« Si l’on devait évaluer la crise financière en nous référant
à l’échelle de Richter, son amplitude serait de l’ordre de 7. Soit un séisme qui
risquerait d’engendrer des effondrements » a déclaré Chedli Ayari, professeur
émérite, expert international et ancien ministre à l’occasion d’un débat sur la
crise financière à la Chambre de députés. « Le plus grave, a-t-il ajouté, est
que nous n’arrivons pas jusqu’à présent à mesurer l’étendue exacte des dommages.
A elles seules, les créances accrochées ou toxiques aux Etats-Unis sont de
l’ordre de 1400 milliards de $».
Les
pertes n’en finissent pas, il y en a tous les jours. Celles des produits
financiers dérivés des subprimes sont évaluées à 60 mille milliards, quand à
celles enregistrées au niveau des bourses à l’échelle internationale, elles
sont de l’ordre de 25 mille milliards de $. Ces chiffres de la désolation
représentent un pâle reflet des conséquences de la crise qui décidemment n’a
rien d’ordinaire. Les 4 mille milliards de $ en plans de sauvetages mis en
place tant aux USA qu’en Europe ne pourront pas ralentir son avancée et ses
répercussions sur l’économie réelle et la croissance dans le monde.
La question obsédante qui revient toujours reste qui a pu déclencher une
crise pareille ? Seraient-ce ces golden boys, jeunes surdoués de moins de
trente cinq ans, qui, dans leurs ambitions démesurées de s’enrichir, ont
créé autant d’armes financières de destruction massive sous forme de dérivés
des produits de titrisation plus sophistiqués les uns que les autres?
Serait-ce les guerres menées par les USA contre le terrorisme, l’Afghanistan
et l’Irak et où ont été englouties des sommes d’argent phénoménales ?
Serait-ce la défaillance des organismes de contrôle, les agences de notation
? Le laisser faire, laisser passer credo de la politique économique libérale
? Serait ce le manque de discernement des dirigeants des grandes banques
américaines et européennes qui n’ont pas su évaluer le fossé qui se creusait
de plus en plus entre le secteur financier et l’économie réelle et qui
avaient laissé libre cours à la fraude et à la spéculation?
« Les banques sont en état de faillite par la faute de banquiers
incompétents et malhonnêtes qui ont orienté l’investissement vers
la spéculation financière l’éloignant de l’économie réelle a déclaré
Roosevelt parlant de la crise 29» rétorque Rchid Khleifi, Professeur
universitaire et expert international. M.Khleifi qui cite à ce propos,
Aristote qui, en son temps déjà, parlait de la différence entre l’économie
signifant en grecque la bonne gestion des affaires de la maison et «
chrématistique » qui désignait l’accumulation de la richesse pour elle-même
et qui, selon lui, est contre nature et déshumanisent ceux qui s’y livrent.
Cette quête de la richesse s’est traduite aujourd’hui par le développement
rapide d’un secteur financier qui s’est complètement détaché de la sphère
économique réelle et qui, en tombant, l’a menée à sa perte.
Aucun pays ne pouvant prétendre être épargné par la crise dans un tel
contexte de mondialisation, que doivent faire les pays émergents ?
Pour M.Khleifi, il est grand temps que le monde entier revoie les
principes sacro-saints du capitalisme et que les Etats assument plus leurs
rôles de régulateurs de l’économie.
Il appelle à prohiber la spéculation dans les secteurs de l’immobilier,
de l’agriculture et de l’énergie. « Pour pouvoir résister aux contrecoups de
la crise, il faudrait, dit-il inviter nos diasporas partout dans le monde à
investir et épargner dans leur pays, tout comme il faudrait accorder au
secteur agricole l’importance qu’il mérite pour garantir la sécurité
alimentaire et renforcer les activités agroalimentaires ». Sans parler,
concernant la Tunisie, de la nécessité de développer ses relations
économiques avec ses voisins et se constituer en groupements pour être plus
forts et plus résistants par rapport aux mutations économiques en
train d’être opérées partout dans le monde.
« Il faut reconnaître, affirme Mohamed Saleh Souilem, directeur des
Marchés et de la Gestion des réserves à la BCT que la démarche prudente
entreprise par la Tunisie tout d’abord au niveau de la gestion du secteur
financier et ensuite dans sa réactivité par rapport à la crise lorsque ses
prémices ont commencé à apparaître sur les marchés asiatiques en 2007, a été
efficace pour contenir ses effets. Il a affirmé parlant de la Bourse de
Tunis, approuvé par Mohamed Bichiou, son directeur général que cette
institution financière solide et proche de l’économie réelle n’a pas
vraiment souffert de la crise. La baisse enregistrée en octobre a été la
conséquence de quelques actes individuels de vente de titres de la part
d’investisseurs étrangers et qui ne pèsent pas lourd par rapport au
potentiel de la Bourse. La Bourse de Tunis a affirmé, M.Bichiou reste
largement bénéficiaire à ce jour.
Les sociétés off shore non résidentes pourraient contracter des prêts en Tunisie
«Dans le but de préserver notre outil de production et protéger l’emploi,
nous avons proposé au gouverneur de la banque centrale de mettre en place
une réglementation nous autorisant à accorder des prêts aux entreprises
étrangères non résidentes dont les sociétés mères trouvent des difficultés à
contracter des prêts auprès de leurs banques nationales » a déclaré Moncef
Dakhli, PDG de la BNA. La condition serait que ces sociétés rapatrient une
partie de leurs chiffres d’affaires en Tunisie afin qu’elles s’acquittent de
leurs dettes auprès des banques tunisiennes. « Les autorités sont très
réceptives par rapport à nos propositions, nous voulons tous protéger le
tissus entrepreunerial existant dans notre pays » affirme M.Dakhli.
Des mesures pareilles iraient dans le sens du renforcement du secteur
privé tunisien et de la sécurisation de ses partenaires stratégiques outre
mer.
Car qu’on le veuille ou pas, le secteur privé vit un malaise fait de
doutes et d’appréhensions par rapport à l’impact d’une crise qui n’est qu’à
son début. « Avons-nous les moyens et les capacités nécessaires pour y faire
face. Comment devrions nous réagir par rapport à ses retombées
sur notre économie ? Pour l’instant, tout ce que je peux dire, c’est qu’il
faut être prudents et préparer différents scénarios pour parer à toutes les
éventualités en suivant de près l’évolution de la crise à l’échelle de nos
partenaires traditionnels européens » a déclaré Hédi Djilani, Président de
l’UTICA. Le problème de l’emploi ne pourrait et ne saurait en aucun cas être
résolu sur un niveau purement national. D’où l’importance des IDE a déclaré
M.Djilani et d’où la gravité de la crise financière dans les conséquences
qu’elle peut avoir sur eux. « Notre économie est en partie dépendante de
l’économie européenne et à mesure que les pays européens souffriront de la
crise, il y a risque pour que nous en souffrions également. Car dans un
climat de récession, le consommateur européen par réflexe de défense tempère
ses achats ce qui se répercute directement sur les entreprises ». Les
secteurs qui seront les plus touchés par la récession économique européenne
? Ce sont le tourisme, les textiles et l’industrie des composantes
automobiles car les carnets de commande des sociétés tunisiennes seront
certainement touchés, répond le patron de l’UTICA.
Pour contenir les effets de la crise, il est important de développer des
stratégies de communication ciblées grand public, secteur privé afin de les
éclairer sur ses origines et de les préparer à riposter du mieux qu’ils
peuvent.
La cellule de veille placée sous la responsabilité de la banque centrale
a pour mission de préserver les acquis de l’économie tunisienne et de
prendre les décisions qui s’imposent pour le faire.
La prudence est mère de toutes les vertus et la vigilance reste de
rigueur, car les faits pourraient contredire l’assurance affichée par un
député quant au fait que notre pays puisse être touchée par la crise
Juste un rappel historique, la crise 29 à l’origine de la deuxième guerre
mondiale, a démarré aux States, les soldats allemands et alliés ont débarqué
sur le sol tunisien. En ces temps, on ne parlait même pas de globalisation