Des
fois, l’on échouerait à trouver quelque petit défaut chez tel ou tel
individu. A moins que l’on se résigne à l’idée que puisse exister un homme
parfait sur toute la ligne, l’on reste tout de même persuadé que la
perfection ne saurait être le propre de l’humain. Et voilà qu’en l’espace
d’une petite vingtaine de minutes, l’homme, qu’on prendrait facilement dans
la rue pour un Européen de souche (il a les yeux bleus d’un vrai Germain), a
révélé à son insu son principal défaut, et probablement le seul : il est
d’une telle politesse et d’une telle humilité que, dans ses propres locaux,
il vous donne l’impression d’être plutôt chez vous. Avec son verbe tout doux
tout bas (il vous oblige toutes les secondes à lui demander : ‘‘quoi ?,
comment ?, pardon ?…’’), son regard tranquille mais qui cache mal son
souci de savoir si vous êtes capable de comprendre et d’assimiler tout ce
qu’il vous dit, un soupçon de sourire sur les lèvres pour bien vous
signifier que vous êtes après tout le bienvenu chez lui, et des réponses
laconiques, sans fioritures et toutes nettes (décidément, tout est…Net chez
lui), on comprend que l’homme soit porté sur la réflexion beaucoup plus que
sur la parole.
D’ailleurs, il le dit lui-même : «Il me faut trois heures de réflexion le
matin, et trois autres le soir ; c’est que notre domaine bouge tout le
temps, évolue tout le temps ; par conséquent, il n’est pas question que nous
soyons dépassés par le monde…». Dépassé, lui ?… On aurait du mal à
l’imaginer un jour dans une telle situation. Enfant, au lieu de taper dans
un ballon comme ses camarades, il se mettait martel en tête pour défoncer le
mystère de la logique mathématique dans une classe où seules l’addition et
la soustraction lui étaient demandées. Entre lui et les mathématiques, il y
avait, non pas de l’affection ou quelque complicité, mais une recherche
acharnée et inlassable : c’est à qui vainc et soumet l’autre à sa merci le
premier. De là donc à être dépassé par le monde des nombres et des
équations…
Mohamed Frikha est né au mois de décembre 1963 à Sfax où il s’en sort avec
une première victoire sur les mathématiques en empochant le plus calmement
du monde et comme si de rien n’était un bac maths raflé haut la main. A
Paris, en 1982, il fréquentera la classe préparatoire Saint-Louis qui le
prédisposera au concours des grandes écoles françaises. Mais à ce stade, le
sort est déjà scellé. L’Ecole Polytechnique de Paris l’y accueille en 1984
sans trop de littérature administrative. De 1986 à 1988, il bifurque par
l’Ecole supérieure des Télécoms de Paris qu’il quitte pour une petite année
chez GST (Général Services Informatiques).
A Tunis, en 1990, il se voit confier pour quatre années la direction du
Centre de développement de logiciels chez Alcatel Tunisie. Désormais, avec
une telle expérience nourrie chaque jour d’une réflexion claire et sûre
(«Quand je flaire que ça pourra marcher, je ne recule plus : j’y vais
jusqu’au bout»), sont posés les jalons d’un projet qui aura indiscutablement
pignon sur rue à Tunis.
Ce projet verra le jour en 1994 sous le nom de TelNet. Entreprise totalement
exportatrice, elle opère dans les domaines des multimédia et télécoms,
l’avionique et défense, l’électronique automobile, la sécurité et les cartes
à puces. A l’appui de ses trois sites (Ennour, El Ghazala, Sfax) et un en
France (TelNet Consulting pour le développement d’affaires), le groupe (qui
aligne PLM Systems, Data Box, TelNet Technologies et INC pour le
développement d’entreprises), s’est constitué un portefeuille partenaires
assez prestigieux : Sagem, Valeo, Thompson, Dassault et autres. C’est ce
qui, entre autres, a valu à TelNet des revenus estimés à 12 millions de
dollars au titre de l’exercice écoulé. Et c’est ce qui lui vaudra de se
carrer en 2008 sur cinq sites au total, le dernier à paraître émergera sur
les Berges du Lac d’ici la fin de l’année.
Il est donc clair qu’un tel profil ne peut passer inaperçu. Mohamed Frikha
n’est pas seulement le patron de TelNet. Il est membre de la Commission de
veille technologique du ministère des Technologies de la Communication, du
Comité d’experts pour l’étude stratégique sur les technologies en Tunisie,
et membre de réflexion (évidemment) sur Internet de Tunisie Télécoms.
Pour autant, les personnels de TelNet sont totalement tunisiens. Ils sont
majoritairement des ingénieurs au nombre de 300 à fin 2007, ils seront 400
en 2008 et probablement… 500 en 2009. Ce qu’ils voient à travers leur
patron, c’est un génie tout fait et qui fera tout pour propulser TelNet sur
des horizons encore plus hauts. «J’ai beau leur dire que je suis tout
simplement un ingénieur comme eux, rien n’y fait : ils ont dressé entre eux
et moi une barrière, certes faite de respect et même d’admiration ;
pourtant, j’aurais tant aimé que se brise cette barrière pour céder la place
à une grande amitié. Je me sentirais mieux avec eux dans la peau d’un ami
plutôt que d’un patron…».
Non mais qui a rencontré en Tunisie une telle marque de modestie ?