Souvent, la première manifestation de la crise pour une entreprise
est une confrontation douloureuse avec la presse. Il est bien connu qu’une
mauvaise gestion des rapports avec les médias surtout dans les premières
heures peut aggraver la crise.
– Discours
triomphalistes imprudents,
– Promesses impossibles à
tenir,
– Propos optimistes qui seront démentis quelques heures
après,
– Chiffres invérifiables
qu’il est impossible de justifier,
– Couacs au sein de la même entreprise qui fait des
déclarations contradictoires,
– Image d’indifférence à la souffrance des victimes,
– Mauvaise appréciation de l’impact de la crise,
– Refus de communiquer qui entretient la suspicion,
– Excès de communication qui, au contraire, risque de
produire l’inverse de l’effet recherché,
– Imprécisions alimentant les rumeurs,
– Confusion qui nourrit l’impression que l’on cache des
choses beaucoup plus grave,
– Phrases
vagues qui se prêtent à toutes les interprétations,
– Considérations
mal argumentées sur les responsabilités (qui feront immédiatement penser que
l’entreprise cherche à se défausser ou à trouver des boucs émissaires),
– Ou
tout simplement mauvaise prestation télévisuelle d’un dirigeant qui donnera
une impression de flou, de culpabilité, d’hypocrisie, d’arrogance (même s’il
est le meilleur type du monde hors caméra)…,
– La
liste est longue des maladresses bien connues.
«La
crise, c’est 85% de mauvaise communication ;
le
manque de réactivité de l’entreprise est le principal facteur de crise :
plus elle va vite, moins il y a de crise»,
comme le notait une étude de Euro RSCG& Co faisant un bilan de la
communication sensible. Mais de nombreuses erreurs résultent aussi d’un
excès de hâte et des gaffes faites dès les débuts de la crise, des phrases,
des déclarations, des impressions qui déterminent toute la suite du
traitement de l’affaire par les médias. Notamment dans le domaine de la
recherche des responsabilités.
Il est
très facile de partir dans une “double spirale” : pour l’entreprise le
journaliste forcément incompétent, hostile et ne recherchant que le
sensationnel est responsable de l’incompréhension de l’opinion publique
voire de la crise tout court, tandis que pour le journaliste l’entreprise
qui informe mal a forcément quelque chose à cacher.
Cette
spirale peut s’enclencher d’autant plus vite que deux logiques se heurtent.
Celle
des médias repose sur la notion d’événement ; un événement c’est un
enchaînement de faits ayant un début et une fin, comportant un effet de
surprise ou de contraste par rapport au déroulement “normal” des choses (“on
ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure”) ; Un événement n’a de sens
qu’à un certain moment et dans un contexte. Or, la crise est l’événement par
excellence, puisqu’elle suppose une rupture, qu’elle a des enjeux et qu’elle
génère des passions.
La
reconnaissance (ceci est un événement digne d’être rapporté, ceci est une
crise), son traitement (l’enquête), la façon d’impliquer le lecteur ou le
spectateur, la grille utilisée pour l’analyser…, tout cela dépend de
facteurs qui sont inhérents au média même (indépendamment de facteurs comme
la qualité des journalistes, leurs orientations politiques, les exigences de
l’Audimat, les pressions des rédactions pour avoir du rapide et du
spectaculaire, et autres facteurs qui ne sont pas toujours imaginaires) :
Premier
facteur
: le temps. Il y a un temps des médias qui n’est pas celui de l’entreprise
(celle-ci préférerait souvent résoudre les crises avant d’en parler) mais
celui d’une actualité soumise à la course de la concurrence ; mais le temps
n’intervient pas seulement comme facteur de hâte et d’impatience : il rythme
l’agenda de la crise de ses grands moments (le JT, l’émission phare, le
prochain article de fond, la dépêche…) et conditionne la réception des
informations. Suivant le cas, ce qui peut se dire (et si possible se montrer
en images) en moins d’une minute, ou le contenu d’une dépêche ou d’une
tribune sera le bon format.
Mais le choix
du contenu répond à d’autres critères :
– besoin de
narration. Il faut une histoire avec un développement et une fin (et si
possible un crescendo), des personnages identifiables, des entités ou des
principes qu’ils représentent, une certaine lisibilité de leurs actions, un
mise en valeur des implications (y compris pour le lecteur ou le spectateur
afin qu’il soit impliqué) ;
– besoin
d’interpréter : lisibilité des actes, l’établissement des faits,
l’évaluation des conséquences (un point particulièrement sensible en cas de
crise, puisque la plus grande partie des débats portera sur des suites
futures et probables), voire des responsabilités
et une leçon pour l’avenir ;
– mais aussi
des enjeux symboliques : les personnages ou leurs actes incarnent de grands
principes (l’expertise, la science, la nature, les citoyens…) ou de grands
affects (la peur de l’empoisonnent, la compassion pour la victime innocente,
la crainte du péril
caché…)
La bonne
équation pour la constitution d’un événement c’est :
scénarisation (mise
en ordre des composantes de la crise pour une représentation destinée à un
public),
plus action,
plus émotion,
plus distribution
(des acteurs identifiables ayant des rôles et des personnalités bien
distincts), plus scansion (moments forts et développement de l’intrigue),
plus explication (la
crise a un sens),
plus résolution (la
crise a une fin).
Pour sa part,
l’entreprise est traditionnellement mal préparée aux rapports avec les
médias en temps de crise :
Longtemps sa
communication externe a été du type “euphorique” : dire le plus grand bien
de ses produits ou de l’entreprise elle-même, souvent sur son terrain et
sans craindre la controverse.
C’est un monde
plutôt habitué à la hiérarchie et guère à voire contester le discours de
la direction.
Il reste trop
souvent peu familier des enjeux éthiques, politiques ou idéologiques liés
à son activité. A priori, les membres de l’entreprise pensent que ce
qu’ils font est bon puisque cela contribue à accroître la richesse
générale et qu’ils respectent les lois. Ils ont l’habitude de défendre des
dossiers techniques en termes techniques. Il a souvent tendance à
considérer ceux qui critiquent l’entreprise comme irrationnels, archaïques
ou motivés par une idéologie naïve.
L’entreprise a
souvent le culte du chiffre et de la performance. Elle fait confiance à
ses experts : l’idée qu’il faut prendre certains risques pour obtenir
globalement certains résultats lui est familière, comme une vision en
terme de balance des coûts et des avantages. Cela ne facilite pas toujours
le dialogue avec les victimes d’un accident ou d’une pollution ou avec des
gens pour qui il s’agit d’enjeux symboliques et pas de points de
croissance.
La peur du risque,
l’impatience, l’affolement sont souvent considérés comme des attitudes
méprisables
Bien entendu,
il ne faut pas caricaturer :
–
L’entreprise s’habitue à la communication de crise considérée comme une
discipline autonome ou au moins comme un secteur professionnalisé. Ainsi la
notion de crise (anticipation, évaluation, gestion…) tient une place
croissante en intelligence économique.
– Beaucoup
sont conscients que l’entreprise (“les
vrais maîtres du monde“) est de plus en plus exposée à la
contestation par le retrait du politique ou le scepticisme général sur ses
pouvoirs.
– La
mondialisation joue aussi sur les dangers, les conséquences des risques, les
responsabilités, la critique, l’alerte : tous peuvent instantanément se
propager d’un bout à l’autre de la planète.
– Le discours
sur l’entreprise “responsable”, “éthique” ou “citoyenne” ou sur la
gouvernance implique un effort sur la gestion et la communication de crise.
– Le nouveau
management considère l’activité de l’entreprise moins comme une “lutte
contre la rareté” (l’entreprise étant une sorte de boîte noire qui avec des
ressources financières et humaines produit des biens et services pour un
marché) que comme un entité en interrelation avec des “parties prenante”,
tous ceux, des actionnaires ou fournisseurs jusqu’aux ONG, médias,
associations de riverains ou de consommateurs, etc. qui peuvent subir les
contrecoups heureux ou malheureux de l’activité de l’entreprise.
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