Dépendance énergétique : l’UE à la peine face au jeu subtil de Moscou

 
 
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Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso lors d’une conférence de presse le 9 avril 2008 (Photo : John Thys)

[17/04/2008 17:31:39] BRUXELLES (AFP) Les Européens, malgré tous leurs efforts depuis 18 mois pour se rapprocher d’autres pays producteurs, ont bien du mal à réduire leur dépendance énergétique envers une Russie qui ne cesse de leur couper l’herbe sous le pied, selon des analystes.

Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a annoncé mercredi comme proche un accord de coopération énergétique avec l’Irak, avec l’espoir que les champs de Kirkouk (nord), le jour où le pays sera stabilisé, pompent leur gaz directement vers l’Europe.

Avec la flambée des prix des hydrocarbures, les conflits gaziers à répétition entre la Russie et l’Ukraine, principal pays de transit actuellement, l’Union européenne a fait de la réduction de sa dépendance envers le gaz russe une obsession de sa politique étrangère.

Partenariat énergétique avec l’Azerbaïdjan, accord avec le Kazakhstan, reprise des relations avec la Libye, mémorandum énergétique à l’étude avec l’Algérie: depuis novembre 2006, les Européens ont approché de nombreux grands pays producteurs.

Mais il n’y a pour l’instant “rien de plus qu’une volonté politique” et aucun contrat concret, souligne Francis Perrin, responsable de la revue Pétrole et gaz arabes à Paris.

Seule avancée concrète, selon lui, la promesse faite à l’UE le week-end dernier par le président turkmène que son pays était prêt à lui livrer 10 milliards de m3 de gaz dès 2009 pour alimenter le projet de gazoduc Nabucco.

Nabucco, qui doit permettre d’ici 2012-2013 d’approvisionner les Européens en gaz de la mer Caspienne sans passer par la Russie, est au coeur de la stratégie européenne de diversification.

Mais le projet a “patiné complètement” jusqu’ici, faute de garantie qu’il y aura assez de gaz pour l’alimenter, souligne Susanne Nies, chercheuse à l’antenne bruxelloise de l’Institut français des relations internationales.

La promesse du président turkmène la laisse sceptique. “C’est de la rigolade, il a déjà vendu quatre fois ses ressources au monde entier!”, dit-elle.

Francis Perrin est plus nuancé. Ajoutée à une révision à la hausse des réserves azerbaïdjanaises du champ gazier caspien de Shah Deniz, également censé alimenter Nabucco, cette promesse marque “peut-être les premiers frémissements” de ce projet clé, selon lui.

Les deux analystes portent cependant un même jugement sévère sur les efforts européens: l’UE avance laborieusement ses pions face à Moscou et Gazprom, qui jouent “une partie subtile”, utilisant leur puissance financière pour attaquer en divers points de l’échiquier.

La Russie “négocie avec l’Algérie, la Libye et le Nigeria, pour des projets gaziers tournés vers les marchés européens, alors que l’UE voyait ces pays comme des sources de diversification”, souligne M. Perrin. “C’est une façon de leur couper l’herbe sous les pieds”.

La Russie a par ailleurs alimenté les doutes sur Nabucco avec son projet South Stream, qui doit lui aussi permettre d’acheminer le gaz du Caucase jusqu’à la Bulgarie, en passant sous la mer Noire.

Le co-développement de ce projet par l’Italie prouve une fois encore que les Européens “ne parlent toujours pas d’une seule voix” face à Moscou sur l’énergie, souligne Mme Nies. Sans parler du projet russo-allemand Nord Stream, qui doit relier la Russie à l’Allemagne en passant sous la Baltique, suscitant l’inquiétude des Baltes et des Suédois.

Selon Mme Nies, l’idée fait aussi son chemin d’un raccordement de South Stream à Nabucco, ce qui permettrait d’assurer l’alimentation de ce dernier mais renierait sa raison d’être initiale: contourner la Russie.

Les projections actuelles indiquent que les Européens n’échapperont pas d’ici 2030 à une augmentation de leur dépendance envers le gaz russe, qui représentait déjà en 2005 46% de leurs importations, souligne Mme Nies.

Il s’agit moins de réduire cette dépendance que de “limiter les dégâts” et d'”essayer de ne pas trop l’augmenter”, résume Francis Perrin.

 17/04/2008 17:31:39 – © 2008 AFP