L’homme, un peu mieux
habillé qu’un mari le soir de ses noces, fait tout pour jeter à droite et à
gauche des sourires aimables, mais l’expression de son visage cache mal un
stress implacable. Il a beau serrer la main des uns et des autres, converser
de brefs moments avec les uns ou les autres, son regard ne quitte pas une
seconde la bonne marche des services. Pour ceux qui ne le connaissent pas,
et ils sont forcément légion, il ne peut être, en telle ou telle
circonstance, que le premier dirigeant de l’entreprise ayant organisé la
manifestation (congrès, séminaire, réception, dîner, etc.). Sauf que depuis
quelques petites années, il est devenu omniprésent dans de telles
manifestations ; à l’évidence, il ne peut pas être le directeur général de
toutes les entreprises de Tunisie. Et alors qu’il regarde obstinément
l’ensemble des services de la circonstance, les curieux – comme nous– le
regardent, lui. Dès qu’un invité se fait servir quelque chose, il guette sur
son visage quelque expression, celle de la satisfaction ou du
mécontentement. Entre lui et les serveurs de tous genres, les messages
passent sur des ondes invisibles : une simple petite grimace à la commissure
des lèvres, un léger hochement de la tête, un froncement des sourcils
fugitif, et parfois un très vague mouvement de la main : allez savoir s’il
est lui-même satisfait ou mécontent. En attendant, il ne lâche personne du
regard. Même pas les photographes, comme s’il était le P-d.g. de Gaumont.
Pas même les journalistes, comme s’il était notre rédacteur en chef. C’est
une obsession chez lui que de ne rien laisser au hasard, d’observer tout ce
qui bouge et de parer, à sa manière, à la moindre petite contrariété, à la
moindre petite erreur. Et à la fin de la manifestation, son visage
s’empourpre, reprend vie. Mission accomplie. Au revoir et merci. Or, lui
mise beaucoup sur ce ‘‘revoir’’ ; un client qu’on a satisfait une fois est
une bonne chose, mais un client dont on a gagné la confiance et qu’on a
fidélisé, l’est beaucoup plus.
C’est une nouveauté en Tunisie qui ne remonte pas à plus d’une dizaine
d’années : les entreprises publiques ou privées (et même les particuliers)
ne veulent plus se mettre martel en tête pour l’organisation de leurs
manifestations dont elles confient la tâche à ces nouvelles agences passées
spécialistes sous ce vocable nouveau de l’événementiel. En somme, c’est un
peu l’externalisation des services pour les donneurs d’ordres ; mais pour
ces professionnels de l’événementiel, c’est une braise de feu qu’on saisit
entre les mains pendant au moins trois heures, le temps de la manifestation.
Car pour peu qu’on vous gâche votre fête, c’est l’image et la réputation de
l’agence qui vont à vau-l’eau. On ne badine pas ici. Le contrat est lourd
d’argent, très lourd de responsabilité. A donner le diabète au sang.
Diabète ou pas, Mehdi Chaker sait ce qu’il fait. Et plutôt bien, dans les
règles de l’art. En lançant en 2002 Exception Event, il avait les reins
solides de plusieurs années d’expérience dans l’hôtellerie de grand luxe.
Ecoutez comment il présente son travail : «Un événement se prépare tel un
film : scénario, story-board, montage, acteurs et décor où les invités
jouent le rôle de spectateurs –et parfois même d’acteurs. Les commandes, les
prestations, la production et le design interagissent pour donner un bouquet
final à même de surprendre, d’émouvoir et de rassembler autour d’un thème».
C’est donc lui le metteur en scène. C’est clair. Un metteur en scène très
chiche sur les chiffres : «Mon capital de départ a été la confiance qu’ont
placée en moi les donneurs d’ordres. Pour le reste, il faut disposer d’une
trésorerie importante car certains événements peuvent atteindre des budgets
importants». D’où, dans ses références, de nombreuses enseignes
internationales et d’importantes Sociétés locales. Oui mais, quoi ?!
Exception Event ne se trompe jamais, ne commet pas d’erreurs ? «Les erreurs
existent, prétendre le contraire serait prétentieux et irréaliste. Mais nous
en retenons les leçons et les corrigeons d’un événement à l’autre ». C’est
de l’humilité. Car les curieux qui le regardent, lui, n’ont pas eu encore la
chance de lui tomber sur une bourde.
M. Mehdi Chaker, 37 ans, a fait l’Ecole hôtelière de Nice (gestion
hôtelière) et plusieurs stages dans des hôtels de luxe dans la même région
et notamment à Cannes, avant de lancer lui-même plusieurs opérations de
relations publiques en Tunisie et de devenir Directeur de vente & marketing
dans un hôtel 5 Etoiles de Tunis. En polarisant toute son attention et
consacrant tout son temps à son bébé Exception Event, il a oublié qu’il est
encore célibataire, lui qui porte à chaque manifestation un costume plus
beau que celui d’un mari le soir de ses noces.