Crise financière : quelles conséquences pour les pays africains ?

Par : Tallel

Par Germain Lambert Matoko

crise1.jpgTout se passe comme si la
crise financière actuelle n’était que la préoccupation des pays
industrialisés et des pays émergents. Et, pourtant rien ne semble indiquer
que les pays africains seront à l’abri des effets dévastateurs de cette
crise que certains n’hésitent pas à qualifier de crise la plus grave après
celle des années 30.

Avec le plan de sauvetage présenté par Henry Paulson et Ben Bernanke, on
était tenté de penser que la crise était derrière nous dès lors que les
places financières mondiales ont réagi positivement  le lendemain après
l’annonce du dimanche 21 septembre 2008 par les autorités monétaires. Très
vite, cette euphorie boursière est retombée parce que des zones d’ombre de
ce plan persistent au point où les marchés financiers indiquent, en retour,
une défiance vis-à-vis d’un tel plan. En substance, le problème fondamental
qui se pose au capitalisme financier n’est certainement pas celui d’une
simple défaillance des marchés financiers qui ne comporterait pas une
éthique. Bien plus, c’est la césure entre la sphère de production de
richesses et la sphère financière.
 
Le mode de gouvernance privilégié depuis le début des années 80, notamment
celui privilégiant la valeur actionnariale, s’est emballé au point d’opérer
un décrochage entre le réel et la finance. L’extension d’un tel mode de
gouvernance des entreprises à l’ensemble de l’économie mondiale n’a pu que
susciter une course effrénée à la recherche du profit. Dans cette
perspective, pour reprendre cette expression du Léviathan de la guerre de
tous contre tous, ne peuvent survivre dans « l’état de nature financier que
les entreprises qui sont à même d’avoir une puissance financière, autrement
dit, celles dont la capitalisation boursière est la plus forte possible afin
de dissuader les éventuels prédateurs. C’est à la lumière du côté sombre des
marchés financiers selon l’expression de David A. Hirshleifer (The dark side
of the force) (1) 
que nous allons
réfléchir sur les conséquences de la crise financière actuelle sur les
économies africaines.

On serait tenté d’analyser les répercussions de la crise en partant du
constat que les marchés monétaires souffrent d’une insuffisance de
liquidités actuellement. C’est sous cet angle qu’il conviendrait d’aborder
l’analyse. Cette  façon de faire n’est pas satisfaisante pour deux raisons :
la première tient au fait que les grandes banques centrales injectent
suffisamment de liquidités sans qu’elles ne parviennent à apaiser les
marchés ; et, la deuxième consiste à dire que le décrochage du réel au
financier ne peut être surmonté qu’en envisageant la possibilité de
respecter cette adéquation entre le réel et le financier, c’est-à-dire en
revenant à l’idée-force que le capitalisme ne peut sortir de ses affres
qu’en mettant à nouveau l’accent sur la création des richesses et non en
misant sur un développement outrancier de la finance sans être adossé
durablement à la création des richesses.

Telle est la leçon historique qui se dégage du fonctionnement du capitalisme
lorsque celui-ci connaît de graves crises. Pour ces deux raisons, il est
possible d’apporter un éclairage sur les conséquences probables de la crise
financière sur les économies africaines dont il convient de distinguer d’une
part les pays pourvus de matières premières, et d’autre part, ceux qui n’en
sont  pas pourvus. Ce clivage entre économies africaines nous permettra de
mieux comprendre pourquoi certaines économies africaines peuvent tirer des
avantages de cette crise ; a contrario pourquoi d’autres paieront au prix
fort les effets de la crise financière. Une telle analyse exige que l’on se
penche auparavant sur la sortie de crise.

I. La sortie de la crise

Le plan de sauvetage de 700 milliards en faveur des institutions bancaires
devrait redonner confiance aux marchés financiers et permettre aussi aux
institutions financières de redémarrer leur activité dès lors qu’elles
auront été délestées de leurs «créances toxiques»
(2)  qui seraient prises en charge par une structure de défaisance (de
cantonnement). Si pour l’administration Bush, ce plan est celui de la
dernière chance qui éviterait aux Etats-Unis la pire des situations
économiques, il n’en demeure pas moins qu’il n’aura aucun impact
véritablement significatif car le problème fondamental se situe ailleurs. Où
est donc le problème ?

La
globalisation financière se traduisant par la désintermédiation, la
déréglementation et  le décloisonnement des marchés financiers a permis
l’essor des produits dérivés et de la titrisation. Ces produits financiers
ont eu un succès considérable au niveau des marchés financiers en raison de
leur rendement élevé sans oublier en même temps leur risque élevé. Dans le
cas des Etats-Unis, le phénomène de titrisation a été adossé à des prêts
hypothécaires risqués. Ce phénomène a eu pour effet  la duplication des
actifs financiers sans que ceux-ci ne correspondent pour autant à une
contrepartie réelle, autrement dit  l’activisme financier n’a pas donné lieu
à une création de richesses équivalentes. Par conséquent, la titrisation
accélérée a plus nourri la spéculation qui est devenue le moyen sûr de
réaliser des gains énormes sans donner lieu à la création de richesses.

Face à un tel développement de la finance de marché qui s’est autonomisée
par rapport à la sphère réelle, la conséquence d’une telle autonomie ne peut
être que l’éclatement d’une crise financière grave. Certes en raison de la
défiance au niveau des marchés financiers, il est normal que les marchés
monétaires à leur tour soient gagnés par la panique au point où les banques
n’alimentent plus convenablement les marchés. Ce comportement des banques a
eu pour conséquence l’assèchement de liquidités, privant ainsi les banques
de trésorerie, les empêchant de poursuivre leur activité de prêt.

Le diagnostic des autorités monétaires américaines a consisté à mettre en
avant l’insuffisance de liquidités, d’où le plan de sauvetage avec la
préoccupation centrale d’injecter de la monnaie en contrepartie des créances
toxiques que les institutions financières céderaient à la structure de
défaisance. Ce plan pourra soulager le système financier américain à court
terme sans qu’il ne parvienne à résoudre la contrainte financière qui
vérifie s’il y a correspondance entre le réel et le financier. L’économie
américaine ne pourra redémarrer qu’en créant de la richesse (la logique
productive et non la logique spéculative). Pour cette raison, le moyen
d’expurger cette économie passe par la récession. C’est de cette manière que
le capitalisme a toujours réussi à renaître de ses cendres à la manière d’un
phœnix.

En raison de l’interdépendance entre l’économie américaine et celles de la
zone euro, la récession va affecter durablement les économies européennes.
Cela ne signifie pas que les pays émergents ne souffriraient pas de la
récession. Dans la mesure où ces pays connaissent des taux de croissance
élevés, ils sont à même de tirer la croissance économique mondiale, et de
consolider leur position de nouveaux apporteurs de liquidités dans
l’économie mondiale.

Au cours des dernières années les pays émergents ont accumulé suffisamment
de devises provenant soit des recettes pétrolières, soit de leurs
exportations. Leur excédent d’épargne leur a permis de créer de fonds
souverains, véritables apporteurs de capitaux et de liquidités dans
l’économie mondiale. En devenant les nouveaux investisseurs de long terme
dans l’économie mondiale, ils entendent imposer des rapports politiques avec
les économies occidentales.

Ces rapports politiques visent non seulement à exercer une tutelle
financière sur ces économies développées en étant leurs créanciers nets 
mais aussi de contrôler dans une certaine mesure les firmes desdits pays car
possédant des technologies de pointe indispensables aux pays émergents.

C’est dans la perspective de contrôle des économies en développement, en
particulier les pays africains au sud du Sahara qu’il convient d’analyser
les conséquences de la crise financière sur les pays africains.

II. Conséquences de la crise
financière pour les pays africains

Il a été montré précédemment que la crise financière a pour conséquence
l’assèchement de liquidités sur les marchés monétaires alors que les pays
émergents continuaient à accumuler des excédents d’épargne provenant de
leurs exportations. En même temps, cette crise révèle de manière cruciale
qu’un transfert de richesses continue à s’opérer en défaveur des économies
américaine et européennes. C’est dans ce contexte économique et financier
que les pays émergents entendent jouer pleinement leur rôle de pourvoyeur de
capitaux et de liquidité à l’échelle mondiale. Ils cherchent également à
contrôler les ressources minières et pétrolières et financer également les
déficits publics des pays  africains.

Pour les pays africains, les conséquences de la crise financière peuvent
s’analyser à plusieurs niveaux à partir du clivage qu’on a retenu
précédemment.

1. Renforcement du comportement
rentier des pays exportateurs de produits de base


La crise financière risque de renforcer le comportement rentier de certains
États exportateurs de produits de base ; elle pourrait les inciter à
différer la mise en œuvre de politiques de diversification de leur économie
en raison des gains considérables générés par l’envolée des prix des
produits de base dont ils sont producteurs.

Au
cours des années 90, de nombreux pays ont amorcé la libéralisation sensible
de leur commerce dans le cadre des cycles des négociations commerciales
multilatérales d’Uruguay et du programme de Doha. En dépit de ces efforts,
le volume et la composition des exportations de l’Afrique n’ont pas
radicalement changé. L’Afrique a même perdu des parts de marché à
l’exportation. En 1980, part de l’Afrique dans les exportations mondiales
était de 6 % ; en 2007 elle n’était plus que de 80 contre 3 %. En
conséquence, la forte augmentation des recettes d’exportation que les pays
africains ont enregistrée depuis bientôt une décennie n’a pas permis au
continent de regagner les parts de marché perdues. Comme le souligne la
CNUCED, « de nombreux pays africains
tirent des gains considérables de l’envolée actuelle des prix des produits
de base. Pour la première fois depuis trente ans, plusieurs pays ont la
possibilité d’accumuler des ressources financières qui, si elles étaient
utilisées de manière prudente, pourraient leur permettre de mettre en place
un secteur productif vigoureux et diversifié qui tire mieux parti des
possibilités d’exportation
»
(3). 
L’envolée actuelle des prix de produits de base ne met pas les pays
exportateurs à l’abri de nouvelles crises. L’histoire récente montre que «chaque
pays d’Afrique subsaharienne absorbe une ou deux fois par décennie un choc
majeur tel que l’effondrement de son économie ou de ses structures
politiques, dû à un conflit, une famine, la désintégration de la vie
politique et de la société ou des facteurs exogènes
». (Honohan
et Beck, 2007) (4)

2. Réduction de l’aide publique au
développement


La crise financière va se traduire inéluctablement par la diminution de
l’aide fournie par les donateurs, aussi bien bilatéraux que multilatéraux.
Le secteur agricole sera le premier touché par cette réduction. Dans le
cadre de la réalisation de l’objectif n°1 des OMD (objectif stratégique pour
la réduction de la pauvreté et la promotion d’une croissance favorables aux
pauvres), les institutions internationales entendaient consacrer un effort
accru et soutenu en faveur de l’agriculture,
(5) secteur
qui emploie environ 65 % de la population active du continent (Banque
mondiale, 2007). L’agriculture n’arrive pas à financer son propre
développement parce qu’elle ne dégage pas un excédent net conséquent ; elle
attire peu d’investissement d’où une faible productivité. L’augmentation de
la productivité et de la production implique nécessairement l’apport de
ressources extérieures. En vingt-cinq ans, de 1980 à 2004, les ressources
totales (APD et ressources publiques domestiques) consacrées à l’agriculture
sont passées environ de 8 milliards de dollars américains à 3,4 milliards de
dollars. Quand à l’APD, elle est passée de 3,2 milliards de dollars en 1988
à 1,2 milliard en 2004. Cette tendance lourde est constatée également en
valeur relative. En effet la part de l’APD allouée à l’agriculture a connu
une chute spectaculaire, passant de 16,9% à 3,5% sur la période 1980-2004.
(Banque mondiale ; CNUCED ; ACP).

En dernière analyse, la crise financière mondiale va aggraver la crise
alimentaire, ce qui réduirait à néant le plan ambitieux (les OMD) adopté par
191 pays lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2000 à
New York. La finalité de ce plan était l’établissement d’un monde meilleur,
plus juste, un monde où tous les enfants pourraient aller à l’école
apprendre à lire et à écrire, où les femmes et les hommes ne souffriraient
plus de la faim et pourraient se soigner, où mettre un enfant au monde se
ferait sans risque. Par ailleurs les programmes de lutte contre le VIH/SIDA,
le paludisme, la tuberculose, l’analphabétisme, etc., seront également
touchés par le reflux de l’aide extérieure.

3. Conséquences spécifiques pour
les pays exportateurs de matières premières


3.1. Investissements directs étrangers ciblés

L’attraction des investissements étrangers originaires des pays émergents
vers les pays exportateurs de matières premières va s’accélérer. Cependant
ceux-ci vont continuer de se diriger vers les secteurs exploitant les
ressources naturelles indispensables à leur industrie et au relèvement du
niveau de vie de leur population. Dans les pays africains, l’exploitation
des ressources naturelles fonctionne sur le modèle des enclaves, sans lien
structurel avec les autres secteurs. Ses relations avec le reste de
l’économie passent par le budget de l’État. Celui-ci joue alors le rôle de
redistributeur à travers les dépenses publiques.

L’accroissement de l’IDE va avoir pour conséquence d’accentuer encore plus
le caractère volatile de la croissance économique des pays exportateurs de
matières premières, l’asymétrie de leur structure économique et la
dégradation de leur environnement. Ces pays vont ainsi s’éloigner des
préoccupations actuelles de la communauté internationale quant au
développement durable et aux effets du changement climatique consécutif au
réchauffement de la planète. Plusieurs rapports du Groupe International
d’Étude sur le Climat (GIEC) montrent que l’impact sera redoutable pour les
pays d’Afrique subsaharienne en raison de la conjugaison de plusieurs
facteurs et série de phénomènes: l’évolution démographique, la faiblesse des
politiques, l’urbanisation, etc.

En outre, des crédits de long terme seront accordés à ces pays en
contrepartie des ressources minières gagées comme on le voit avec les
producteurs de pétrole.

3.2. Risques de nouvel endettement

Bien que le taux d’intérêt assorti à ces prêts soit faible, ce nouvel
endettement pourra ruiner à terme les efforts d’annulation de la dette dont
ces pays ont pu bénéficier de la part des pays membres de l’OCDE depuis une
dizaine d’années. Ces crédits ne sont pas gérés dans la transparence alors
que celle-ci constitue sans conteste l’aspect le plus important de la bonne
gouvernance et de la lutte contre la pauvreté.

3.3. Amplification de la corruption

Il n’est donc pas exagéré de dire que les pratiques opaques qui vont
entourer ce type de prêts auront pour effet d’amplifier la corruption dans
ces pays. Le contrôle des pays miniers se fera donc au moyen des
investissements directs et au moyen de la corruption des dirigeants
politiques. Comme les termes de ces contrats de prêts ne sont pas connus, il
est concevable que des clauses sur l’achat des armes expliquent le caractère
confidentiel de ce type de prêts. N’est-ce pas là le moyen sûr de relancer
les guerres civiles dans ces pays car l’un des facteurs déclenchant de cette
violence politique est sans conteste la richesse minière de ces pays.

II. Conséquences spécifiques pour
les pays non exportateurs de matières premières

Ces pays vont également bénéficier de crédits qui vont être accordés par les
pays émergents. En contrepartie, les marchés publics seront réservés aux
pays émergents via les sociétés des dits pays. Là aussi, c’est une nouvelle
forme d’endettement qui va se poursuivre de manière plus intense, au point
de ruiner les efforts consentis à ces pays en vue d’alléger leur fardeau de
la dette.

Conclusion

On peut donc affirmer de manière péremptoire que la crise financière, tout
en consacrant la dépossession des richesses des économies occidentales au
moyen des prix élevés de matières premières et d’un affaiblissement de leurs
exportations, va valider une modification du rapport de force qui entraînera
de nouveaux rapports politiques au profit de pays émergents (Chine, Corée,
Inde, Russie, Brésil) et un retour vers le multilatéralisme que les
Etats-Unis avaient jeté aux orties après les attentats du 11 septembre 2008.
En effet, compte tenu de l’imbrication actuelle des économies nationales,
les interventions massives de nombreux pays (notamment du G8 et les pays
émergents) est nécessaire pour éviter un effondrement planétaire. De même
l’assèchement des capitaux va amener les pays riches à être plus exigeants
envers les récipiendaires de l’Aide publique au développement dans
l’utilisation des dons au bénéfice de la lutte contre la pauvreté.

Les pays africains ne peuvent donc échapper à ce paradigme qui se traduira
par le contrôle exercé par les nouveaux maîtres de la «Global Economy». Ces
rapports seront ceux du Maître à l’esclave, telle est la ruse de l’Histoire
des relations monétaires et financières internationales ou encore celui de
la solidarité du cheval et du cavalier pour reprendre l’expression du Pr
Joseph Ki-Zerbo.

 

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Notes 

* Germain
Lambert Matoko

Docteur en Économie,
Centre d’études
stratégiques du bassin du Congo
Enseignant au CNAM

(1)
HIRSHLEISER, J., (1994), « The dark side of the force », in Economic
Inquiry, volume XXXII, pp. 1-10.

(2) Actifs non liquides
dans les bilans des banques, qui sont la source profonde des tensions
actuelles des institutions financières et des marchés financiers. En fait,
les banques sont paralysées par des actifs invendables, car souvent adossés
à des créances immobilières à risque (les subprimes). L’objectif serait de
nettoyer les bilans des banques, en cantonnant leurs actifs à risques dans
une structure nouvelle, parfois considérée comme une «bad bank». C’est en
fait une prise en charge publique des créances toxiques ou douteuses des
banques qui est prévue.

(3) CNUCED, (2008), Le développement
économique en Afrique en 2008. Résultats à l’exportation après la
libéralisation du commerce : quelques tendances et perspectives, Genève,
Nations Unies, p. 2.

(4)
Honohan Patrick et Beck Thorsten, (2007), Making Finance Work for Africa,
The World Bank, Washington DC, 260 pages.

(5) Banque
Mondiale, « La Banque mondiale appelle à un renouveau agricole pour réduire
la pauvreté rurale dans les économies en mutation », Rapport sur le
développement dans le monde 2008.

 

(Source :
http://www.mwinda.org)