulation des hommes et des compétences
entre la France et la Tunisie. Malheureusement, on n’a pas toujours dans la
presse une image exacte, réelle, de ce qui est fait en matière de
circulation des personnes. C’est pourquoi je rappelle toujours quelques
chiffres essentiels. En effet, nous avons environ 85.000 demandes de visas
chaque année et celles-ci sont satisfaites à plus de 90%, c’est-à-dire
autour de 75.000 demandes satisfaites. Et parmi ces demandes satisfaites, un
tiers environ concerne des visas dits de circulation, c’est à dire couvrant
un an ou plus. Certes, nous devons exercer un contrôle sur les demandes –
aucun pays au monde ne peut laisser ouvertes ses frontières à tous les vents
– mais cela montre que nous le faisons avec la volonté de répondre à ce
besoin de circulation des personnes. Nous traitons les demandes en temps
réel, en 48 heures. Donc, je pense que nous pratiquons une politique
favorable à cette circulation, même si on peut toujours améliorer les choses
et même si des anomalies peuvent se présenter.

 

J’ajoute à ces chiffres celui des visas d’étude délivrés aux étudiants pour
aller effectuer leurs études en France. Nous n’avons jamais délivré autant
de visas : 3000 visas d’études en 2007. Et la population d’étudiants
tunisiens en France est la quatrième parmi les étudiants étrangers en
France.

 

Il faut également savoir que l’ambassade de France en Tunisie a été l’une
des premières à délivrer les ‘’Cartes compétences et talents’’ et que nous
allons étoffer nos équipes travaillant dans cette voie…

 

Combien en avez-vous délivré jusqu’à présent ?

 

Pour le moment pas beaucoup – nous traitons les dossiers en fonction de la
demande – mais, comme vous savez, les textes ont été promulgués fin
décembre, il y a donc seulement deux mois. Aujourd’hui, nous sommes en train
de mettre en place un dispositif destiné à traiter les demandes en plus
grand nombre, à essayer de faire le lien entre la demande et l’offre
d’emploi en France. Bien entendu, nous avons à cœur que ces cartes ne
privent pas la Tunisie de compétences dont elle aurait besoin.

 

Donc, pour répondre à votre question, aujourd’hui nous sommes à une dizaine
de cartes compétences et talents délivrées par nos services, mais il y en
aura davantage et dans le cadre plus général de la circulation des
professionnels, de l’échange d’expériences et de la mobilisation des
compétences tunisiennes vivant en France pour le développement de la
Tunisie, ce qui contribuera par-là même au développement des relations entre
les deux pays.

 

C’est un sujet sur lequel je suis prêt à revenir très rapidement pour
fournir des informations pratiques à vos lecteurs.

 

Si vous le voulez bien, nous aimerions maintenant aborder la question de
la langue française en Tunisie. Depuis un certain temps, nous constatons une
‘’perte’’ ou plutôt le manque de maîtrise de la langue française en Tunisie.
Alors, comment faire pour rehausser ou redynamiser son niveau en Tunisie ?

 

Là s’imposent plusieurs observations. La première c’est que, avec la
scolarisation universelle en Tunisie dans le primaire, la montée vers le
secondaire et le supérieur, et le fait qu’on apprend le français dès l’âge
de 8 ans, on peut dire qu’il y a beaucoup de petits tunisiens qui apprennent
et parlent le français. Donc, je pense que le problème est plutôt celui de
la qualité et de la bonne maîtrise de la langue française.

 

Comme vous l’avez dit, les jeunes ne sont pas toujours conscients de la
qualité de la langue qu’ils parlent ; c’est du reste vrai du français mais
également, dit-on, de l’arabe. Pour eux l’important c’est de se faire
comprendre, et ils n’ont pas les mêmes exigences qu’on pouvait avoir dans un
système avec un effectif réduit. C’est un grand défi parce qu’on vit dans un
univers différent d’il y a 30-40 ans, un univers de l’audiovisuel avec
beaucoup de sollicitations, un monde où le goût de la lecture n’est plus le
même, avec un mode de vie qui n’est plus le même ; on sort plus facilement.
S’agissant de la télévision, les téléspectateurs ont le choix entre des
centaines de chaînes en arabe. Du coup, on n’est plus tributaire de la RAI
ou de la télévision française comme l’on pouvait l’être il y a quelques
années. Ce n’est pas être nostalgique ou regretter le temps des lectures à
la chandelle mais il faut en tenir compte dans notre démarche.

 

Naturellement, chacun est conscient qu’une bonne maîtrise de la langue n’est
pas seulement un atout culturel mais aussi économique parce que, avec la
France qui est le premier partenaire économique de la Tunisie, avec les pays
de la Francophonie (plus de 50 pays dont bon nombre d’États africains), la
maîtrise de la langue française est un avantage particulièrement précieux.

 

Nous avons établi des programmes spécifiques avec le ministère de
l’Education nationale et celui de l’Enseignement supérieur pour, d’abord,
élever le niveau du français des enseignants, ensuite, donner le goût de la
langue en mettant en place des activités récréatives (théâtre cinéma…), et
enfin montrer que la langue est quelque chose d’utile, c’est-à-dire que bien
parler une langue est quelque chose d’important dans la vie, pour
l’épanouissement personnel comme pour le succès professionnel. Mais je
précise que c’est un travail qui est mené prioritairement par les autorités
tunisiennes, dans le respect et la promotion de la langue arabe dont nous
encourageons nous-mêmes l’apprentissage dans nos établissements.

 

(A lire demain 11 mars la seconde partie :
‘’Gros plan sur les relations économiques’’)