105 crocodiles ont quitté en ce mois de juillet le zoo de Djerba pour
rejoindre un parc, à Civaux, en France. Cinq adultes de 10 ans avec toutes
leurs dents, pesant leur 300 kilos sur la balance. Et une centaine de petits
jeunes, pour assurer la relève et le spectacle. La preuve du savoir-faire à
la tunisienne ? On a réussi à devancer les Égyptiens, en revendant
nous-mêmes des crocodiles de leur Nil ! Signe indéniable du dynamisme de nos
exportateurs et des multiples organismes qui les encadrent. Si la
libéralisation des échanges économiques exclut toujours les personnes, nos
businessmen en mal de visa en savent quelque chose, les marchandises, elles,
ne reconnaissent pas les frontières. Et les crocodiles non plus.
Le saurien est aussi un symbole. Non pas celui de relations
politico-économiques en dents de scie. Mais l’animal a connu les dinosaures,
ces monstres qui terrifiaient nos frères préhistoriques. Il paraît donc
indestructible puisqu’il a même survécu à l’ère glaciaire. Nos frères de
l’Afrique sub-saharienne qui en connaissent aussi un rayon question
crocodiles savent que deux vieux mâles ne peuvent vivre dans le même
marigot. D’où les luttes de clans, les combines pour se voir propulsé roi du
marécage. Autant de facteurs qui justifient sans doute les effluves et les
mauvaises odeurs.
Ces grands lézards ne sévissent pas que dans les zoos, de Chénini ou de
Djerba. Les spécialistes de notre économie vous le diront. Dans les
entreprises, et les grandes institutions, ils sont omniprésents. Il paraît
même qu’ils s’organisent en confrérie, pour préserver l’espèce, et défendre
ses intérêts becs, ongles, et même à grands coups de dents.
Exportons donc les crocodiles qu’on a en trop. Si les Français sont
acheteurs, c’est tant mieux. Ils auront ainsi l’occasion de jouer à se faire
peur. Et en observant ce descendant direct des reptiles préhistoriques, ils
pourront, eux aussi, tirer leurs conclusions, et modérer leurs appréciations
sur leurs partenaires tunisiens. Ils sauront ce que les malheureux endurent
face à ces carnassiers d’une autre ère.
En somme, exporter nos crocodiles pourrait être doublement lucratif. D’une
part, on se débarrasserait à bon compte de ces prédateurs qui sévissent dans
nos eaux (guère) profondes. De quoi dynamiser une économie sauvée à bon
compte du vorace appétit des sauriens. D’autre part, la bête se révèle
vendable. Il est bien connu que les chaussures en croco valent presque leur
pesant d’or. De quoi remplir le portefeuille (du même cuir), d’espèces (en
voie de disparition) sonnantes et trébuchantes.
Mieux : le crocodile représente tout un (éco)système. Qu’on pourra tout
aussi allégrement fourguer au plus offrant. Comme ces oiseaux qui vivent en
symbiose, sur le dos des mêmes crocodiles. Leur gagne-pain ? Dégotter ces
insectes parasites incrustés sur la carapace du monstre. Enfin, parasites,
c’est une vue de l’esprit, un point de vue. Les écologistes savent bien
qu’il faut tout de tout pour faire un monde.
Quant au départ des grands lézards… Certains les regretteront à coup sûr.
Ils verseront pour l’occasion, de chaudes larmes… de crocodile !
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