Lorsque
je lui fis part de mon étonnement de le trouver, lui le mathématicien, dans
le board de culture et de religion du forum des Jeunes leaders de
Méditerranée. « Je suis étonné moi-même de m’y trouver
! », rétorque t-il, non sans une pointe d’humour. Il faut dire que durant
cette rencontre, l’assistance a apprécié la clarté d’un exposé concret,
concis et rempli d’anecdotes. Exercice sur un sujet auquel il ne s’attendait
pas !
Universitaire, Elyès Jouini n’oublie pas cette dimension de son travail.
Ce n’est pas par hasard qu’il plaide pour que le projet de la prestigieuse
Université Paris-Dauphine voie le jour prochainement en Tunisie. « Normal
pour un enseignant, diront certains. Par leur métier, ils savent capter
l’attention ». Cela procède de l’art de la pédagogie ! Certains mieux que
d’autres à la mettre au service de leur métier. Jouini semble en faire
partie.
Cordial, souriant, assumant un air de « premier de la classe », le
vice-président chargé de la recherche à l’université Paris IXe en « costume-cravate »
ressemble plus dans son look à un golden-boy qu’à un
matheux. Son parcours est exceptionnel. Il se situe au carrefour du monde de
l’entreprise, des finances et de l’économie. Il travaille sur la
modélisation des marchés financiers en incorporant aussi bien les dimensions
économiques et financières, mais aussi d’autres critères moins pris en
compte, comme la psychologie et la sociologie. Il n’en demeure pas moins
cependant, profondément attaché à sa spécialité : les mathématiques. Il est
et reste un mathématicien avant tout.
« Il a la chance de faire partie des happy-few », diront d’autres. Mais
cela ne suffit pas : pour l’être, il faut des raisons solides. EJ a des
facilités et réussit brillamment tout ce qu’il entreprend. Si bien que l’on
a tendance à le qualifier de « Mr Major partout ».
Il quitte la Tunisie à 18 ans, le baccalauréat en poche. A l’université
Paris-Dauphine, il sort major de l’agrégation de mathématiques, en 1987. Il
décroche son doctorat de mathématiques appliquées en 1989, et dans la foulée
son habilitation à diriger des recherches (HDR) de l’Université de Paris. Il
fonctionne à vitesse grand V. Il en garde, du reste, le rythme, l’allure et
la démarche.
En mai 2005, il reçoit le prix du meilleur jeune économiste décerné par «
Le Monde de l’économie » et le « Cercle des économistes français. Un prix
conçu comme un encouragement au développement de la pensée économique
distinguant tous les ans, l’économiste de moins de quarante ans qui combine
au mieux l’expertise et la participation au débat public.
Il est, coordinateur scientifique de l’Institut Europlace de finance. Une
fondation de recherche créée par des banquiers, des assureurs, des
associations professionnelles et des autorités de tutelle pour développer le
lien entre le monde académique et le monde professionnel.
A Tunis, il reste impliqué dans de multiples activités, notamment, avec
le Conseil de la Rénovation Universitaire. «J’ai enseigné quelques années à
Tunis. Je suis très impliqué dans la vie économique tunisienne à travers ma
présence dans divers conseils d’administration dans des secteurs bancaires,
des assurances ou de la grande distribution … »
En réalité, comptabiliser les distinctions, fonctions, participations de
ce jeune homme donne le tournis. Je réalise, au cours de ma conversation
avec lui, que ce n’est pas en parlant de ses futurs projets que la cadence
se calmera. Jouini aime entreprendre et saisir les opportunités au fur et à
mesure qu’elles se présentent à lui. Il sait les provoquer, Par goût du défi
ou du dépassement de soi ? « La nouveauté et le goût du challenge sont mon
moteur. Je suis souvent dans l’initiative. Explorer et arpenter de nouvelles
pistes me procure une grande excitation. Si je vois que ça coince, j’arrête.
» Jouini certifie que cela lui est arrivé.
Quel différence y’a-t-il entre un matheux et un autre ? En fait, certains
continuent à faire des maths, toujours des maths et rien que des maths,
alors que d’autres se révèlent des « machines à idées ». Jouini ne me
contredirait pas et encore moins Gabriel Garcia Marquez qui disait « Tout le
monde veut vivre au sommet de la montagne, sans soupçonner que le vrai
bonheur est dans la manière de gravir la pente. » C’est tout dire !
Il crée l’Association tunisiennes des grandes écoles qui présente, selon
lui, « le double intérêt de développer un réseau et de construire un projet
transméditerranéen qui regorge de profils et de compétences de grande
qualité. C’est un extraordinaire véhicule de communication entre les deux
parties de la méditerrané. ». Elyès Jouini est tout cela à la fois. Il
réalise vite qu’il est, avec ses nombreux compatriotes, une force de frappe
époustouflante. L’ATUGE fera des émules et il s’en créera aune autre à
Tunis, puis plus récemment à Londres. L’idée a été aussi appropriée par les
Marocains et Algériens des grandes écoles. L’association est un relais
important. Il s’y adosse. Elle est indépendante, apolitique et à but non
lucratif. Fondée en 1990, c’est un club très exclusif, qui regroupe pas
moins de 3000 membres. Un club très fermé, et pour cause !
Jouini ne s’endort jamais sur ses lauriers. Il fait surtout partie de
ceux qui scrutent leur environnement et continuent malgré une très forte
cérébralité à rêver. Certes, il rêve les yeux ouverts, mais garde tout de
même un sens pratique très développé. L’homme reste très impliqué dans la
vie associative qu’il considère « comme un fabuleux vecteur de rapprochement ».
Au moment de le quitter, je lui demande ce dont il rêve. Je laisse exprès
la question très ouverte. Ses yeux brillent, et il déclare avec douceur « à
ma petite famille, ma femme et deux enfant ».
Touchant le mathématicien ! Tentée de croire, que ces « surhommes » sont
des machines à performance, et en y repensant à froid, s’il y a un trait de
caractère que je retiens chez Lyès Jouini, c’est son sens de la famille.
Il a construit une famille autour de son école et continue d’accompagner
ses étudiants. Il pense à l’avenir et aux futurs étudiants de demain. Ici
dans son pays natal, il soutient le projet d installer un grand pôle
d’excellence. L’excellence qui a marqué son parcours personnel.
Pour la grande histoire, on retiendra assurément son nom, bien plus tard,
comme l’ATUGE retient ceux de Mokhtar Latiri, Lassaad Ben Osman, Tahar Amira,
Abdelaziz Zenaïdi, Makki Zidi, Sadok Bahroun, les baptisant les « six
mousquetaires » pour leurs brillantes réussites.
Allez savoir ce que les futurs diplômés diront d’Elyès Jouini, dans
quelques années ! Lui qui continue inlassablement ses travaux de recherches.
Que retiendront-ils d’un parcours aussi inhabituel et dont le meilleur reste
à venir? Il précise, en guise de leçon à méditer, « qu’un modèle
mathématique est nécessaire pour étudier les risques » et avertit que « ce
n’est pas parce qu’on en a un qu’on peut dormir sur ses deux oreilles ». Car, même si les mathématiques sont «utilisables partout», elles n’ont pas
pour autant «valeur de prophétie».
Gageons qu’il a encore du chemin à faire. Bien entendu, ceci est loin
d’être une prophétie !