Avant
de me rendre à mon rendez vous, je mène ma petite enquête et découvre que le
jeune patron de la CGF est né la même année que la Bourse de Tunis (1969).
Dans quelques mois, « ils » fêteront tous les deux leurs quarante ans
d’existence.
Est-ce important ? En fait, perdue dans cette avalanche internationale
d’expertises, de contre expertises, de déclarations chocs, d’annonces
spectacles, de mesures exceptionnelles, de Krach boursier, de crise 29, de
récession, …Je cherchais en fait, puisque je n’avais aucun moyen d’éviter la
crise financière tant elle est tentaculaire, présente sur tous les médias à
mettre une image sur un nom. Humaniser la » nébuleuse boursière » me
rassurait d’une certaine manière. Me dire que j’avais rendez vous avec un
jeune patron d’entreprise qui accepte une journaliste sous le grand coup de
feu de la crise financière, il faut le faire !
La Compagnie Gestion et Finance (CGF), est l’une des 24 Intermédiaires en
Bourse, filiales de banques et privés, qui tentent de s’imposer sur le
marché financier Tunisien. Un marché exigu, composé d’une cinquantaine de
sociétés cotées et qui tourne avec une capitalisation de 9 milliards de
dinars et un volume de transactions moyen quotidien de 4 à 5 millions de
dinars.
Autant dire, un petit marché encore balbutiant, qui pourrait, selon
certains experts, se multiplier par 3 en termes de nombre de sociétés cotées
et par voie de conséquence de volume. En comparaison, au Maroc, on
enregistre 16 intermédiaires en bourse, pour un marché d’une capitalisation
de 100 milliards de dinars, avec un volume de 90 à 100 millions de dinars
jour. En Algérie, la bourse est quasi inexistante. En Lybie, elle a été
lancée en mars 2007, et compte actuellement 7 sociétés pour une
capitalisation boursière frôlant la barre du milliard de dinars.
Sur fond de crise, malgré toute ma solide documentation et mes nombreuses
questions sur le sujet, je me sens moins intimidée qu’avant la crise, par
cet univers secret, mystérieux et indécodable sur lequel s’est déversé un
éclairage sans précédent, grâce ou à cause de la crise financière mondiale.
Vu de l’extérieur, c’est apocalyptique. Le monde boursier vit un séisme sans
précédent.
N’allais-je pas tomber sur une armada de golden-boys, hyperactifs,
paniqués et courant dans tous les sens ? En allant à la rencontre de ce que
l’on perçoit souvent comme des « jeunes loups » de la finance, ma mission
était de jeter un peu de lumière sur ce monde jugé, parfois, inaccessible et
autour duquel s’enflamment désormais toutes les suspicions Je souhaitais
sonder quelle est l’attitude et le cap à tenir en temps de crise ?
C’était sans compter avec l’attitude « zen », confiante et rassurante de
Khaled Zribi, le Directeur général de cette société fondée en 1996. Dans les
bureaux, on s’active certes ! Des dynamiques jeunes femmes en chemisiers
tailleurs font le va-et-vient dans les couloirs.
Ce matin là, ça « boursicotait » grave. Je trouve d’ailleurs cette
expression d’une agilité et d’un humour, extrême, surtout en rapport avec la
situation d’une manière générale.
Dans les bureaux, le mot d’ordre est clair : rassurer, expliquer,
accompagner, tranquilliser, réconforter, expliquer, développer, répondre,
…toutes les variations sont possibles. Le sourire en prime !
La bourse tunisienne est saine. « Ne jamais aller plus vite que la
musique » est un adage qu’il faut mesurer à sa juste valeur. De l’avis des
professionnels, les fondamentaux de la Tunisie sont sains. « Le système
financier de la Tunisie reste relativement clos, avec des ratios prudentiels
qui le mettraient à l’abri des crises systémiques et des effets de
contamination » résume t- on ; inlassablement.
Malgré des indicateurs quasiment tous dans le rouge, ce jour là, l’équipe
garde le sourire et la cadence. Il faut dire que Zribi n’est jamais loin, il
manage d’une main de fer son entreprise et motive sans discontinuer les
troupes. Il s’y attèle d’autant plus que par ces temps difficiles, il ne
faut céder à la panique.
La moyenne d’âge chez CGF est de 30 ans. L’équipe composée de 27
personnes est majoritairement féminine. Le volume de transactions en 2007 de
CGF était de 114,2 Millions de dinars. Les bureaux sont modernes et
transparents. Bourse ou pas bourse, crise ou pas crise, c’est la
transparence qui prime dans cet univers. KZ, rassure et maintient le cap
qu’il s’est fixé. Le capital humain est son véritable trésor. Il reste
proche de ses clients et pare à toutes les éventualités.
Economiste de formation, il apprend son métier « sur le tas ».Il a crée
cette compagnie à l’âge de 27 ans. Il se perfectionne au fil des jours et
des expériences. Des crises, certes moindres, contribuent à former les
managers. C’est au prix de beaucoup de labeur, et d’une certaine exigence de
lui même, qu’il parvient à créer un esprit de cohésion à l’intérieur de son
équipe, en harmonisant les forces et en animant les énergies. Communiquer,
s’intégrer, rester ouvert à son environnement…, sont autant de verbes qui se
conjuguent au singulier et au pluriel au sein de la CGF. Zribi ne parle
qu’en ces termes : « mon équipe et moi », « nous…, « on …, nous même, mes
collaborateurs, ... « Il », diront de lui ses collaborateurs, » se remet en
question tout le temps ». Il, pousse ses collaborateurs à en faire autant,
et« tout le temps » me confiera t-il.
En Tunisie, la législation en matière de Bourse et de marché financier
est une magnifique « Rolls Royce ». L’expression est de Khaled Zribi, moi je
n’aurais jamais osé ! Il semble d’ailleurs qu’elle résume parfaitement la
situation, et pour cause ! Faut-il, pour autant, être tenter de penser
qu’une bourse hyper protégée est bénéfique à l’économie ? On serait tenté de
se hâter et de répondre positivement. La crise actuelle, semble confirmer la
solidité du modèle tunisien.
La Bourse de Tunis est une société anonyme dont les actionnaires sont
justement les intermédiaires en Bourse. Son rôle ? La gestion technique du
marché des valeurs mobilières, mais pas seulement. Longtemps resté à plat,
le secteur s’est mis en mouvement avec les réformes de 1994, amorçant une
nouvelle ère.
Depuis deux ans, une véritable dynamique s’est mise en place, avec
l’introduction de grands groupes familiaux tunisiens. Un vent dynamisant y a
véritablement soufflé avec les introductions en bourse d’ADWYA, TPR, ARTES,
PGH. Comment ces valeurs se sont-elles comportées est une question qui
s’impose d’elle même? « Ces valeurs à l’image de la quasi-totalité des
titres faisant partie du listing de la BVMT, n’ont pas été épargnées par ces
vagues de surventes. Néanmoins, le marché boursier tunisien a relativement
bien résisté par rapport aux autres places internationales et notamment les
bourses arabes ».
Longtemps basée sur l’endettement bancaire et les fonds propres,
l’économie s’était décidée finalement à considérer le marché financier comme
un véritable moyen de subvenir à ses besoins : (financement à moindre coût,
réduction de l’endettement et diversification des sources de financement).
Les choses semblaient bouger positivement, avec notamment les prochaines
privatisations par le marché, annoncées, des biens de l’Etat : les
Cimenteries de Bizerte et la Société Nationale de Distribution Pétrolière,
je suis tentée de me demander si ce traumatisme n’allait pas dissuader les
encore quelques rares initiatives à faire entrer en bourse des PME de notre
patrimoine nationale. Il reste urgent de trouver des solutions à la
pérennité des entreprises dans notre pays? « Il est probable que cette crise
mondiale pourrait ralentir le rythme des introductions en Bourse, mais chez
la CGF, on pense que, courant le deuxième semestre 2009, la fréquence des
introductions reprendra » répond Zribi avec confiance.
Comme toute entreprise la bourse est une entreprise qui a ses outils, son
marketing, sa publicité, sa stratégie. Un énorme travail a été fait pour
changer les mentalités. Aujourd’hui, il semble qu’il faille redoubler les
efforts pour précisément atténuer les incompréhensions qui peuvent bloquer
ce processus. « Le métier » explique Zribi est « un métier très codifié,
extrêmement contrôlé et sécurisé. Nous avons, dans nos locaux, un «
contrôleur interne », qui réfère directement au Conseil du Marché
Financier(CMF), dont la mission est de veiller au bon déroulement des
transactions et au respect des règles de déontologie, entre autres ».
Loin de jouer aux oiseaux de mauvais augure, l’idée de lui demander si un
intermédiaire en bourse peut faire faillite me traverse l’esprit. Je finis,
timidement, par la formuler. La réponse est sans appel. Une batterie de
mesures impressionnante est prévue dans ces cas extrêmes. « A l’instar des
établissements de crédit, les Intermédiaires en Bourse sont tenus de
respecter certaines règles prudentielles notamment relatives à la solidité
des fonds propres et à la couverture des risques…ceci, sans parler des
mécanismes de « garantie » sur le marché » rétorque Zribi avec un calme
olympien.
Zribi est un grand passionné de pêche. Il s’adonne aussi, depuis peu, aux
plaisirs du golf. Je le taquine en lui déclarant qu’il aurait pu être
capitaine d’un bateau, tant il fait partie de ceux qui savent se définir un
cap et le maintenir. Au terme d’une matinée passée en sa compagnie et de
celle son équipe, et bien au delà de son humilité, le trait de caractère qui
ressort chez lui est la patience. Il est vrai que pour maîtriser ces deux
sports, il faut du self-control et de la persévérance. Pour dépasser les
crises, il en faut tout autant !
Il met le cap sur l’internationalisation de sa compagnie. Il fait appel
aux services du FAMEX pour sa prospection à l’étranger et son installation
d’une filiale en Algérie. En juillet 2008, la Compagnie Financière d’Algérie
(CFA), filiale de la CGF, obtient l’autorisation des autorités algériennes
pour exercer le métier d’Intermédiaire en Opérations de Bourse sur la place
d’Alger. La CGF commence à opérer pour des commanditaires étrangers. «
D’ailleurs, et dans le même ordre d’idée, CGF a obtenu la confiance de
nombreuses institutions et sociétés d’investissement, tunisiennes ou
étrangères, qui lui ont confié la gestion de leur portefeuille et/ou
l’exécution en bourse de leurs ordres. »
Au fil de mon incursion dans cet univers, je prends conscience que le
marché financier reste, un préalable pour répondre aux impératifs de
pérennité et de transition générationnelle de nos entreprises. Tôt ou tard,
cet outil sera sollicité, il fait partie de la réalité économique des pays :Son seul coût ? La transparence. Le verdict est sans appel