Etude du secteur agricole en Tunisie

Par : Autres
Etude du secteur agricole en Tunisie

Par

Alexander Kremer*

L’agriculture apporte-t-elle tout le potentiel de sa contribution à la
nation ? C’est la question que se pose le gouvernement tunisien alors qu’il
se prépare pour les périodes des 11ème et 12ème Plans (2007-16). Le secteur
agricole en Tunisie pénètre dans de nouveaux territoires, avec des revenus
plus élevés, des taux de pauvreté plus faibles et des nouveautés dans les
goûts des consommateurs, des structures du marché et des accords
commerciaux.

 

Les
décideurs se heurtent à des défis qui n’existaient pas tout simplement il y
a dix ans et se demandent si les solutions du passé sont encore d’actualité.
Par conséquent, en 2004, le Gouvernement a demandé à la Banque mondiale et à
l’Agence Française de Développement d’examiner l’intégralité du secteur
agricole et ceci pour la première fois depuis plus de 20 ans.

 

Au
premier abord, la performance historique du secteur semble forte. Compte
tenu des effets de sécheresse transitoires, il a progressé au même rythme
que la croissance économique dans son ensemble. Les rendements par hectare
sont accrus à 2,8% par an entre 1989 et 2003, grâce à un plus grand usage
des engrais chimiques, de la mécanisation et de semences améliorées, grâce
aussi à des agriculteurs compétents et l’expansion des cultures irriguées.
L’agriculture a fourni un quart des nouveaux emplois en Tunisie dans les
années 90, créant deux fois plus d’emplois par unité de PIB que l’économie
dans son ensemble.

 

Toutefois, si l’on gratte la surface, il existe de multiples exemples du
fait que l’agriculture n’apporte pas pleinement sa contribution potentielle
à l’économie.

Une
offre de main-d’œuvre croissante cache la stagnation de son efficacité : la
main-d’œuvre agricole a augmenté de 20 % entre 1993 et 2002, mais il n’y a
pas de hausse tendancielle de sa productivité.

La réussite de
l’agriculture est obtenue moyennant des coûts pour le reste de la
société : des subventions, des prix de nourriture élevés et un taux de
croissance réduit.

Deux cinquièmes de
la croissance de l’agriculture représentent une perte pour l’économie
parce qu’elle provient de produits qui coûteraient moins à importer – les
bovins et le lait.

Là où la Tunisie a
le potentiel d’être compétitive, dans les fruits et les légumes, ses
résultats sont insuffisants. Entre 1980 et 2000 la valeur des exportations
a chuté de 0,3 % par an. Les quotas d’importation de l’UE sont
sous-utilisés.

 

Ces
constats nous obligent à poser la question :
comment réaliser tout le potentiel de ce
secteur clé ?
D’abord, la protection douanière élevée a
comme effet d’inciter l’agriculteur tunisien à se concentrer sur les
produits, comme le blé tendre, le lait, le pomme de terre et la viande
bovine, où les coûts de production sont supérieurs au prix d’importation, ce
qui implique une perte économique pour la nation.

 

Des
experts tunisiens ont estimé que ces coûts valent une augmentation de 4% du
coût de la vie pour le consommateur et le contribuable moyen. Et ils sont
également importants pour l’économie dans son ensemble, qui perd ainsi 0,8 %
du PIB.

 

En fait,
utiliser la protection commerciale pour maintenir une personne employée dans
le secteur céréalier coûte à la nation plus de quatre fois le revenu
national par habitant en termes de production perdue.

Selon le
rapport, la libéralisation immédiate – mais progressive – des importations
céréalières serait donc une façon d’augmenter la contribution nette de
l’agriculture à la nation. La bonne gestion de
l’impact social
des
telles réformes est bien sûr primordiale. Des pays comme la Turquie et la
Mexique ont démontré l’efficacité et social et financier d’un programme de
transferts monétaires bien ciblés sur les ménages vulnérables.

 

Si on
regarde les politiques internes,
on voit d’autres exemples de interventions étatiques bien-intentionnées dont
l’effet secondaire est d’affaiblir la compétitivité du secteur. La
centralisation administrative de la filière blé, pour un coût au
contribuable de 145 millions de dollars EU par an, décourage le secteur
privé de se restructurer et empêche le développement des marchés ; et cela
sans focaliser ses ressources sur les pauvres qui en ont besoin.

 

En
outre, mettre fin au contrôle de
fait des prix
pour les produits agricoles, aux importations
gouvernementales ad hoc, et à la régulation des marges de détail, ce serait
un moyen d’encourager les produits de qualité et des circuits de
commercialisation modernes. Par exemple, le secteur de l’huile d’olive est
la preuve que l’agriculture tunisienne peut répondre à la libéralisation. Il
en va de même pour les organismes
professionnels et les services d’appui à l’agriculture
.
L’étude a constaté qu’ils pourraient être les moteurs d’une compétitivité
sectorielle accrue si les priorités du producteur dirigeaient leurs
activités.

 

L’étude
a conclu que le gouvernement pourrait ainsi redynamiser les filières
agricoles par une réforme de la gestion de la recherche et de la
vulgarisation, par l’institutionnalisation des consultations d’exploitants
agricoles, et par la redéfinition des modalités de gouvernance des
groupements professionnels de sorte que les exploitants agricoles en soient
véritablement responsables. Le

projet
 pilote
d’identification des actions de recherche par les Groupements
Interprofessionnels, financé par la Banque mondiale dans le cadre du Projet
d’Appui aux Services Agricoles, est un pas dans ce sens.

 

Conclusion

 

Si le
climat, la géographie et l’esprit d’entreprise tunisiens ont doté le secteur
agricole d’un fort potentiel de compétitivité et de croissance, cette
capacité reste en grande mesure à réaliser. Dans une période où toute
occasion de promouvoir l’emploi privé est à saisir, il est le bon moment de
réfléchir sur les réformes susceptibles de libérer la force de la
croissance.

 

* Economiste principal du secteur de
l’agriculture et du développement rural

(Source : Banque Mondiale)