La «malédiction du pétrole» en Afrique

Par : Tallel

Deux nouveaux pays,
le Ghana et le Mali, vont bientôt rejoindre le club des pays africains
producteurs de pétrole. La manne financière attendue leur ouvre de nouveaux
horizons pour transformer leurs économies et sortir leurs populations de la
pauvreté. Toutefois, il convient d’être prudent à cet égard. En effet, si
l’on en croit le rapport 2008 sur les performances des compagnies
pétrolières et gazières, publié par Transparency International, 60% des
personnes les plus pauvres vivent dans des pays riches en ressources,
particulièrement ceux de l’Afrique. Ce paradoxe est qualifié de «malédiction
pétrolière». Comment l’expliquer ? Et comment y remédier
?

 

Si de nombreux pays
africains producteurs d’hydrocarbures ont adopté des régimes en apparence
démocratiques, le principe de contrepouvoirs garant de la responsabilité des
dirigeants n’est pas toujours respecté car ils sont dépourvus d’institutions
capables de faire contrepoids, et de lutter contre la tendance autocratique
des régimes politiques. Les dirigeants échappent donc souvent au contrôle
des institutions démocratiques les obligeant à inscrire leurs actions dans
le long terme d’une part, et à rendre compte à leurs citoyens d’autre part.
La gestion de la manne pétrolière ne fait pas exception. L’opacité dans la
gestion des ressources pétrolières traduit elle aussi une faiblesse du
contrôle institutionnel, c’est à dire en l’espèce, l’ensemble des règles
(budgétisation des revenus pétroliers par exemple) et d’institutions (cours
des comptes et justice indépendantes) qui surveillent, évaluent et
sanctionnent la gestion des revenus pétroliers. Dans la majorité des pays
africains producteurs de pétrole, la déclaration et la gestion démocratique
des revenus pétroliers sont donc quasiment absentes.

 

Aux origines du paradoxe de la malédiction pétrolière en Afrique

 

Or, dans ce contexte, la
prépondérance de ces revenus pétroliers pose problème car elle est une
incitation forte à la connivence entre les hommes politiques et les hommes
d’affaires dans les pays africains producteurs d’hydrocarbures. Cette
connivence entretient ainsi l’opacité et la banalisation de la corruption.
Au Nigéria, au Congo Brazzaville et en Guinée-Equatoriale, pour ne citer que
ceux-ci, la gestion des revenus pétroliers est une affaire privée entre les
compagnies pétrolières et le Président. Celui-ci supervise personnellement
toutes les transactions financières se rapportant à l’exploitation des
hydrocarbures. Au Cameroun les recettes pétrolières n’ont jamais été
budgétisées et en Algérie le Fonds de Régulation des Recettes, dont les
ressources sont estimées à plus de 32 milliards de dollars à la fin 2007,
n’est pas intégré au budget. Par ailleurs, il n’est pas rare en Afrique que
les ressources pétrolières soient détournés afin de financer les régimes
autoritaires (Nigeria, Tchad), et d’approfondir des tensions ou des conflits
armés (Soudan, Angola, Congo Brazzaville).

 

Le pétrole se transforme
donc en « carburant » alimentant la corruption et les conflits armés avec
pour conséquence une pauvreté endémique, d’où la malédiction pétrolière.

 

Comment prévenir la malédiction du pétrole ?

 

Pour échapper à la
malédiction des ressources pétrolières, les pays africains producteurs et
leurs partenaires doivent promouvoir la transparence au niveau de la
déclaration et de la gestion des revenus pétroliers. Cela passe par la
réhabilitation d’un contrôle institutionnel efficace incitant les dirigeants
à une gestion responsable et performante de la manne pétrolière.
L’amélioration de la transparence, et donc de la responsabilité des acteurs,
implique que le gouvernement soit soumis au contrôle effectif du parlement
et de la société civile. La transparence passe inéluctablement par la
séparation des pouvoirs et par la neutralisation des mécanismes de
connivence entre le monde de la politique et celui des affaires. Ceci permet
de réduire les opportunités de corruption et d’abus offertes aux dirigeants
et aux bureaucrates.

 

Si les gouvernements
africains demeurent les premiers responsables, il n’en reste pas moins que
les compagnies pétrolières sont souvent complices des détournements à
l’image des scandales « Elf » et «Angolagate» respectivement au Congo et en
Angola. Elles doivent être incitées à déclarer les paiements effectués en
faveur des gouvernements hôtes (royalties, impôts et commissions). Cela
implique non seulement la suppression de la clause de confidentialité dans
les contrats pétroliers, mais aussi l’établissement de règles imposées par
les gouvernements des pays d’origine et les autorités boursières, des règles
obligeant les firmes pétrolières à publier ce qu’elles payent aux pays
hôtes.

 

Lorsque l’on observe le
classement des deux nouveaux pays producteurs de pétrole (le Ghana et le
Mali) selon l’indice de perception de corruption 2007, il existe un grand
risque qu’ils deviennent aussi victimes de la malédiction pétrolière : le
Mali occupe en effet la 118ème place et le Ghana la 69ème. En conséquence,
il est incontournable que ces deux pays entreprennent de manière urgente des
réformes institutionnelles allant dans le sens de la transparence, condition
sinon qua non pour conjurer la malédiction pétrolière dans la mesure où
elles renforcent l’esprit de responsabilité nécessaire à toute bonne
gouvernance et par conséquent, favorisent le développement.

 

Hicham El
Moussaoui, avec la collaboration de

Un monde Libre

(Source :

http://www.afrik.com/article14441.html
)