«Il commence à faire chaud, d’ailleurs. Il fera très chaud cet été», dit-on. Les spéculations sur la météo estivale s’accordent souvent avec le gros business de la location saisonnière.
A peine, les beaux jours pointent timidement du nez que les chasseurs de «bonnes occas» démarrent en trombe vers Hammamet, Kélibia, Korba, … Histoire de dénicher la perle rare.
L’objet de toutes les convoitises, vous l’avez sans doute compris, est bel et bien la jolie maison à louer, pour un mois ou deux cet été.
Le cahier des charges est désarmant d’exigences: Fraichement repeinte, si elle n’est pas nouvellement construite. Pieds dans l’eau ou en deuxième position maximum, elle est joliment décorée. La cuisine doit être bourrée d’électroménagers pour faire des gâteaux aux enfants et une cuisine facile aux grands. Il faudrait qu’elle soit climatisée pour les siestes chaudes et assez proche des commerces, pour ne pas prendre la voiture pour une baguette. Avoir suffisamment de voisinage pour la sécurité et permettre au petit dernier de trouver des compagnons de foot. Il faudrait aussi veiller à ne pas être envahis par les enfants qui hurlent, crient et débordent d’énergies. Il faut aussi tâcher d’éviter qu’ils ne s’approprient le jardin, s’installant sur les chaises longues dès que vous avez le dos tourné.
Il va de soit que le prix doit rester raisonnable avec un nombre de chambres assez conséquent pour recevoir les amis et la famille. Une pièce en plus dans le jardin, serait un bonus. Elle regroupera ainsi les copains des copains des copains des enfants.
Ce qui est désarmant, c’est que l’on finit toujours par louer une maison crasseuse, moche avec une salle de bain rose bonbon ou vert pistache. En gros, on rêve d’une maison de vacances comme il n’en existe que dans les jolies revues en papier glacé et comme il n’y en assurément presque pas le long du littoral tunisien.
Au mieux, les oreillers sont noirs d’humidité, les sommiers sentent l’acétone, la vaisselle est ébréchée et les ustensiles de cuisine sont noirs de saleté. L’incessant va et viens entre locataires et loueurs -pour réclamer ceci ou cela- finit par incommoder tout le monde.
Les premiers sont devenus des professionnels du «Tout en Double». En gros, tout ce qui ne sert plus est laissé pour les «sayyafa», comprenez les estivants-locataires à qui en plus de laisser des maisons superbes, on gratifie de mer, de détente, de fraîcheur et des soirées enflammées d’Hammamet ou d’El Kantoui. Il ne s’agit pas non plus de les pourrir à l’extrême, en équipant les maisons de fournitures propres, nets, et harmonisées.
Au pire, ce sont les locataires qui ne sont que 5 personnes à la remise des clefs, qui se
multiplient étonnamment à l’approche du premier week-end. Il arrive qu’ils se retrouvent à 20, 25 et plus dans un espace hyper exigu.
Ils dorment à tour de rôle, se douchent non-stop et déjeunent à toute heure. Certains invités déposent juste leurs bagages, d’autres passent boire un café, les autres se changent dans le jardin après une journée de plage et une douche vite faite au tuyau d’arrosage en prévision d’une soirée jusqu’à l’aube. La maison devient un véritable hangar, fief pour toute la tribu. C’est le quartier général où se font et défont les amitiés, les programmes, les fiançailles et quelquefois les divorces.
Toujours ahuris sans néanmoins êtres surpris, les loueurs connaissent largement la chanson. Dans la majeure partie des transactions, le prix de l’eau, du gaz et de l’électricité est compris dans le forfait locatif. Il arrive très souvent que les loueurs exaspérés par des débordements de tous genres, assaisonnés soit au crêpage de chignon soit aux écarts de langages les plus extrêmes ferment les vannes de la SONEDE ou de la STEG et ouvrent encore plus grande, la voie à toutes les violences. Je vous laisse imaginer le reste…
Moi qui voulais faire une véritable enquête sur le sujet, je suis servie par les anecdotes, les témoignages, les plaintes, les insultes corsées, les bagarres musclées, les renvois abusifs, les intimidations, les gaspillages d’énergie, les locations au week-end, à la journée, voire à l’heure ou à la douche, qui sont autant de pratiques courantes et banalisées.
Les questions restent toutefois en suspens : A combien estime-t-on le business de la location ?
Les transactions sont-elles déclarées? Les étrangers sont soumis à des déclarations de présences obligatoires auprès des autorités mais hélas pas respectées…Ce que je découvre est tordant de rires, mais alarmant d’incohérences, d’infractions et de délits petits et grands. Je me suis donc rabattue sur une chronique tonitruante à l’image d’un créneau certes porteur, mais chaotique.
Au bout d’une demie heure avec un agent immobilier structuré et patenté, je me dis, c’est tout de même un drôle de métier. Coups bas, escroqueries, commissions jamais acquittées,
arrhes perdus, cautions perdues…Dans le secteur organisé, c’est déjà une bien belle pagaille.
Les choses se corsent davantage quand les intermédiaires, souvent déguisés en épiciers, marchands de légumes, préparateurs en pharmacie, se révèlent des rabatteurs de taille.
Certains intermédiaires et «beznessa» serpentent les rues à fort potentiel aux aguets de la moindre proie. Les guerres intestines entre les gardiens des maisons ou quartiers et ces «samsara» rajoutent plus de piment dans un business juteux où il faut frapper vite et fort.
Malgré les mises en scène quelques fois spectaculaires, ne vous y fiez pas, le gâteau est largement partagé.
C’est un peu comme la roulette russe, juste une question de chance. Chacun y va du sien. Qui a tort ? Qui a raison ? Les loueurs ou les locataires, les intermédiaires, les agences immobilières …Tous carton rouge !
Par Amel Djait
Publié sur WMC Le Mag n°12 du 9 juillet 2020