La séance du 5 mai 2008, au cours de laquelle la Chambre des députés a
examiné et voté la convention liant l’Etat tunisien et Bukhater Group,
promoteur du projet «Tunis Sports City», était paradoxale : alors que le
vote de ce texte a été unanime, le débat qui l’a précédé était très
contradictoire. En fait, à l’image du pays, les députés ont à l’égard de ces
«mégas» projets une attitude très mitigée dans laquelle on trouve, à la
fois, la fierté d’être au centre de l’intérêt de ces investisseurs venus du
Golfe, l’espoir de voir le pays, sinon toucher le jackpot, du moins tirer un
bénéfice substantiel de leurs grands projets, l’appréhension qu’il ne puisse
pas le faire et, la peur que ces projets aient des «effets collatéraux»
indésirables, pour ne pas dire fortement dommageables pour les équilibres du
pays.
Il n’a pas manqué de voix, tant à la Chambre des députés qu’ailleurs, pour
voir dans cet afflux de grands projets une marque de confiance envers la
Tunisie, un moyen d’en doper l’attractivité auprès des investisseurs
étrangers et, surtout, de permettre au pays d’atteindre ses objectifs vitaux
en matière de croissance et, partant, de création d’emplois. Ardent
défenseur de ce type de projets, M. Slim Tlatli, conseiller principal auprès
du président Ben Ali et président de la Commission supérieure des Grands
Projets, a expliqué, le 29 mars 2008, devant les membres du Centre des
Jeunes Dirigeants de l’UTICA, que «l’essentiel n’est pas l’argent. En
trouver c’est relativement facile. Ce que nous cherchons, c’est des gens
ayant des idées, porteurs de concepts qu’ils ont déjà réussi à implanter.
Des gens qui réfléchissent sur le moyen et le long terme, qui veulent
réaliser des investissements dans la durée et non qui se contentent de
«faire un coup et de s’en aller».
Et si la Tunisie cherche à attirer des investisseurs porteurs de grands
projets, observe M. Tlatli, c’est parce qu’elle a l’ambition de devenir un
centre régional de services et d’affaires et qu’elle en escompte
l’accélération de sa croissance économique –«de 1 à 2 points»- et la
création d’un nombre conséquent d’emplois.
Cet espoir a trouvé un écho à la Chambre des députés, où certaines voix ont
réclamé que les entreprises, les compétences et les ouvriers tunisiens
puissent tirer profit de ces projets. Et comme ce fut le cas lors de la
discussion de la convention avec Sama Dubai, des députés se sont étonnés que
les grands projets promus par des investisseurs du Golfe se concentrent
autour de la capitale, et ont appelé, haut et fort, à ce que les régions de
l’intérieur aient elles aussi leur part du gâteau. Ce à quoi M. Mohamed
Nouri Jouini, ministre du Développement et de la Coopération internationale
a répondu, d’abord, en faisant remarquer que «c’est la nature du projet qui
impose le choix de sa localisation», et, ensuite, en annonçant que d’autres
projets sont dans le pipe «qui seront à 80% dans l’intérieur du pays, et
contribuerons à créer 50 000 emplois».
Outre l’espoir et l’appétit, les grands projets suscitent également
interrogations et craintes. A ce chapitre, plusieurs députés ont interpellé
le gouvernement concernant les retombées environnementales, sociales,
économiques, culturelles, juridiques, et …morales, de ces grands projets.
Ainsi, un député n’a pas caché sa crainte de voir ces projets aggraver le
phénomène de l’exode rural vers la capitale, compliquer davantage la
circulation et le transport dans Tunis, et faire flamber les prix des
matériaux de construction et en provoquer la raréfaction. L’Etat s’étant
engagé à amener les différents réseaux d’infrastructures jusqu’aux abords de
ces projets, un deuxième a ouvertement exprimé sa peur que «ce qui est
additionnel l’emporte sur ce qui est fondamental», c’est-à-dire que les
pouvoirs publics se trouvent dans l’obligation de surseoir à certains
projets d’infrastructures prévus dans le plan, pour pouvoir respecter leurs
engagements vis-à-vis des investisseurs du Golfe. Un troisième est allé
jusqu’à mettre en doute l’utilité de ces projets alors que «près de 20% des
nouveaux biens immobiliers sont vides». Un quatrième s’est demandé si la
souveraineté de l’Etat tunisien et son autorité s’exerceront sur les zones
de ces projets.
Seul interlocuteur des députés sur ce dossier, -avec M. Béchir Tekkari,
ministre de la Justice et des Droits de l’Homme- le ministre du
Développement et de la Coopération internationale s’est voulu rassurant sur
toutes les questions évoquées.
Davantage d’encombrement dans la capitale ? Hors de question, réplique M.
Jouini, d’abord parce que ces grands projets vont ajouter de nouveaux et
grands espaces, et parce le programme de développement du transport
ferroviaire et rapide ainsi que les nouveaux échangeurs vont contribuer à
fluidifier la circulation. L’impact sur les projets prévus par le plan ?
Aucun problème, puisque «notre plan n’est pas figé et il est possible de
s’adapter». L’impact environnemental ? Tous les projets sont soumis à des
études d’impact, toutes les dispositions seront prises pour protéger
l’environnement, et, de toute façon, rien ne pourra être fait sans l’aval du
gouvernement, insiste M. Jouini. Le risque de flambée des prix des matériaux
de construction et de leur raréfaction ? «Le gouvernement sera toujours
soucieux de la stabilité des prix et de l’approvisionnement du marché». A
quoi cela sert-il d’accueillir ces nouveaux projets alors que le pays
souffre déjà de la mévente d’un grand nombre de biens immobiliers ?
Contestant le chiffre de 20% de biens invendus –selon le ministre du
Développement et de la Coopération internationale même en comptant les
logements en construction et ceux des travailleurs tunisiens à l’étranger,
on ne franchit pas la barre des 13%-, M. Jouini note que le projet discuté
ce jour-là «n’est pas immobilier mais sportif, avec des espaces dédiés à
diverses activités économiques».
Les lieux d’implantation des grands projets seront-ils échapperont-ils au
contrôle de l’Etat ? Non, répond M. Béchir Tekkari, ministre de la Justice
et des Droits de l’Homme, puisque des locaux pour les forces de sécurité y
seront aménagés. Et en ce qui concerne les étrangers, «il ne faut pas
conclure que l’Etat ne va pas exercer ses droits dans le cadre de la loi sur
le séjour des étrangers qui lui permet d’interdire l’entrée» en cas de
besoin.
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