Je
reprends du service comme tout le monde après des vacances largement
méritées.
Sachant que c’est ramadhan, et que pour commencer ma saison de chroniques
l’année dernière, je vous avais servie un café amer, édulcoré, bradé,
corrompant, amoureux, amical.
Je me suis dis que par cette fin de saison estivale, passer une journée dans
la peau d’une boisson gazeuse serait assurément tout autant palpitant.
Du nord au sud du pays, on boit beaucoup de sodas.
On en boit vraiment beaucoup, partout, tout le temps et à toutes les
occasions. Cette boisson accompagne désormais les vacances, les ruptures de
jeûne, les soirées branchées de Hammamet, les mariages traditionnels, les
réceptions officielles. Même les repas des enfants à la cantine, où les
sodas sont servis en dessert !
L’art, la manière de les servir et le prix se définissent en fonction de
l’occasion, du lieu et des circonstances : glacé dans les quelques palaces
avec glaçons et zestes de citron, en canette chic en bord de piscine, à la
paille dans les réunions d’enfants et directe au goulot chez l’épicier ou «keftaggi»
du quartier.
Les sodas sont plus que jamais gratuits dans les hôtels «all inclusive», sur
facturés dans les salons de thé climatisés, et trônent en invités d’honneur
sur quasiment toutes les tables de ramadhan remplaçant étrangement la
fameuse citronnade de nos grands-mères.
Dans les cocas, certains ont dilués des substances dont il ne convient de
parler en ce mois saint, l’enveloppant par des serviettes en papiers. La
mode chez la nouvelle génération est au jus d’orange et autres
boissons-énergétiques. Ils sont d’ailleurs vendus dans les rayons boissons
gazeuses dans les épiceries et hypermarchés.
Je sais que nous sommes en plein ramadhan. Ce n’est pas particulièrement
malin de parler de boissons à l’heure où nous avons tous particulièrement
soif, mais le souvenir de l’été est encore très frais. Les sodas, été ou pas
été, ramadhan ou pas ramadhan, ils sont tout le temps super stars !
Il y a à peine quelques jours, l’été battait encore son plein et les
canettes de sodas durant les soirées endiablées devant les mégas Dj venus du
monde entier, étaient présentes à l’appel.
J’ai, durant mon aventure, découvert que s’arracher la meilleure table dans
certains lieux à la mode est l’un des sports préférés d’une jeunesse dorée.
D’ailleurs, de vous à moi, la vie dans la peau d’un soda m’a vraiment
épuisée !
Pour les besoins de ma chronique, j’ai
traîné dans certains endroits
branchés non loin de la capitale. Etre traitée en superstar m’a vraiment
fait tourner la tête et perdre toute mesure.
Me sentant plus dans la peau d’une VIP que d’un modeste soda, j’ai découvert
qu’être hyper important peut être une nécessité absolue pour certains.
C’est me dit-on un des sports préférés des Tunisiens : Ils sont tous
importants, super introduits, cousins, frangins ou proches parents à
quelqu’un d’important. A un point tel, que les videurs, n’ont plus grand
monde à vider aux portes des discothèques enfumées.
En gros, l’acrobatie se résume à «on ne sait jamais à quel soda il est lié,
celui là !».
Ce besoin de se donner de l’importance a donné de la marge aux
professionnels de l’événementiel de nuit. Ayant compris la psychologie des
tunisiens, ils ont décidés de quasiment tout «Vipiser» (prononcez en
anglais). Le business de l’été dure à peine 5 semaines. Faire le plein pour
affronter les soirs d’hivers et de grisaille est vital. Pour les uns et les
autres, il faut compter avec les jours où l’on boit de l’eau du robinet, car
on est surendetté ou que l’on a trop dépensé !
Même durant les mariages et autres fêtes traditionnelles, il y a des Vip,
des un peu moins Vip, des beaucoup plus Vip.
Avec cette histoire de sodas, je ne pensais pas autant découvrir «ma vraie
valeur» soda-ique (mot de mon invention) aux yeux de ceux qui m’invitent.
Afin de faire plaisir, être aimable, me féliciter du bonheur des autres,
congratuler la famille, le patron, les collègues de bureau et même mon pire
ennemi, histoire de ne le conforter dans sa position de grand seigneur qui
fait semblant de passer l’éponge, il m’est arrivé d’ingurgiter des dizaines
de boissons gazeuses par soirée.
Dans le monde mouvementé de mes boissons supposées désaltérantes, je me suis
rendue compte qu’il y avait, durant ces cérémonies, des sodas servis à la
va- vite, chauds, ouverts depuis longtemps au point de perdre leurs bulles.
Par opposition aux sodas frais à peine décapsulés, servis avec glaçons et
entièrement désaltérants.
La catégorisation des invités passe inéluctablement par l’une des deux
catégories mais pas seulement. Vérifiez à la première occasion si l’on vous
sert votre boisson dans un verre propre ou à peine rincé ? Rappelez-vous,
votre dernier Fanta n’avait pas étrangement un goût de Boga cidre ?
De crainte de ne m’habituer aux mondanités, je reviens à ma vie de sodas
dans les caddies des ménagères, j’ai longuement étouffé dans les glacières
en bord de mer, je continue de suer dans les bains maures, et je passe des
heures à écouter les lamentations des fins de mois difficiles dans les
couffins.