Viticulture-viniculture : frères ennemis


Par Amel Djait Belkaid

uccv-4651-1.jpgAu début était le grain…
le grain de raisin.


« Avant l’heure ce n’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure», ce
vieux dicton s’applique largement aux vendanges, objet de toutes les guerres
entre les viticulteurs et les magiciens qui veillent sur sa transformation.

Le conflit d’intérêt est d’ailleurs immédiat. Les uns attendent la teneur en
sucres eau, alcool, et en couleurs rubis ou or … pendant que les autres
râlent, car ils perdent du poids et du temps. Une semaine d’attente avec des
dizaines de vendangeurs réunis péniblement dans les « starting block »
sécateurs à la main, c’est jusqu’à 20 à 30% de leur production en moins, du
moins pour ceux qui ont choisis de vende au plus offrant.

Pour le plus gros des producteurs de raisins, les vendanges sont orchestrés
par l’organisme qui les rassemble et qui décide de l’ouverture du bal des
vendanges, jaugeant la teneur en alcool, qui avec le poids, sont les
principaux indicateurs à l’achat du raisin. C’est à ce moment là, que des
milliers de femmes prennent la route des vignobles vêtus de leurs foulards
multicolores, avec vivres et enfants, enrichissant en même temps le paysage
de toute la péninsule du cap bon.

Les prix d’entretien des vignes sont de plus en plus élevés par rapport aux
prix de vente. Les viticulteurs sont défavorisés et poussés vers le
délaissement. Le prix du raisin de cuve est homologué. Le vignoble
tunisien a vieilli et c’est l’agriculteur qui paye les pots cassées.


Mr L.D, viticulteur possédant un vignoble en coteaux de syrah déplore que “le prix de vente ne couvre même plus les frais. Je cultive en coteaux, ça me
coûte encore plus cher et ce n’est même pas pris en considération. Dans
d’autre pays, ce raisin est toujours payé plus cher car de meilleure
qualité. Ici la qualité se perd dans le flot des vendanges standards”.

Pourtant il n’y’a pas de secret : pour faire du bon vin, il faut du bon
raisin et en bonne quantité.


C’est pourquoi, les années de petite récolte les guerres entre les
différents domaines du paysage vinicole tunisien se font au pied des vignes.
Jouant sur les délais de paiements, sur des dizaines ou centièmes de
millièmes, les relations entre viticulteurs et vignerons sont soit amicales,
intimidantes, tendues, fragiles et surtout sujettes à rapide détérioration.

uccv-4651-2.jpgDans certains cas, les viticulteurs rassurés par le succès d’une année
généreuse se voient refusés leur production. Par gourmandise, ils ne
respectent plus les données techniques imposées par les dures lois de la
viniculture. Alors que tous les domaines se réservent le droit de refuser la
récolte, si elle n’est plus conforme aux normes qu’ils jugent nécessaires,
l’UCCV se doit d’absorber toute la production de ses vignerons affiliés.

Certains pensent qu’il faudrait envisager des « primes à l’arrachage » pour
encourager les viticulteurs qui n’arrivent pas à se mettre à jour avec les
techniques modernes de cette culture pour se reconvertir dans d’autres
cultures. Visiblement condamnés à la faillite, voire à l’abandon, cela ne
peut plus être rentable ni pour eux ni pour l’ensemble de la profession.
Le rendement, voilà le maitre mot, qui résume comme toujours toutes les
situations.


«La majorité des vignobles tunisiens produisent difficilement autour de 3
tonnes par hectare, alors que dans d’autres pays on atteint une moyenne de
7tonnes /ha, d’où une précarité certaine pour les agriculteurs» résume
Ludovic pochard Œnologue du Domaine Ceptunes.


Confirmé par Belgacem D’Khili, Docteur en Viticulture : «Sur le terrain,
nous sommes très faibles en termes de rendements. Les chiliens ou
australiens sont à un rendement de 100 hectolitres par ha, alors que nous ne
sommes qu’à 20-25 hectolitres /ha. ». En effet, 60% du vignoble tunisien est
dédié à un encépagement traditionnel et vieillissant non adapté aux vins de
qualité. « L’urgence est donc d’inciter à restructurer le vignoble avec des
cépages universels et des rendements qui permettent d’assurer une
productivité à l’internationale, d’autant que le regain de qualité facilité
désormais la commercialisation des produits tunisiens».

Aujourd’hui le vignoble tunisien comprend 07 Appellation d’Origine
Contrôlé (AOC)
. L‘encépagement est constitué d’une mosaïque de cépages
traditionnels, nobles et universels.

Appellation d’Origine Contrôlée “Grand Cru Mornag”
Située à une quarantaine de kilomètres de Tunis, cette zone produit des vins
appréciés depuis l’époque de la splendeur carthaginoise. Notamment le “Sidi
Saad” toujours logé dans son amphore, le “Noble de Mornag”, “Le Château
Mornag». Ces vins se vendent à 4 millions de cols en Europe.

Appellation d’origine contrôlée “Mornag”
Il s’agit du plus grand vignoble tunisien, caractérisé par une double
ouverture sur la Méditerranée et est marqué par un encépagement riche en
améliorateurs. De ces aires naissent les vins de cépages “Merlot”, “Syrah”,
“Cabernet” produits par l’UCCVT ainsi que les vins d’assemblage de la C.V.
Bou Argoub “Château Bou Argoub”, “Prestige de Mornag, ” et “Coteaux de
Megara “” de Chai Valenza.

Appellation d’Origine Contrôlée “Coteaux de Tébourba”
La deuxième appellation en superficie, l’AOC coteaux de Tebourba produit des
vins de caractéristiques uniques et de prestige notoire, son vin “Vieux
Magon” produit par la cave Schouigui à la couleur grenat, au bouquet
agréable et corsé, est élevé dans des fûts de chêne lui donnant son goût
boisé.

Appellation d’Origine Contrôlée “Sidi Salem”
Des vins de haute gamme tels que “Impérial Magnus “, “César Auguste” et
“Princesse Elissa” médaillé aux « Vinalies de Paris » sont produits par les
domaines de Saint Augustin fruit de partenariat Tuniso-Français. “Selian et
“Terrale ” sont produits par les Domaines Neferis et Hannon, fruit d’un
savoir-faire Tuniso-Italien.

Appellation d’Origine Contrôlée Kelibia
Ce terroir où le Muscat d’Alexandrie explose tout son parfum exceptionnel
produit le Muscat le plus muscade du monde. Le 1er Cru “Muscat sec de
Kelibia” a été médaillé au concours Muscat du Monde 2001.

Appellation d’Origine Contrôlé Thibar
Cet AOC située au nord ouest de la Tunisie est caractérisé par son climat
continental.
Parmi les plus anciens vignobles de la Tunisie, le Domaine de Thibar a été
créé par la confrérie de Frères de St Joseph, où sont produits des vins
rouges à la couleur rubis, agréables en bouche et pleins de forme et de
caractère tels que le “Clos de Thibar” et le “Coteaux de Thibar.

Appellation d’Origine Contrôlée “Coteaux d’Utique”
Cette aire d’Appellation se situe au côté sud-ouest de la région de Bizerte.
Sur ce sol généralement
limoneux bien exposé les vins de la région sont issus de cépages
traditionnels associés en faible
proportion de cépages améliorateurs, leur donnant finesse et velouté.

Par ailleurs, il semble que le secteur souffre de l’absence d’un organisme
de contrôle. Dénoncé pendant un moment, l’Office de la Vigne, accusé de «
scléroser et étouffer le secteur” est réclamé à corps et à cris par les
professionnels du secteur qui dénoncent l’absence de contrôles.


Aujourd’hui sous la tutelle du Groupement Interprofessionnelle des fruits
(GIF) avec les dattes et les oranges, les équipes administratives sont assez
démotivés et le secteur privé a besoin d’une structure de tutelle pour
organiser et mettre de l’ordre, s’assurer des qualités, veiller aux respects
des appellations, aux normes de santé etc.…

Mettre un peu d’ordre dans un secteur ou règne une anarchie imperceptible
pour le commun des mortels. Dans les rayonnages des hypermarchés, les
bouteilles se livrent une concurrence impitoyable. Et le pire côtoie le
meilleur…
 

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