Le monde traverse une crise financière grave.
Des géants de la finance sont tombés et d’autres menacent de
s’effondrer. Aucun programme, aucune mesure ne semble rétablir une confiance qui
s’est évaporée. L’ensemble des mécanismes du marché financier se sont tout
simplement arrêtés de fonctionner. L’argent ne circule plus et quand l’argent ne
circule pas, c’est l’économie réelle (l’économie de la production, du commerce
et de la consommation) qui est négativement affectée. La récession économique
est déjà une réalité dans plusieurs pays importants de la planète. La récession
menace à son tour de se transformer en dépression.
Quelles sont les origines de cette crise ?
Pour retrouver les origines de cette crise il faut remonter à l’époque de
l’administration de Monsieur Ronald Reagan (ancien président ultra libéral des
Etats-Unis) il y a une trentaine d’années. A la même époque la Grande Bretagne
était dirigée par Madame Margaret Thatcher. Les deux dirigeants prônaient
l’ultra libéralisme et considéraient que la prospérité des économies passait par
la déréglementation. Privatiser à outrance, supprimer toute entrave à la
circulation des capitaux, ainsi que des autres facteurs de production était
considéré comme la potion magique pour favoriser la croissance. Les deux
dirigeants (et leur administration) considéraient en effet que les marchés
pouvaient ainsi fonctionner avec l’efficience nécessaire. En plus les marchés
étaient supposés capables de corriger par eux-mêmes les déséquilibres qui
pouvaient apparaître. De ce fait l’Etat devait s’abstenir de toute forme
d’intervention et même les contrôles devaient disparaître quand ils n’étaient
pas considérés comme absolument nécessaires.
Tout ceci veut dire en fait qu’un nouveau type de capitalisme était en train
de naître. Certains le qualifient de capitalisme sauvage, d’autres préfèrent
l’appeler super capitalisme. En fait il s’agit d’un capitalisme non doté
d’outils le protégeant contre ses propres excès.
L’excès généré l’excès. L’ultra libéralisme a généré des déséquilibres graves
et des dysfonctionnements qui menacent aujourd’hui l’économie mondiale.
Toute crise majeure commence par se manifester dans un secteur donné qui joue
en quelque sorte le rôle de détonateur. La grande dépression de 1929 a été
déclenchée par l’effondrement du marché de la soie. La grande crise financière
de 2008 a commencé à se manifester dans le secteur de l’immobilier (et surtout
les logements) aux Etats-Unis . Il est intéressant de noter à ce propos que
cette crise a changé plusieurs fois de nom en peu de temps. On l’a appelé au
début (fin 2007, début 2008) la crise des « sub-primes ». Elle a très vite
évolué vers la « crise de l’immobilier » pour devenir quelques mois après la «
crise financière ». Depuis quelques semaines certains l’appellent «la grande
Crise financière», d’autres l’appellent déjà «l’ouragan financier» ou encore la
«crise du siècle». Tout ceci exprime une seule chose : la crise s’aggrave à une
vitesse vertigineuse.
C’est quoi les « sub-primes » ?
La déréglementation excessive a généré une bulle immobilière doublée d’une
bulle de risques financiers. C’est précisément l’éclatement de ces bulles qui a
fait trembler l’ensemble des places financières dans le monde.
Pour relancer l’économie américaine qui souffrait d’un ralentissement de la
croissance économique la « Federal Reserve » (Banque Centrale des Etats-Unis)
avait engagé depuis quelques années un processus de réduction des taux d’intérêt
jusqu’à ramener le taux de référence (ou taux du marché monétaire interbancaire)
à 1% par an. Devant une telle situation (coût du crédit très bas) et compte tenu
de la liberté d’action excessive ( déréglementation ) offerte au système
financier, certaines banques et autres institutions financières avaient engagé
de vastes programmes de financement des acquisitions de logements par les
ménages américains. Ces programmes avaient permis de financer l’acquisition
d’environ 42 millions de logements. Même si l’on retient une moyenne de
seulement 200.000 dollars de financement par acquisition le total atteindrait
8.400.000.000.000 de dollars soit 8.400 milliards de dollars ou environ 11
millions de milliards de nos millimes.
Les principales caractéristiques de ces financements étaient les suivantes :
– ces financements étaient mis en place à taux d’intérêt variable (taux de
référence + marge de la banque). Ainsi dés que le taux de référence était passé
de 1% à plus de 5%, la charge financière en intérêts pour les ménages qui
avaient emprunté était devenue insupportable et les échéances impayées avaient
commencé à s’accumuler ;
– une partie importante de ces financements étaient accordés avec peu
d’autofinancement et souvent sans autofinancement. Ceci engendrait un service de
la dette (principal + intérêts) difficile à supporter par les ménages ;
– le profil de l’essentiel des emprunteurs était considéré « sub prime », ce
qui veut dire en dessous du profil de risque requis, ce qui en termes simples
veut dire que les banques s’avaient dés le début que les emprunteurs n’étaient
pas capables de rembourser ;
– la seule garantie prise en couverture des prêts accordés était une
hypothèque sur le logement objet du financement. Sous la pression de la demande
ces logements étaient surévalués (début de la bulle immobilière).
Pourquoi ces banques avaient elles prêté de manière aussi irresponsable?
Les réglementations en place (ou plutôt la déréglementation) le permettaient.
En effet les banques ne s’arrêtaient pas au niveau du financement. Elles
«confortaient» une partie des dossiers de financement par une assurance contre
le risque de défaillance de l’emprunteur souscrite auprès des grandes compagnies
d’assurance américaines (exemple AIG) qui à leur tour partageaient ce risque
(par le mécanisme de la réassurance) avec d’autres compagnies d’assurance dans
d’autres pays (et notamment en Europe et au Japon). Les financements (avec ou
sans assurance) étaient réunis dans des portefeuilles sur la base desquels ces
mêmes banques émettaient des obligations à haut rendement qui étaient vendues à
des banques et des institutions financières aux Etats-Unis, en Europe, au Japon
et sur d’autres marchés. Ce processus appelé communément « titrisation » ou en
anglais «securitisation» a permis aux banques qui ont monté les dossiers de
financement des logements (sub-prime) de réaliser deux objectifs essentiels
– la vente des obligations est en fait un processus de refinancement
permettant à ces banques de récupérer les ressources (la liquidité) engagées
dans les opérations de financement de l’immobilier. La différence entre le taux
d’intérêt payé par le client emprunteur et le coût du refinancement (rendement
proposé pour les obligations) était purement et simplement engrangée par ces
banques qui ont mis en place les financements de l’immobilier ;
– la vente des obligations permettait aussi (et surtout) à ces banques de se
débarrasser du risque de non remboursement du credit par l’emprunteur. Les
obligations étaient en effet cédées aux autres banques et institutions
financières avec le risque sous jacent, c’est-à-dire le risque de non
remboursement du crédit par l’emprunteur. En somme ces banques montaient des
financements sans avoir à en assumer ni le risque, ni la liquidité mais en
gagnant le différentiel de taux d’intérêts et les commissions. Ceci a engendré
des comportements irresponsables de la part de ces banques en prêtant à des
clients qui dés le début n’étaient pas en mesure de rembourser (sub-prime) et en
poussant ces clients à s’endetter bien au delà de leur capacité d’endettement.
C’est notamment dans ce domaine là que le vide réglementaire (né de la
déréglementation) a produit ses effets les plus néfastes.
L’excès engendre l’excès. La mauvaise qualité des crédits et l’augmentation
des taux d’intérêts ont rapidement commencé à engendrer une accumulation
significative d’impayés. Et comme le risque était supporté par les compagnies
d’assurance et les institutions financières (banques et autres) qui ont acheté
les obligations (nées du processus de titrisation) la contagion se faisait à une
vitesse vertigieuse et un problème de liquidité du système financier commençait
à pointer.
Un problème de liquidité
La défaillance des emprunteurs qui ont bénéficié des crédits immobiliers a
entrainé une vague de vente des logements prix en garantie. Une situation
d’excès d’offre de logements (par rapport à la demande déprimée) a entrainé une
baisse, puis un effondrement des prix de l’immobilier aux Etats-Unis. La valeur
des garanties prises en couverture des crédits accordés s’est à son tour
effondrée. Les banques n’accordaient plus de crédits immobiliers nouveaux, ce
qui aggravait la situation d’illiquidité des banques et la spirale
d’effondrement total de l’immobilier et des financements de l’immobilier s’était
mise à fonctionner.
Les banques avaient donc besoin de liquidités qui n’arrivaient pas (du fait
de la défaillance des bénéficiaires des crédits immobiliers) et voulaient
accéder par le mécanisme du marché monétaire aux liquidités des autres banques.
Pour ne pas montrer leur niveau réel d’exposition au risque des « sub-primes »
et se voir refuser les prêts (à court terme) sur le marché monétaire certaines
banques ont simplement menti et déclaré des niveaux d’exposition largement sous
estimés.
Pour certaines banques la situation d’illiquidité était devenue intenable et
elles n’étaient plus en mesure d’honorer leurs engagements. La première à
atteindre ce niveau était la grande banque d’investissement américaine Bear
Sterns qui a été vite rachetée (pour un montant dérisoire) par une autre banque
d’investissement américaine (Morgan Stanley). Le pire était donc évité, mais
pour quelques semaines seulement. Très vite un autre géant de la finance
britannique spécialisé dans le financement de l’immobilier (Northern Rock)
n’était plus en mesure d’honorer ses engagements. Il a été nationalisé, action
qui va totalement à l’encontre de l’ultra libéralisme et qui a démontré de
manière retentissante, que le marché était capable de dérailler et de générer
des déséquilibres graves sans être en mesure de les corriger lui-même. Une crise
grave de confiance s’installe au point où le marché monétaire (marché
interbancaire) a cessé de fonctionner car les banques ne se faisaient plus
confiance. Le mécanisme de marché a cessé de fonctionner et la circulation de
l’argent est très sérieusement entravée. L’activité de crédit s’est complètement
arrêtée chez certaines banques et fonctionnait au ralenti chez d’autres.
Maintenant on parle d’un « credit crunch » ou d’un resserrement du crédit. C’est
ainsi que la crise financière se transforme en crise économique et par la suite
en dépression.
Les Etats et les Banques Centrales interviennent
Un autre géant de la finance américaine, Lehman Brothers, a été rapidement
pris en tenaille entre l’absence de liquidité et l’effondrement de la qualité de
son portefeuille d’actifs financiers. Il fallait vite trouver une solution.
L’administration de Monsieur George W. Bush a préféré cette fois-ci rester
fidèle à sa politique ultra libérale et « laisser tomber » Lehman Brothers. La
première grande banque à tomber en faillite était donc Lehman Brothers. Et comme
le marché financier est composé de banques interconnectées, liées les unes aux
autres par les différents mécanismes du marché financier, la faillite de Lehman
Brothers n’était pas sans conséquences (graves) sur les autres banques et
institutions financières. La crise était ainsi passée à un niveau supérieur,
elle était devenue une crise systémique, une crise de système (bancaire et
financier).
Merril Lynch, une banque géante, se retrouve dans la même situation que
Lehman Brothers. Elle disparaît subitement en se faisant acheter (pour 50
milliards de dollars) par une autre banque américaine (bank of America).
La crise va en s’aggravant et à la perte de confiance s’ajoute une peur non
dissimulée de voir le système financier mondial s’effondrer et l’économie
mondiale s’engager dans un processus infernal de dépression. La peur et
l’irrationnel s’emparent du système bancaire et financier international.
Qu’ en est – il des bourses ?
Les principales bourses subissent de plein fouet la crise et deviennent le
principal reflet de la perte de confiance et de l’ampleur de la crise. La bourse
de Paris a perdu plus de 20% en une semaine et plus de 54% depuis le début de la
crise. La bourse de New York a changé d’orientation ( baisse, hausse, baisse
etc.) 21 fois en une seule journée, ce qui montre un très haut degré
d’incertitude et de volatilité. Les banques, les institutions financières et les
investisseurs en général ayant un besoin de liquidités se sont trouvés obligés
de céder leurs actifs financiers ( actions, obligations, etc.) en bourse. Ceci a
crée une situation d’offre excédentaire de titres avec des baisses effrayantes
de cours. En outre les investisseurs, considérant la fragilité des banques, ont
perdu toute confiance dans les actions bancaires et se sont mis à les brader.
Des fortunes se sont donc volatilisées en si peu de temps aggravant la situation
de panique généralisée engendrant elle-même ses facteurs aggravants.
Tout ceci a obligé l’administration américaine a laisser de côté ses
principes de non interventionnisme et à sauver AIG (American International
Groupe) ce géant mondial de l’assurance en y injectant 86 milliards de dollars
et à sauver Fannie Mae et Freddi Mac, les deux plus grandes institutions
financières spécialisées dans le financement de l’immobilier. Il s’agit là en
fait de nationalisations à peine déguisées. Mais les marchés financiers avaient
atteint un niveau de panique tel que ces mesures semblaient ne produire aucun
effet rassurant. L’administration américaine décide de passer à un niveau
d’intervention supérieur : racheter aux banques en difficultés leurs actifs
financiers (crédits impayés) dits toxiques, acheter des actions bancaires et
devenir par conséquent actionnaires des banques, prêter des liquidités aux
banques. Ainsi un plan de sauvetage de 700 milliards de dollars a été voté in
extremis par le congrés américain, toujours sans impact, les bourses
continuaient à dégringoler.
Des signes de dépression économique
Une telle situation du système financier international entrave la création de
monnaie par les banques (du fait du ralentissement de l’activité de crédit) et
réduit sérieusement la circulation de l’argent dans l’économie. Ceci entraîne un
étouffement généralisé de l’économie réelle (production, commerce et
consommation).
L’économie américaine, l’économie japonaise ainsi que la plupart des économies
européennes sont déjà en récession (deux trimestres consécutifs de croissance
négative). Les résultats annoncés par les grandes multinationales se détériorent
d’un trimestre à un autre. L’économie américaine à perdu plus de 800.000 emplois
entre janvier et septembre 2008. Les prix des matières premières de base
(pétrole, céréales, acier,etc.) connaissent une volatilité sans précédent qui ne
peut s’expliquer que par un mélange de spéculation excessive et d’incertitude en
ce qui concerne l’avenir de la croissance économique.
Empêcher la crise de devenir une grande dépression
C’est en effet ce que s’efforcent de faire les 4 (pays européens), les G7 et
les G20. La réponse donnée par le marché financier aux mesures prises jusque là
est « trop peu trop tard » et les Etats semblent avoir bien perçu le message.
L’heure est donc à la concertation et à la combinaison de différents types de
mesures avec l’espoir de rétablir la confiance des investisseurs, des banques et
des entreprises et avec l’espoir d’empêcher que cette crise ne se transforme en
grande dépression avec des conséquences économiques, sociales et politiques
simplement incalculables.
Il n’y a pas que des perdants
Dans une telle situation de crise il n’y a pas que des perdants. Une crise
majeure comme celle que nous traversons actuellement entraîne des déplacements
majeurs de fortunes. Les banques, les entreprises et les investisseurs qui ont
su rester liquides dans les conditions actuelles sont en train de faire
d’excellentes affaires et de profiter du bradage des actifs et d’une situation
de volatilité idéale pour les spéculateurs.
Des réformes profondes
Il semble clair aujourd’hui que cette crise a signé l’arrêt de mort du
capitalisme sauvage et de l’ultralibéralisme. La crise va enfanter des réformes
profondes qui vont donneur naissance à un nouvel ordre économique et financier
mondial qui doit favoriser l’entreprise créatrice de richesses et défavoriser la
spéculation financière peu productive.
Quel impact possible sur l’économie tunisienne
Une économie ouverte sur l’économie mondiale ne peut pas ne pas être
affectée, un tant soit peu, par la crise qui sévit dans le monde entier. En
effet seules les économies totalement fermées peuvent échapper à cette crise,
mais existe-t-il encore des économies fermées.
Il est évident que la non libéralisation du compte capital (ou en d’autres
termes la non convertibilité totale du Dinar) a servi de rempart ou de
protection (même relative) de l’économie tunisienne face à la crise. Ceci nous
permet de rappeler que la convertibilité totale du Dinar n’est pas un objectif
en soi et elle n’est certainement pas urgente. Elle doit être considérée comme
un outil de politique économique et financière qui sera actionné lorsqu’on aura
acquis la certitude de la compétitivité de nos entreprises et de la solidité de
notre système financier.
L’économie tunisienne peut en effet subir les effets négatifs de la crise
actuelle de quatre manières.
– la bourse de Tunis est connectée aux bourses étrangères du fait même de la
présence d’investisseurs étrangers. La bourse de Tunis a montré jusque là une
assez bonne capacité de résistance mais elle n’est pas déconnectée du reste du
monde ;
– les exportations tunisiennes risquent de connaître une certaine
décélération. Les principaux marchés récepteurs de nos produits sont en
récession ;
– le secteur du tourisme pourrait connaître une baisse au niveau des nuitées
et des recettes du fait de la réduction significative du pouvoir d’achat dans
les pays émetteurs de touristes vers la Tunisie ;
– les investissements directs étrangers pourraient connaître une certaine
décélération pendant une ou plusieurs années pour les mêmes raisons.
Il faut espérer que l’économie tunisienne continue à faire preuve d’une
grande capacité de résistance et d’adaptation.