Nervosité sans précédent des marchés face à une crise appelée à durer

[17/10/2008 21:01:01] WASHINGTON (AFP)

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La Bourse de New York , le 17 octobre 2008 (Photo : Chris Hondros)

Face à une crise économique qui s’amplifie et des fonds spéculatifs paniqués, les marchés financiers ont réagi en ordre dispersé vendredi, alors que plusieurs pays commencaient à manquer de capitaux et que se multiplaient les appels en faveur d’un nouveau “Bretton Woods”.

Après une séance en dents de scie, Wall Street a terminé en repli de 1,41%. La première Bourse mondiale a été incapable de tenir le rythme de son rebond de la veille, lorsqu’elle avait regagné 4,68%, regonflant les autres places mondiales.

Vendredi, l’Europe a presque unanimement terminé dans le vert, avec des rebonds de 5,22% à Londres, 3,43% à Francfort et 4,68% à Paris. L’Asie a été plus dispersée, avec des hausses à Tokyo (+2,78%) ou Shanghai (+1,08%), mais aussi des baisses importantes, à Hong Kong (-4,4%), Singapour (-3,73%) et Bombay (-5,73%), à son plus bas niveau depuis juin 2006.

Selon Eric Galiègue, directeur du cabinet d’analyse Valquant, les Bourses mondiales connaissent depuis plusieurs jours “des mouvements totalement fous, qui n’ont aucun équivalent historique”.

Et les +hedge funds+ (les fonds spéculatifs) sont au banc des accusés, avec leurs actifs évalués à 1.800 milliards de dollars. “Une partie de cette industrie est en train de mourir, peut-être la moitié”, insiste Eric Galiègue: “Et ils liquident leurs actifs en catastrophe, dans une peur animale”.

Loin d’être passagère, la récession provoquée dans les pays riches par la crise financière “durera plus d’un an, entre un an et un an et demi”, a affirmé vendredi le chef du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Kemal Dervis.

Et “le plus dur reste à venir”, ont renchéri les économistes de BNP Paribas à Paris.

Un pessimisme difficile à démentir devant la poursuite des accidents financiers.

En France, la Caisse d’Epargne a ainsi annoncé avoir subi une perte de 600 millions d’euros liée à une prise de risques par trois de ses courtiers dans la semaine du 6 octobre. “Les responsables doivent en tirer les conséquences”, a déclaré depuis Québec le président français, Nicolas Sarkozy.

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és boursiers, le 17 octobre 2008 à Tokyo (Photo : Toru Yamanaka)

L’avalanche de mauvais indices économiques s’est poursuivie, même si le président George W. Bush, parlant de “crise extraordinaire”, a affirmé que les mesures “extraordinaires” prises par son administration “vont marcher”.

Le marché américain du logement a poursuivi sa descente aux enfers avec des mises en chantier tombées en septembre à un plus bas depuis plus de 17 ans. Et l’indice de confiance des consommateurs américains a encore perdu 13 points en octobre.

Selon le Wall Street Journal, la Réserve fédérale américaine (Fed) étudierait la possibilité d’abaisser encore ses taux d’intérêt.

De même, les Etats-Unis envisagent un plan de relance économique qui pourrait être adopté avant même l’entrée en fonction du prochain président en janvier.

La présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a demandé au Congrès de se réunir juste après la présidentielle du 4 novembre pour étudier un plan pour “reconstruire l’Amérique”, d’un montant de 150 milliards de dollars.

Cette idée est soutenue par le lauréat 2008 du Prix nobel d’économie, Paul Krugman, et par le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn.

L’Italie, où le patronat table sur un recul du PIB de 0,2% pour 2008, a enregistré une baisse de 5,2% des commandes à l’industrie en août.

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ésident français Nicolas Sarkozy et le Premier ministre canadien Stephen Harper, le 17 octobre 2008 (Photo : David Boily)

Certains pays viennent à manquer de capitaux. L’Ukraine négociait vendredi un prêt de 14 milliards de dollars auprès du FMI. La Hongrie a été placée sous assistance respiratoire par la Banque centrale européenne avec un prêt de 5 milliards d’euros, le chef de la Banque centrale hongroise admettant au passage “la vulnérabilité considérable” de son pays.

La Russie, elle, voit les capitaux spéculatifs déserter. Selon un haut fonctionnaire, 33 milliards de dollars ont fui le pays en août et septembre. Quant à l’Islande, elle décidera d’ici une semaine si elle sollicite ou non une aide du FMI, ce qui serait une première pour un pays occidental depuis 1976.

Autre signe des difficultés économiques, la baisse des cours du pétrole, divisés par deux depuis l’été à environ 70 dollars. Une chute qui a poussé l’OPEP à avancer de trois semaines, au 24 octobre, sa prochaine réunion, lors de laquelle elle pourrait baisser sa production d’environ un million de barils par jour.

Face à cette crise, les appels se multiplient pour une réforme profonde du système financier international, à l’image de ce qui avait été décidé à Bretton Woods en 1944. Et les Européens demandent un sommet associant le G8 et les grands pays émergents.

“Déjà le principe du sommet est acquis (…) avant la fin de l’année”, a déclaré M. Sarkozy, président en exercice de l’UE qui rencontrera samedi George W. Bush à Camp David, avec le président de la Commission européenne José Manuel Barroso.

Vendredi, M. Bush a semblé écarter l’idée d’un sommet avant la fin 2008 en déclarant que la modernisation de la réglementation financière devait être une des “toutes premières priorités” de son successeur et en mettant en garde contre les effets indésirables de nouvelles régulations.

La Commission européenne a annoncé qu’elle allait faire des propositions d’ici la fin de l’année pour réduire les risques du marché des crédits dérivés, à l’origine de la crise financière. Un marché dont le volume mondial dépasse les 600.000 milliards de dollars par an.

Unie face à la crise financière, l’Europe reste cependant divisée sur l’idée d’un plan de relance économique à l’échelle du continent. Ce serait “un monstre administratif”, selon la commissaire européenne Viviane Reding.

Quant aux représentants des patronats français, allemand, anglais, italien et américain, réunis vendredi à Paris, ils ont vigoureusement défendu le libre-échange, appelant les Etats à cesser leurs interventions dans l’économie une fois la crise internationale passée.

La crise fait aussi des heureux. Ainsi, le milliardaire américain Warren Buffett multiplie actuellement les coups boursiers: “A court terme, les mauvaises nouvelles (économiques) sont les meilleures amies de l’investisseur. Elles vous permettent d’acheter au rabais”, expliquait-il vendredi.

De même, tout le monde ne fait pas grise mine à la City de Londres. Les primes versées aux employés du secteur financier au Royaume-Uni ont plus que doublé en sept ans, culminant à 16 milliards de livres cette année.