L’Union pour la Méditerranée


Par Imededdine BOULAABA

Un projet à la
croisée des chemins

 

Les idées, les
convictions et les professions de foi volaient très haut dans cette journée
du 11 juin 2008, à l’Hôtel Ramada Plaza Gammarth- Tunis où les convives du
Forum International de notre confrère «Réalités» ont évoqué les enjeux et
les perspectives du projet d’Union pour la Méditerranée dont les premières
assises auront lieu, après de longs conciliabules entre pays membres de l’U.E
et des dissensions franco-allemandes, le 13 juillet 2008 dans la capitale
française dans une ambiance, prédisent déjà certains, feutrée, ouatée, de «wait
and see», ce qui trahit les inquiétudes, les frustrations et la défiance des
uns et des autres à la veille d’un sommet, censé répondre aux attentes d’une
région en quête de complémentarité et de prospérité.

 


La Méditerranée,
diversités et convergences 


 

Pour que l’Europe puisse
parler au monde, elle doit, tout d’abord, s’entendre avec elle-même. Le
projet d’Union méditerranéenne lancé par le président français Nicolas
Sarkozy, en octobre 2007, a occupé la scène médiatique internationale 
pendant des mois sur fond de crise diplomatique larvée entre Paris et Berlin
qui s’offusquait, à l’instar des pays nordiques du continent, des
initiatives solitaires et des méthodes cavalières du locataire de l’Elysée,
soupçonné de marginaliser la Commission de Bruxelles, de faire fi des
desiderata de ses partenaires et de vouloir repositionner favorablement la
France, grâce à ses réseaux francophones au sud et à ses appels solennels de
Tanger, de Constantine et de Tunis, sur l’échiquier des échanges
commerciaux, des luttes d’influence dans la Mare Nostrum et de l’aura
internationale.

 

«Les 27 pays de l’Union
européenne, à l’issue de leur dernier sommet de Bruxelles, ont réussi à
aplanir leurs différends, à convaincre l’Hexagone de redynamiser les
structures de coopération existantes entre les deux rives et à placer la
démarche française dans le cadre du prolongement du Processus de Barcelone,
lancé en 1995 à un moment où l’élargissement à l’Est, après la déconfiture
du Pacte de Varsovie, était perçu comme une nécessité historique», clame
l’Amiral Jean Dufourcq, Directeur à l’Ecole Militaire de Paris, qui a
appelé, tout au long de son intervention, durant la séance plénière, les
peuples de la Méditerranée à prendre leur destin en main, à construire des
espaces de passerelles, à revitaliser des synergies communes et à remodeler
une centralité géopolitique, capable de faire face aux défis économiques et
écologiques d’une région, naguère carrefour de civilisations métissées et
rayonnantes.

 

Pour M. Hassan Abouyoub,
ambassadeur itinérant du Royaume du Maroc, l’adhésion des pays du Maghreb au
projet en gestation se mêle d’un sentiment de frustration et de quelques
inquiétudes nées des échecs du passé, de l’enlisement du processus de
Barcelone et de la faiblesse des concertations au niveau des régions sud de
la Méditerranée. Son homologue algérien, M. Smail Hamdani, ancien Premier
ministre, s’est interrogé, dans son allocution, sur le volet sécuritaire de
«l’U.P.M», l’autonomie décisionnelle des pays membres de l’U.E vis-à-vis de
la politique israélienne et les financements relatifs, dit-il, à la mise en
place de nouvelles structures, appelées, après le sommet du 13 juillet
prochain à Paris, à concrétiser les résolutions adoptées, à fluidifier les
rapports politico-économiques et à agencer les différentes échéances
susceptibles de crédibiliser un projet dont l’objectif majeur, insiste notre
interlocuteur, est de soutenir la croissance, d’encourager le développement
durable et de faire de la région méditerranéenne un pôle solidaire,
compétitif et innovant.

 


Projet d’union ou union
des projets 

 

Alors que Tunis est cité,
pendant la pause café, pour accueillir le siège du secrétariat de la future
Union, M. Adrianus Koetsenruijter, ambassadeur et chef de la Délégation de
la Commission européenne en Tunisie, a rappelé, lors du débat général qui a
suivi la séance plénière, la volonté de Bruxelles de s’impliquer en termes
stratégiques, politiques et économiques dans l’initiative du président
français, de privilégier des rapports commerciaux «gagnant-gagnant» avec la
rive sud et de favoriser la dimension multilatérale dans les échanges entre
les pays riverains.

 

«L’esprit de Barcelone,
le Forum méditerranéen et le dialogue 5+5 ont créé la nécessité et le besoin
de remédier aux lacunes, apparues au fur et à mesure de l’avancement des
travaux de certaines commissions sectorielles ; ce qui a donné toute son
ampleur au projet de Nicolas Sarkozy, censé transcender les visions
étriquées des uns et des autres, donner à ce bassin toute sa centralité et
offrir, aux différentes régions en quête de regroupement, un modèle de
partenariat qui triomphera dans le monde», clame M. Abdelwaheb Abdallah, le
ministre tunisien des Affaires étrangères, qui a mis en relief, dans son
discours inaugural, la communauté de destin d’une contrée ancienne,
l’importance, pour les opinions publiques du sud, de voir des projets
structurants fédérer les deux rives et l’amorce d’un rééquilibrage
stratégique, de la part du nord, afin d’amarrer le pourtour émergent de la
Méditerranée à un pacte de coprospérité, synonyme de stabilité et de
profitabilité.

 

Enfin, tout au long de
l’après-midi, trois ateliers de travail simultanés se sont penchés sur les
concepts  de «sécurité globale», de «diversité culturelle» et d’ «union des
projets», dans le but de mieux cerner les contours d’un projet, porteur de
controverses, d’espérances et de défiances, ce qui a poussé les participants
à mettre l’accent, à l’issue de leurs travaux, sur la crainte des pays de la
rive sud de la Méditerranée, de voir l’Europe privilégier, dans son
approche, l’aspect sécuritaire -terrorisme, pression migratoire croissante
en provenance des pays du Sahel- au détriment d’une vision volontariste,
orientée vers la connaissance, la convergence et la résilience économique.

 

«La plupart des projets
évoqués à Bruxelles -dépollution de la Méditerranée, autoroutes de la mer,
accès à l’eau, «espace scientifique » commun…- intéressent les holdings du
nord ou les administrations, mais assez peu les P.M.E, dont le développement
est vital pour nos économies», s’inquiète M. Chakib Nouira, Directeur de
l’Institut arabe des chefs d’entreprise, qui appelle à prioriser l’action
multilatérale, à cibler les infrastructures et à combler le déficit
capacitaire des pays partenaires.