Exporter de la musique, c’est possible : Riadh Fehri et le FAMEX l’ont fait


Par Mohamed BOUAMOUD

riadh-fehri1.gifC’est
une prise de conscience salutaire à plus d’un titre : l’économique au
service du culturel. En fait, il y a eu par le passé un précédent : BATAM
avait, il y a une petite quinzaine d’années de là, parrainé une vedette
tunisienne, Saber Rebaï. L’idée était de faire en sorte que l’artiste n’ait
pas à se préoccuper de son quotidien au point de sacrifier son temps et son
art, donc de le soutenir financièrement pour l’amener à se consacrer
entièrement à son activité principale. Le mérite d’une telle entreprise
réside en ceci que la culture n’est plus perçue comme une simple sérénade,
mais aussi un produit également économique et pouvant générer des rentrées
en devises, sans perdre de vue que c’est l’image du pays qu’il fait miroiter
à l’étranger.

 

Pour des raisons que tout le monde sait, BATAM a retiré son épingle du jeu,
sans que, pour autant, Saber n’ait eu à en pâtir puisqu’il est devenu la
grande coqueluche du monde arabe. Mais avec l’expérience BATAM, un grand
espoir était né, celui de voir les entreprises économiques privées
s’intéresser davantage à la culture du pays, sinon pour sa rentabilité, du
moins pour cette image qui, à l’étranger, colporte en son sein l’histoire,
la civilisation et toute une culture d’un pays résolument tourné vers la
paix, l’ouverture et la tolérance. Hélas !, BATAM n’a pas fait des émules,
l’entreprise privée étant restée toujours sceptique et carrément
indifférente.

 

La consolation est arrivée avec le FAMEX (Fonds d’accès aux marchés
d’exportation) qui a déjà soutenu deux ou trois cinéastes tunisiens. En
2006, il a jeté son dévolu sur un jeune artiste musicien, le très talentueux
Riadh Fehri, pour lequel il intervient dans le financement de toute sa
logistique (CD, DVD, sites Web, brochures, voyages, etc.). C’est un
investissement qui peut sembler à fonds perdus, mais dont, au fond, les
retombées profiteront à la culture du pays.

 

Pourquoi Riadh Fehri ?

 

Le choix de Riadh Fehri, parmi des centaines de musiciens tunisiens, n’est
pas fortuit. C’est même un cas visiblement bien étudié dans toutes ses
coutures. L’homme, environ une quarantaine d’années, s’est fait fort, muni
de son luth, de sillonner le monde et de se produire sur les scènes les plus
prestigieuses du monde (Paris, Rome, Madrid, New York, Washington,
Carthage…). Il doit tout ce prestige, non pas à son jeu de luthiste doué et
professionnel, mais surtout à ses compositions. Ce que l’on peut remarquer
dans sa musique, succulente au demeurant, c’est qu’elle est un brassage
harmonieux et mélodieux de diverses cultures (africaine, tunisienne,
andalouse, arabe, occidentale…).

 

Au fait, il y a toujours eu en Tunisie un débat régulièrement objet à
discussions parfois houleuses : faut-il que la musique tunisienne soit
jalousement développée et respectée au nom de l’exception culturelle, ou
bien doit-elle s’ouvrir sur l’Autre au risque de s’y fondre et se confondre
?… Une telle vision des choses, comme l’a exprimé à juste titre le Chef de
l’Etat dans l’un de ses discours, menace la culture tunisienne d’être
renfermée sur elle-même, et donc, au bout du compte, d’être fatalement
exclue par l’Autre. Le point fort chez Riadh Fehri est d’avoir fait en sorte
que sa musique ne soit ni bâtarde ni une négation de soi, mais une présence
tunisienne fortement marquée par les modes et les intonations, tout en étant
en symbiose parfaite avec les autres genres, si occidentaux soient-ils.
Riadh n’a pas peur de la mondialisation, car il a su lui ôter sa propension
à l’uniformisation culturelle. Mieux : dans son orchestre cosmopolite, il
donne à chaque musicien cette latitude de pouvoir jouer selon sa propre
inspiration, sa propre tendance, sa propre identité pour tout dire. Le
résultat est un mariage culturel où se trouvent réunis les sucs des musiques
classique, orientale, tunisienne, flamenco, cubaine, jazz, etc.

 

De père tunisien et de mère grecque, Riadh s’est retrouvé très jeune en
Italie où il a obtenu son premier diplôme de musique occidentale. Il revient
au bout de quelques années à Tunis pour emporter haut la main (les doigts,
surtout) un diplôme de musique arabe sous la baguette des professeurs Salah
Mehdi, Rachid Sellami, Zouhair Belhani et d’autres encore. Auparavant, à
l’âge de 16 ans en cette année 1981, il s’était déjà fait remarquer par sa
première apparition en public sur la scène du Théâtre municipal. Une
deuxième apparition, en 1994, le confirmera auprès du public lors d’un
concert avec l’orchestre symphonique de l’Opéra de Rome et en substance
duquel il a composé un chant dans le même ordre interprété par Lotfi
Bouchneq.

 

Il faut dire que c’est son séjour prolongé en Italie qui lui a donné, encore
jeune, cette chance de côtoyer les grands orchestres de ce pays qui, à son
tour (l’Italie), l’a adopté lui et son luth. Depuis, sa réputation à
l’étranger n’était plus à démontrer. En 2006, il s’était produit en
compagnie de l’orchestre de l’Opéra de Vienne au Festival de Carthage sur un
concert entièrement composé par ses soins. Il reviendra en 2007 avec
l’orchestre symphonique sicilien avec une nouvelle production personnelle.
Et le 6 septembre prochain, il se produira encore à Carthage, mais en dehors
du Festival.

 

A son actif, deux CD : «Le minaret et la tour» sous la direction artistique
du New Yorkais Thomas Rosenkranz, et «Kantara», une musique arabe teintée de
musique américaine qui s’est voulue un hymne pour la paix monde arabe/monde
américain, et qui a fait plusieurs fois le tour de Londres et des
Etats-Unis. Depuis l’âge de 16 ans jusqu’à aujourd’hui, Riadh Fehri s’est
carré une bonne centaine de fois sur les plus grandes scènes mondiales.

 

Mais Riadh est aussi un humaniste. Il y a quelques années de là, il a monté
un projet unique dans son genre et dans le monde : dispenser au sein des
établissements de rééducation des mineurs un enseignement musical à
l’intention de ces tout jeunes tombés un jour dans la délinquance. Avec
l’encouragement des autorités compétentes, Riadh et des collègues à lui vont
travailler tant et si fort (initiation au solfège et aux instruments) que
beaucoup ont fait éclater leurs dons au grand jour. Mieux : cette démarche a
fait en sorte que la moyenne des récidivistes tombe à…3%. Qui doutera encore
du fait que la musique ennoblit et adoucit les mœurs ?

 

Surtout, qui se demandera maintenant pourquoi le FAMEX a choisi Riadh Fehri
?