Nigeria : la valse des milliards de “dollars électriques”
L’ex-président Olusegun Obasanjo (D) et son successeur Umaru Yar’Adua à Abuja le 29 mai 2007 (Photo : Wole Emmanuel)
[23/03/2008 10:27:03] LAGOS (AFP)
Dix, douze,
voire seize milliards de dollars ? Une commission
d’enquête parlementaire nigériane passe au crible
la politique énergétique de l’administration
précédente d’Olusegun Obasanjo qui, malgré
ces sommes astronomiques, n’a pratiquement pas fourni un
kilowatt de plus au pays.
“Tout ceci ne sent pas très bon”, confie à
l’AFP un parlementaire proche du dossier. Car, au fur et
à mesure que progresse la commission présidée
par Ndudi Elumelu, le public découvre un nombre
incroyable de dysfonctionnements au mieux,
d’irrégularités au pire entre 1999 et 2007.
Pêle-mêle, la commission a découvert qu’un
contrat avait été attribué à une
compagnie allemande figurant sur une liste noire de la
Banque mondiale pour des pratiques douteuses dans d’autres
pays africains, que 34 autres avaient été
accordés à des sociétés non dûment
enregistrées au Nigeria, que plusieurs milliards de
dollars avaient été retirés d’un compte
séquestre abondé par les revenus du pétrole, etc…
Mieux encore: jeudi, lors d’une déposition devant la
commission d’enquête, deux hauts responsables des
finances publiques fédérales, Hamman Tukur et
Kabir Rabiu ont raconté sous serment comme
l’ex-président Obasanjo avait inauguré un projet
de centrale électrique à Odukpani dans l’Etat de
Cross River, au sud du pays. Il n’y avait rien.
“Je suis allé quelques temps après sur place
avec un conseiller du gouverneur (de l’Etat). Il n’y avait
que de la broussaille. Rien, même pas de route
d’accès”, a témoigné Kabir Rabiu dont les
propos ont été largement répercutés par
la presse.
“Sur la base de documents et des témoignages, il a
été clairement établi que les sommes
dépensées durant la période sous revue
(1999-2007, les deux mandats présidentiels d’Obasanjo)
se montent à 13,28 milliards de dollars”, a
déclaré jeudi M. Elumelu, qui n’exclut pas
d’entendre l’ancien président et son numéro 2
Atiku Abubakar.
Le président de l’Assemblée nationale Dimedi
Bankole a pour sa part chiffré à 16 milliards de
dollars l’argent dépensé, en pure perte, pour
tenter de produire de l’électricité.
Plusieurs gouverneurs, le patron de la banque centrale CBN
Charles Soludo, les ministres actuels des finances Shamsedin
Usman et de la justice Michael Aondoakaa et de nombreux
responsables financiers fédéraux ont
déjà défilé à la barre de la
commission d’enquête.
Paradoxalement, le Nigeria, pays le plus peuplé
d’Afrique et potentiellement un des plus riches (8e
exportateur mondial de pétrole), est
proportionnellement un des moins alimentés: 3.000
mégawatts pour plus de 140 millions de personnes,
contre par exemple 38.500 mgw pour environ 45 millions de Sud-Africains.
Qui est responsable de ce “gâchis” ? “Un peu
difficile à dire”, concédait gênée,
début mars, la ministre de l’électricité
Fatimah Ibrahim lors d’un entretien avec l’AFP.
“Le gros problème, avait-elle ajoutée est que
de nombreux projets n’ont jamais été
terminés. De ce point de vue, le gouvernement est
responsable pour ne pas avoir suivi ces projets jusqu’au bout”.
La commission d’enquête parlementaire n’a pu
effectivement que constater que plusieurs sociétés
contractées avaient empoché une grosse partie du
contrat et que les centrales prévues ne sont jamais
sorties de terre.
Mais, alors que le nouveau président Umaru Yar’adua
s’est faire élire en 2007 sur une image de
“Monsieur Propre”, certains craignent que le travail
de la commission ne reste sans suite.
“Il faut se féliciter de ces audiences publiques,
mais le vrai défi est maintenant de traduire en justice
les pillards présumés. Il ne faut pas que tous ces
efforts soient cachés sous un tapis”, écrivait
cette semaine le quotidien d’opposition Punch.