M. Serge Degallaix : ‘’En matière de concurrence et d’attractivité, la France et la Tunisie ont beaucoup à gagner à travailler ensemble’’ (2ème partie)
M.
Serge Degallaix, ambassadeur de France en Tunisie, nous a récemment reçus à
la chancellerie. Au cours de l’entretien, le représentant de la France en
Tunisie a évoqué plusieurs questions ayant trait aux relations bilatérales
entre la France et la Tunisie, les relations économiques, les relations avec
l’UE, et le projet de l’Union pour la Méditerranée.
Compte tenu de l’importance des réponses apportées par le diplomate
français, nous avons jugé nécessaire de publier cette interview en trois
parties : la première s’intitulera ‘’Tour d’horizon des relations
bilatérales’’, la seconde ‘’Gros plan sur les relations économiques’’ et la
troisième ‘’ Relations avec l’UE, Union pour la Méditerranée’’.
Deuxième partie : Gros plan sur les relations économiques
Maintenant sur le plan économique, je voudrais revenir sur le phénomène
observé au cours des dernières années, à savoir la balance commerciale entre
les deux pays au profit de la Tunisie. Comment la France compte-t-elle
rééquilibrer ses échanges avec la Tunisie ?
Vous avez raison de le souligner, depuis 2005, nous avons des échanges qui
se traduisent par des importations en provenance de la Tunisie plus
importantes que nos exportations. En 2007, le chiffre est loin d’être
négligeable puisqu’il représente plus d’un milliard de dinars d’excédent
commercial tunisien. Ceci s’explique par différentes raisons. La première,
c’est le fait que la Tunisie a su diversifier ses produits d’exportation,
autrefois dominés par le textile et maintenant par la mécanique et
l’électrique. Cela correspond à des besoins de la France, je tiens à le
signaler.
Cela renvoie au fait que nous comptons plus de 1.200 entreprises françaises
en Tunisie, ce qui représente près de 40% des entreprises étrangères
installées en Tunisie. Cela fait qu’une bonne partie de la production est
fabriquée en Tunisie pour ensuite être acheminée vers la France en ayant
incorporé de la valeur ajoutée tunisienne. C’est un phénomène qui se
développe puisque, si nous regardons les statistiques de l’année 2007, ce
sont 170 entreprises françaises qui se sont créées ou qui ont étendu leurs
activités en Tunisie.
La deuxième raison, c’est la concurrence des autres partenaires de la
Tunisie, comme la Chine qui reste encore un partenaire quantitativement
mineur mais qui connaît une croissance assez régulière et forte.
Le troisième élément, c’est naturellement le poids des produits énergétiques
et des matières premières sur la balance extérieure de la Tunisie. La France
possède, certes, des industries pétrolières, mais nous ne sommes pas
fournisseurs de pétrole.
Mais ce que je voudrais dire, c’est que malgré cette évolution, nous
demeurons le premier partenaire de la Tunisie, que ce soit comme client ou
comme fournisseur, et qu’il faut situer les soldes des échanges entre la
France et la Tunisie dans un cadre mondial. Le fait que nous achetions plus
à la Tunisie veut dire que votre pays démontre sa compétitivité par rapport
à d’autres zones géographiques qui fournissent des produits à la France.
Vous savez, nos destins sont liés comme l’on dit, et cette vitalité de
l’économie tunisienne est un signal positif.
Est-ce que cet excédent va s’aggraver au cours des prochaines années ?
On ne peut pas prédire ce qui va advenir, mais on peut voir que cet excédent
tunisien fluctue d’une année sur l’autre : 165 millions d’euros en 2005, 85
millions d’euros en 2006, 594 millions d’euros en 2007.
Donc il n’y a pas de tendance…
Si, quand même, il y a une tendance. Notre solde reste négatif durant ces
trois dernières années, mais je pense que, compte tenu des dossiers en cours
avec la Tunisie, nous avons toujours la ‘’matière première’’ pour alimenter
le commerce à un niveau supérieur. Par ailleurs, il appartient à nos
entrepreneurs et à nos dispositifs administratifs et financiers d’apporter
le soutien adéquat pour répondre à une demande tunisienne qui évolue, avec
des activités économiques plus diversifiées et à plus haute valeur ajoutée.
Mais au regard des exportations françaises en provenance de la Tunisie,
est-ce que cette balance commerciale excédentaire au profit de la Tunisie ne
serait pas due aux entreprises françaises installées ici ?
C’est vrai en partie car nous achetons également à des entreprises
tunisiennes ou tierces installées en Tunisie. Mais avec le régime off shore,
nous venons nous implanter en Tunisie et nous rachetons des produits qui
incorporent la valeur ajoutée tunisienne. Si vous regardez les statistiques
pour les années antérieures à 2005-2006, vous constaterez que les produits
textiles, par exemple, c’est à la fois notre premier produit d’importation
et notre premier produit d’exportation avec la Tunisie. Je pense que c’était
bénéfique aux deux pays parce que nous sommes capables de vendre à la
Tunisie des produits qui nous reviennent avec la valeur ajoutée tunisienne
et qui nous permettent de rester compétitifs sur le marché mondial. Cela se
substitue à des produits finis en provenance d’autres zones qui n’ont pas
forcément de valeur ajoutée française et qui arrivent chez le consommateur
final, en France.
Plusieurs manifestations d’envergure sont prévues au cours cette année
2008 : notamment la visite du président Sarkozy, Med-Allia, le Forum Euromed
Capital… S’agit-il d’un regain d’intérêt de la France pour la Tunisie ?
(Rire). Je pense que l’intérêt de la France pour la Tunisie n’a pas faibli…
Alors c’est une nouvelle dynamique qui se met en place…
Oui, c’est la dynamique qui s’entretient. Mais là nous avons, pour la visite
du président de la République, un grand moment dans la relation entre nos
deux pays –je rappelais il y a quelques instants la venue du président
Chirac en décembre 2003, donc ça fait quelques petites années après…
Nous avons également le souci –et ça correspond au projet d’Union pour la
Méditerranée- de densifier les relations euroméditerranéennes, qu’elles
soient Nord-Sud ou Sud-Sud.
Vous avez signalé Med-Allia, les 31 mars, 1er et 2 avril 2008. Il s’agit
effectivement d’une manifestation qui va réunir des centaines de petites et
moyennes entreprises du Maghreb, d’Egypte et de Jordanie, et les PME
françaises –plus de 450 entreprises se sont déjà inscrites alors que nous
sommes à plus d’un mois de la date de la manifestation.
Avec le Forum Euromed Capital des 24 et 25 avril, nous attendons quelque 500
entreprises, cette fois-ci de l’ensemble des pays du Bassin méditerranéen,
du Golfe, ainsi que d’Europe du Nord. Vous savez qu’il y a d’importants
capitaux qui circulent dans le monde, et l’intérêt des détenteurs de ces
capitaux des pays du Sud méditerranéen comme des pays du Nord c’est de faire
que ces capitaux trouvent les emplois les plus productifs et les plus utiles
qui soient…
Donc, il y a cette conjonction, mais aussi cette dynamique qui est en train
de se recréer autour de la Méditerranée, après dix ans de Barcelone… C’est
dire que là on est reparti pour une nouvelle dynamique, un nouvel élan pour
la Méditerranée.
Le Canada et la Société tunisienne d’électricité et du gaz ont récemment
organisé un séminaire sur les compétences canadiennes en matière de
l’électronucléaire. Qu’en est-il de la coopération en matière de
technologies nucléaires entre la Tunisie et la France ?
Ce qu’il faut voir, c’est que nous avons des relations anciennes dans ce
domaine entre la France et la Tunisie. Nous avons un accord dans le domaine
de la recherche, de la formation et de l’usage civil du nucléaire comme dans
l’agriculture ou la santé. Cet accord a été renouvelé en décembre 2006 entre
le ministre de la Recherche de l’époque et notre Commissariat à l’énergie
atomique.
S’agissant de l’électronucléaire, c’est une nouvelle dimension quant aux
usages civils du nucléaire en Tunisie. Nous avons des contacts suivis sur ce
dossier. Il est tout à fait naturel que la Tunisie s’informe et regarde ce
qui se fait dans ce secteur auprès des pays qui en possèdent la technologie.
Les Canadiens ont une industrie et un savoir-faire dans ce domaine, comme
d’autres pays. Pour notre part, nous sommes prêts à accompagner la Tunisie
dans ce domaine. Mais il faut distinguer deux étapes : il y a l’étape
préparatoire –indispensable- où on met en place le cadre juridique,
législatif, réglementaire, des institutions et des équipes formées pour
assurer la bonne gestion de l’électronucléaire ; et puis il y a la partie
industrielle et commerciale qui vient par la suite, plus tard.
Est-ce qu’on s’attend à ce qu’il y ait la signature de contrats dans ce
sens là lors de la visite du président Sarkozy en Tunisie ?
Les contrats, ce serait un peu prématuré parce que le raccordement au réseau
d’une centrale électronucléaire est annoncé pour 2020. Nous avons 12 ans
devant nous, surtout qu’il y a tout l’aspect immatériel à mettre en place
auparavant ; donc c’est trop tôt pour qu’il y ait des contrats. Mais on a un
cadre de coopération qui est là, et on verra comment il va s’adapter à cette
nouvelle donne.
Alors dans quels domaines pourrait-il y avoir signature de contrat lors
de la visite du président Sarkozy, on parle notamment des transports, de
l’énergie… ?
Ce sont des affaires qui dépendent essentiellement des négociations entre
les entreprises. Vous savez que Alstom a remporté un appel d’offres dans le
transport ferroviaire. Il n’est pas non plus un secret que, en matière de
transport aérien, Tunisair est en négociation avec des fournisseurs
possibles. Il y a également la centrale électrique de Ghannouch… Il s’agit
donc d’affaires dont on peut penser que certaines déboucheront sur des
contrats d’ici l’arrivée du président de la République. Mais on est encore à
plusieurs semaines de cette visite et, comme je l’ai dit tout à l’heure,
cela relève des négociations commerciales entre client et fournisseur.
En revanche, il y a des choses qui relèvent des pouvoirs publics, notamment
en matière de formation professionnelle, d’éducation, d’échange
d’expériences professionnelles, de développement durable, et nous devrions
bénéficier d’un nouvel élan dans ce domaine à l’occasion de cette visite.
Revenons un peu sur les entreprises françaises installées en Tunisie.
Comment jugent-elles le climat des affaires en Tunisie ?
Je crois qu’il y a une présentation qui a été faite il n’y a pas si
longtemps par M. Fouad Lakhoua, président de la Chambre tuniso-française de
commerce et d’industrie, sur le sentiment des entreprises françaises ou
tuniso-françaises en Tunisie ; d’autres rapports dont celui de la Coface, du
CIAN ont également été publiés. Le sentiment général est très favorable.
D’ailleurs, l’année dernière nous avons eu 171 nouvelles implantations ou
extensions d’entreprises françaises en Tunisie, c’est pratiquement une
entreprise tous les deux jours qui naît ou qui grandit. Bien sûr, ici comme
ailleurs, il y a des secteurs où il faut progresser pour renforcer
l’attractivité du site, notamment tout ce qui a trait à la logistique
–logistique matérielle et administrative cela s’entend. Comme vous le savez,
il y a eu dernièrement une encontre entre le CJD et la douane ; la
compétition internationale fait qu’une marchandise bloquée dans le port
pendant des jours coûte de l’argent ; on pratique aujourd’hui les flux
tendus ; avoir une administration qui permet d’accélérer au lieu de freiner
c’est quelque chose d’important… Ce sont des points à améliorer, mais le
jugement général des entreprises françaises en Tunisie est favorable. La
Tunisie est bien placée au plan international mais elle vise à l’excellence
et il nous faut la soutenir.
On assiste à un renforcement de la présence des banques françaises en
Tunisie, Paribas, Société Générale, Caisse d’Epargne… Quel rôle
peuvent-elles jouer dans le renforcement et le développement des échanges
entre la Tunisie et la France ?
Je pense qu’elles peuvent jouer un grand rôle, parce que les banques c’est à
la fois des financements mais aussi des réseaux d’entreprises. Quand vous
avez une grande banque française, ou autre d’ailleurs, qui est installée en
France et en Tunisie et dans d’autres pays, sa tâche c’est naturellement de
chercher de l’information susceptible d’intéresser ses clients et de
mobiliser les entreprises autour de projets à financer. Finalement, la
banque contribue au renforcement de ce réseau. Donc, on voit bien qu’elles
sont une des clés du succès des affaires.
Un autre point, c’est le financement. On voit par exemple avec l’arrivée, la
dernière en date, du Groupe de la Caisse d’Epargne, que s’exprime une
volonté de financer et d’innover. Ces banques apportent avec elles une
expérience, un savoir-faire financier intéressant.
(A lire demain 12 mars la troisième partie :
‘’Relations avec l’UE, Union pour la Méditerranée’’)